C’est un document particulier que ce livre : il rassemble, en effet, des lettres, de retour, de recommandations, d’un psychiatre aux médecins qui lui ont adressé des patients. Celui-ci est donc amené à donner son avis à son confrère sur l’état de santé mentale de chacun des malades qu’il a reçus et de dresser un pronostic sur les perspectives de guérison, compte tenu des traitements disponibles et qu’il a lui-même préconisés.
La longue période d’écriture de ces lettres (10 ans de 1953 à 1963) et l’époque où elles ont été écrites, constituent un témoignage très précieux sur la prise en compte des mentales mentales entre ces dates, temps pendant lequel la psychiatrie a beaucoup évolué et où, justement, des traitements ont été administrés, car pensés comme utiles.
Les traitements en question peuvent nous sembler aujourd’hui assez approximatifs ou bien dangereux ou encore complètement illusoires, mais au moins, le psychiatre qui a écrit (tout est anonymisé dans le livre) cherche ce qui pourrait améliorer l’état du malade. Très souvent, il reste sceptique sur les chances de guérison, très souvent, il indique qu’il faut tester et, la plupart du temps, on comprend que ce sera assez peu efficace.
Ce qui est intéressant, c’est aussi la façon de voir certains traitements. S’il y en a qui relèvent du bon sens, comme l’éloignement du milieu familial, d’autres sont quand même assez « cruels » comme la lobotomie, dont notre bon psychiatre pense pourtant du bien. « L’opération, n’a aucune gravité en elle-même ; Parfois les résultats sont merveilleux, parfois absolument nuls ». Il faut se souvenir que son inventeur Egas Moniz a obtenu le prix Nobel de médecine en 1949 et que la sœur de Kennedy, Rosemary, (oui, oui le président des USA assassiné à Dallas) a été définitivement mutilée par une lobotomie pratiquée en 1941 ! Quand on comprend comment cette opération était réalisée, on se demande comment une telle barbarie a pu être récompensée ! (Il fallait enfoncer un stylet dans l’orbite oculaire et tourner un peu avant de retirer le stylet !).
Il y a d’autres traitements de chocs dont certains sont encore pratiqués aujourd’hui tels que les électrochocs, les chocs insuliniques ou la fièvre artificielle.
En regard, notre psychiatre connait aussi les thérapies freudiennes mais souvent les patients qu’il reçoit ne sont pas susceptibles d’être améliorés par une psychothérapie en raison de la gravité de leur état. Notre bon psychiatre est aussi conscient du coût de ce genre de thérapie et ne peut pas diriger tous ceux qui en auraient tiré bénéfice, vers des traitements chers et considérés comme étant de « luxe » ou de confort.
Ensuite, la panoplie médicamenteuse s’étend des amphétamines (de type Maxiton) aux bromures en passant par les barbituriques, les dérivés morphiniques, les hormones, les anti-dépresseurs, les anti-allergiques (type Phénergan) ou même les vitamines comme la Vitamine C qui semble être une indication largement répandue pour toutes sortes de troubles.
Autre curiosité de ce livre, ce psychiatre avait encore à l’idée que l’homosexualité était une maladie, et que certains patients, comme une petite fille de 12 ans qui pleurait à cause de l’internat qu’elle ne supportait pas, pouvaient être traités par cures de sommeil !
Il y a, de sa part, et il faut le souligner car cela nous choque aujourd’hui, des sentiments de supériorité assez obscènes quand on pense aux malades qui souffrent, mais il ne faut pas oublier qu’il s’adressait à un confrère, donc à un autre initié qui peut-être utilisait le même point de vue surplombant. Ce psychiatre, un médecin de l’âme en principe, s’autorise parfois des ricanements qui nous font sursauter comme par exemple : « je viens de voir Monsieur A. ce garçon est un émotif, inhibé, certainement retenu par une affectivité un peu tarabiscotée. Mais en ce qui concerne son éjaculation précoce, je trouve que c’est un peu précoce d’en parler […].Je crois que ce serait de ma part inélégant de me précipiter si des essais moins coûteux peuvent lui donner satisfaction ».
Je ne suis pas certaine que les médecins aient bien changé depuis les années 50, et, si on peut être perturbé par le mépris affiché par ce psychiatre vis-à-vis de malades qui souffrent, je me demande si ce n’est pas l’esprit profond des médecins afin de se protéger, donc de prendre du recul en évitant toute projection désagréable.
Espérons juste que leur langage soit un peu moins fleuri que ce qui en apparait ici, car ce n’est pas une façon de considérer des patients à qui on doit le respect. Enfin, peut-être le font-ils encore mais on ne peut pas sonder les cœurs et les cerveaux et en éliminer toute turpitude !
Ce livre s’adresse à ceux que la médecine intéresse, qu’ils soient du métier ou non.