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Othello (Théâtre Odéon 2023)

Othello (Théâtre Odéon 2023)

Othello a été écrit et représenté en 1603, soit 2 ans environ avant la mort de William Shakespeare. Alors que les plus grandes pièces de Shakespeare évoquent l’histoire de l’Angleterre et des enjeux politiques (Hamlet, King Lear et Macbeth par ex), Othello semble contemporain et le thème en est la jalousie et la violence domestique et non l’épopée politique.

Évidemment, la trame de fond, c'est-à-dire Venise, alors en pleine décadence (en raison des routes commerciales qui prenaient de l’ampleur avec le Nouveau Monde), Venise, qui avait dû abandonner Chypre aux Turcs, est le témoin des ambitions anglaises dans cette région d’Europe.

Par ailleurs, il est étrange de voir surgir un Maure comme personnage central de l’intrigue. Othello est « le Maure » de Venise. Mais au fond, c’est quoi un Maure ? Aujourd’hui, on répondrait qu’il s’agit d’un arabo-berbère « blanc » vivant dans l'ouest du Sahara. Mais à l’époque Élisabéthaine, qu’en était-il ?

Dans un arrêté d’expulsion de 1601, la reine Elizabeth se disait « grandement contrariée d’apprendre le grand nombre de Nègres et de maures noirs [Negroes and blackamoors] importés dans le royaume » au grand désagrément de ses sujets, car ce sont « pour la plupart des infidèles n’ayant aucune compréhension du Christ ou de son Évangile ».  Le terme « Moor » était alors interchangeable avec « Ethiopian », « Negro », ou même « Indian », c’est-à-dire « autre » à la Renaissance.

Peut-être faut-il comprendre dans l’utilisation de ce terme « musulman » ou bien « noir », car il semblerait bien qu'Othello se soit converti au christianisme.

Comment comprendre autrement son récit de l’Acte V, juste avant son suicide ?

« OTHELLO Je vous en prie, dans vos lettres […] parlez de celui dont la main, comme l’ignoble juif jeta une perle plus précieuse que toute sa tribu […] et racontez encore comment jadis, à Alep, alors qu’un méchant Turc enturbanné avait frappé un Vénitien et diffamé l’État, je pris à la gorge ce chien de circoncis et le poignardai comme ceci. »

Certes, l’ennemi principal, c’est l’Ottoman, donc le Turc, mais « ce chien de circoncis » évoque bien une religion, contrairement à celle d’Othello.

Toutefois, on ne peut pas évacuer non plus cette couleur « noire » évoquée avec le plus parfait racisme dans une des premières interventions de Iago :

JAGO.- Par Dieu, seigneur, vous êtes volé : pour votre honneur, passez votre robe : votre cœur est frappé ; vous avez perdu la moitié de votre âme : en ce moment, à l'heure même, un vieux bélier noir ravit votre brebis blanche. Levez-vous, hâtez-vous, réveillez au son de la cloche les citoyens qui ronflent ; ou le diable va cette nuit faire de vous un grand-père. Debout, vous dis-je.

Et plus loin, Othello est présenté comme « un cheval berbère » :

« Vous voulez donc voir votre fille associée à un cheval de Barbarie ? Vous voulez donc que vos petits-enfants hennissent après vous ? vous voulez avoir des coursiers pour cousins et des haquenées pour parents ? »

Et c’est pourtant lui à cause de sa bravoure, qu’il est donné le titre de « Général » d’armée, afin de repousser les Turcs de l’Ile de Chypre. C’est lui qui a séduit, en tout bien tout honneur, la fille du Gouverneur de Venise, Desdémone qu’il a épousée, sans encore avoir consommé son mariage. Et quand on lui demande par quels philtres et subterfuges, il a pu séduire cette fille, il raconte que c’est grâce à ses récits, à ses aventures, en un mot à son « exotisme » qu’il a pu engendrer une sorte de fascination chez cette héritière au point de la convaincre à une mésalliance. C’est ainsi, justement parce qu’il est « étranger », émigré, « autre » qu’il a réussi ce mariage. Othello, c’est la figure de l’émigrant, de celui qui, à force de courage et de sacrifices, s’est « converti », est devenu plus Vénitien que les Vénitiens, a épousé un nouvel avenir, s’est construit une nouvelle loyauté. Mais s’il ne peut effacer ses origines, il les utilise au contraire comme arguments de conquête. La faille narcissique est pourtant là qui va le précipiter dans la tragédie.

Iago, lui, est le vrai personnage central de la pièce. Shakespeare nous dit qu’il est « Florentin ». Florence a été llongtemps la Cité rivale de Venise et le terme de « Florentin » est utilisé encore aujourd’hui   pour désigner une personne qui utilise des intrigues politiques, qui possède une habileté manœuvrière, un politicien manipulateur.  

JAGO.- Ne vous levez pas encore. (Il se met aussi à genoux.) Soyez témoins, vous, flambeaux toujours brûlants sur nos têtes, vous, éléments qui nous enfermez de toutes parts, soyez témoins qu'ici Jago dévoue son esprit, son bras et son coeur au service d'Othello outragé. Qu'il commande, et, quelque sanglants que soient ses ordres, l'obéissance m'affranchira de tout repentir

Et si le nom Iago, peut aussi évoquer Jacob, c’est-à-dire « le juif », c’est bien en référence à toutes ces caractéristiques de sournoiserie que Iago apparait, c’est le traitre par excellence qui vient se glisser dans l’entourage d’Othello pour se venger de lui, le manipuler et le faire accomplir ce qui provoquera sa chute.

La pièce n’est pas dénuée de fantasmes homosexuels comme il est fréquent dans les pièces de Shakespeare et comme il semble se dessiner dans l'extrait ci-dessous.  Iago évoque ainsi une nuit passée dans le même lit que Cassio, pendant laquelle Cassio le prend, à ses dires, pour Desdémone:

JAGO.- Je n'aime pas ce rôle ; mais puisque, entraîné par mon zèle et ma sotte franchise, je me suis avancé si loin dans cette affaire, je poursuivrai. La nuit dernière j'étais couché près de Cassio, et tourmenté d'une violente douleur de dents, je ne pouvais dormir.- Il est des hommes dont l'âme est si abandonnée que dans leur sommeil ils révèlent leurs affaires. Cassio est de cette espèce. Dans son sommeil je l'entendis qui murmurait : Chère Desdémona, soyons circonspects, cachons nos amours ! Et alors, seigneur, il saisit ma main, et en la serrant il s'écriait, ô douce créature ! et puis il m'embrassait avec ardeur comme s'il eût voulu arracher des baisers qui croissaient sur mes lèvres, et il soupirait, et s'écriait : ô maudite destinée, qui t'a donnée au More !

La mise en scène de Sivadier est très sobre mais très efficace.

  • Nicolas Bouchaud, l’acteur fétiche de Sivadier est tout à fait extraordinaire dans le rôle de Iago. Mais c’est un acteur exceptionnel, il joue comme il respire, il incarne les rôles comme s’il les habitait toute l’année.
  • Adama Diop est aussi très fort dans le rôle d’Othello, mais son interprétation est plutôt celui d’un séducteur de femmes, et j’aurais vu quelqu’un de plus « géant », de moins serpentin , de moins souple aussi.
  • Il est très pertinent de faire jouer le rôle de Desdémone et celui de Bianca, la prostituée par la même actrice Émilie Lehuraux, qui possède à la fois le visage angélique d’une jeune vierge et la capacité de se transformer en vamp en changeant de costume.
  • Enfin, comme il est maintenant de mise dans tous les théâtres subventionnés, il a fallu que Sivadier cède au wokisme « institutionnel » (totalement inutile) en faisant jouer le rôle du Doge de Venise par une actrice noire (qui joue très bien, là n'est pas le problème), et aussi en nous donnant quelques leçons (humoristiques, il est vrai) de wolof en introduction.  Comme c’était superflu, ce n’était pas gênant, juste surajouté pour complaire aux autorités culturelles.

     

Le spectacle est globalement de grande qualité et le jeu des acteurs remarquable.

Othello, de Shakespeare. Mise en scène : Jean-François Sivadier. Avec Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Adama Diop, Gulliver Hecq, Jisca Kalvanda, Emilie Lehuraux.

 

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