Sivadier est un des grands noms du théâtre contemporain et c’est pourquoi il est accueilli dans les salles françaises les plus « in ».
C’est cette réputation qui m’a conduite, par un soir de canicule atroce où on étouffait dans une salle non climatisée (mais quand on réserve ses places, on ne sait jamais quelle sera la météo du jour), au Théâtre (subventionné) du Rond-Point des Champs Élysées, alors que j’avais quasiment juré de ne plus y mettre les pieds. J'étais, en effet, rebutée par l’ultra wokisme qui l’a dernièrement contaminé (comme d’ailleurs tous les théâtres subventionnés). Je finis par avoir une allergie très très épidermique à toute apparition de personnages noirs, trans, queer et à l’inversion systématique des sexes, etc.. dans des rôles du théâtre classique européen.
Mais aussi, comme la critique était dithyrambique (soi-disant le "meilleur" spectacle de la rentrée 2024-25), j’ai fait une entorse à mon serment intérieur.
Donc, pour ne pas faillir à sa « nouvelle » mission (qui est de nous convertir à ces idéologies baroques qui veulent que l’on démolisse toute notre culture au profit de représentations grotesques qui finissent par montrer le contraire de ce qu’elles professent), ce théâtre n’accepte visiblement que des pièces qui, pour être subventionnées par nos impôts, doivent inclure obligatoirement des minorités si visibles qu’elles en accaparent les rôles principaux. Je m’étonne qu’il y ait encore des spectateurs instruits qui paient pour supporter ces spectacles.
Dans le cas présent, Sivadier a décidé de nous faire "mourir de rire" avec l’histoire des Atrides, remplie, comme chacun sait, des crimes les plus "gore" qui soient. Je le dis tout de suite, la salle riait sans moi, car personnellement, je n’arrive pas vraiment à m’amuser des pirouettes clownesques de comiques troupiers autour des textes magnifiques d’Euripide, d’Eschyle, de Sophocle, et de Sénèque.
Mais indéniablement, Sivadier est un génie de la mise en scène. Il y a plein de « trucs » qui lui sont propres et qu’il utilise ici, avec habileté. Il s’agit par exemple de la participation du public qu’il fait régulièrement dialoguer avec certains personnages, pour abattre le « quatrième mur » et renforcer le côté imaginaire de la pièce. Rappelons que Sivadier a commencé dans le théâtre de marionnettes, où cet appel au public est de tradition.
De ce théâtre populaire, il pratique aussi la pantomime, les culbutes, les transformations spectaculaires des acteurs. Il veut également, et c’est tout le sens du titre : « Portrait de famille », rapprocher l’histoire des Atrides de nos réalités contemporaines. Pourquoi pas, en effet, raconter la pomme d’or qui a servi à départager les déesses concurrentes dans la course à la beauté, en une sorte de vulgaire et naïve histoire de désir masculin ? Pâris ne choisit Aphrodite qu’en fonction de ce qu’elle lui promet, certes, mais qui reste assez vil, car en dessous de la ceinture. Au passage de ce gigantesque raccourci, on perd le mystère de l’origine profonde la guerre de Troie. La femme d'Agamemnon nous explique (avec les mots d’une poissonnière) qu’on ne va tout de même pas lancer une guerre mondiale parce que Ménélas est « cocu » !!
Et que dire des danses d’Artémis qui apparait déguisée en une sorte de Blue Bell girl sautillante, mais verte, certainement une écolo qui se venge des turpitudes humaines ?
Juste une note sur l’histoire, car c'est bien le crime d’Atrée qui est à l’origine de toute cette dramaturgie. C’est lui qui tue les enfants de son frère Thyeste (qui avait séduit sa femme) et les lui fait manger, amenant ce dernier à maudire toute la lignée, malédiction qui s’achèvera par la vengeance d’Oreste sur Egisthe, amant de Clytemnestre et meurtrier d’Agamemnon, père d’Oreste. On s’y perd, mais cette malédiction renvoie, pour des esprits comme le mien, à des mythes fondateurs bien éloignés de leur transcription en situation « réelle » actualisée comme l’a voulu Sivadier dans cette pièce.
Évidemment, pour frapper le public, les crimes abominables sont racontés avec force détails, les acteurs se retrouvant baignés de sang, ou transformés en chiffons fumants. C’est qu’il faut que nous comprenions bien que le mal, la violence, et l’horreur prennent leur source d’abord dans la famille, avant de s’étendre au pays, au monde, et même aux relations entre les dieux et les mortels, et aux relations des dieux entre eux.
À moins que tout cela ne soit le fait d’une « virilité toxique », dénoncée par le choix d’une femme fluette dans le rôle du « bouillant » Achille ? (grr…). À ce sujet, la pièce ne saurait passer sous silence que Patrocle était (possiblement) l’amant d’Achille, ce qui révèlerait peut-être une homophobie latente et paradoxale chez ces « bien-pensants », ....mais je dois avoir mauvais esprit…
Donc malgré des trouvailles de mise en scène, et malgré la performance des acteurs (le côté « performance » m’agace aussi), je n’ai pas été vraiment séduite par cette pièce, encore une fois trop « woke » pour être persuasive.
J’avais déjà vu Othello du même Sivadier, en 2023, et j’avais déjà souligné ma gêne face aux orientations de distribution : Sivadier avait choisi de faire grimer son acteur (noir) Othello en blanc lorsqu’il étrangle Desdémone, réalisant ainsi un blackface inversé. Je n’arrive plus à m’amuser de ces sortes de dénonciations indirectes. J'ai vieilli...
Portrait de famille, une histoire des Atrides
Texte et mise en scène Jean-François Sivadier
Avec une partie de la promotion 23 du CNSAD-PSL