C’est un vrai miracle que, dans notre pays où la démocratie est de plus en plus abimée, il y a quand même des journalistes qui réalisent du travail d’enquête approfondie sur les dérives de la financiarisation de l’économie et de la corruption de tout un système. Je suis consciente qu’il y faut également des éditeurs courageux et c’est bien le cas de Flammarion en ce moment, dirigé par Sophie De Closets.
Ça fait un bien fou et c’est comme une bouffée d’oxygène. On se sent tout de suite moins seule car, si l’on s’en tenait aux media mainstream, tout serait maintenu dans le silence et les mensonges complices avec les élites corrompues qui nous gouvernent.
Victor Castanet a déjà publié une enquête qui a fait grand bruit, portant sur les EHPADs, intitulé « Les Fossoyeurs » que j’ai chroniquée ICI :https://www.mesmauxdevie.com/2022/02/les-fossoyeurs-victor-castanet-2022-ed-fayard.html
Cette nouvelle étude, extrêmement documentée, a été déclenchée, aux dires de l’auteur, par un événement dramatique qui a eu lieu à Lyon, dans une crèche People&Baby en juin 2022 : un bébé de 11 mois a été empoisonné par une auxiliaire de puériculture. Cette dernière a fait avaler à la petite du Destop, provoquant ainsi sa mort.
Au début de la lecture, on se dit bien qu’il n’est peut-être pas nécessaire de s’imposer la lecture éprouvante des maltraitances de bébés, car la vie est bien déjà assez pénible comme ça.
Et c’est vrai qu’il y a une 1ʳᵉ partie (indispensable) consacrée aux plaintes de parents qui ont constaté des griffures, des bleus, des érythèmes fessiers impressionnants et surtout des pertes de poids chez leurs petits enfants dans des crèches à Villeneuve d’Ascq, et ailleurs sur le territoire. Il est tout à fait inconcevable de punir de tout petits bébés en les privant de nourriture, en les laissant seuls dans le noir, sans doudou, en les humiliant de mille et unes manières. Les petits pleurent, font des cauchemars, maigrissent sans évidemment pouvoir parler. S’en prendre à l’innocence si vulnérable est une horreur digne des temps barbares.
Sont incriminés les manques de personnels qualifiés, les recherches d’économies forcenées, la gestion erratique des taux d’occupation, le turn-over, et particulièrement la demande, de la part des gestionnaires, d’une qualité perçue (entrées des crèches bien proprettes et exposant des dessins d’enfants par exemple) plus que de qualité réelle des services effectués.
Mais l’essentiel du livre s’attache ensuite à démonter le fonctionnement financier d’un des mastodontes du secteur People&Baby, entreprise qui se vante d’être familiale, car possédée à 100% par ses deux fondateurs, le couple Christophe Durieux et sa compagne Odile Broglin.
En 2004, les complices découvrent que le monde des crèches s’ouvre au secteur privé. La France manque cruellement de structures d’accueil pour la petite enfance et il s’avère que, non content d’aller au plus pressé et au moins cher, le secteur privé devrait permettre de lutter contre le mal endémique des services publics, l’absentéisme.
Soutenus par un certain Thomas Fabius, (oui, oui, c’est le « fils »), les Durieux et Broglin signent en 2004 leurs premiers contrats (le « père » Fabius vient juste de quitte le Ministère de l’Économie), avec Total et deux sociétés du CAC40.
L’argent public coule à flots. Les crèches ne sont pas, et n’ont jamais été, des services « rentables », c’était donc une aberration de privatiser le secteur. Mais la France se fait fort de répondre aux besoins des familles (pas vraiment d’ailleurs ceux des enfants), en mettant en place des tonnes de critères et de tableurs Excel censés veiller à la bonne utilisation des deniers publics.
Côté secteur privé, c'est la course aux contrats, spécialement auprès des municipalités (mais pas que) et c’est donc à celui qui affichera les coûts les plus bas.
Un berceau coûte en moyenne 20 000 euros/an mais les compétiteurs vont proposer des prix défiants le raisonnable pour obtenir la fameuse « délégation de service public », instrument juridique tout juste créée pour introduire le loup dans la bergerie, le privé dans la gestion d’un service public jusqu’alors considéré comme relevant du régime « à but non lucratif ». Il est évident que le secteur privé est par définition « à but lucratif », et qu’il s’agit de faire du profit.
À partir de là, People&Baby va développer progressivement une stratégie que l’on pourrait qualifier de suicidaire si on ne prenait pas garde aux détails cachés.
Tout le secteur privé de la petite enfance qui se positionne sur du low cost commence par « tuer les coûts » (cost killing) et, s’agissant d’un service à la personne où l’essentiel concerne des dépenses de personnel, s’attaque d’abord à réduire les dépenses de personnel. Les taux d’encadrement sont donc compressés au minimum syndical permettant d’obtenir les subventions, l’absentéisme est bienvenu (les congés maladie (indemnités journalières) ne sont pas payés par l’employeur, et les délais de remplacement peuvent s’allonger au bénéfice du gestionnaire, mais au détriment des enfants), les salaires sont à la baisse. Ensuite, il s’agit de faire trainer les factures, d’attendre un règlement judiciaire des paiements, de gagner du temps sur les fournisseurs. Et enfin, il faut ratiboiser tout ce qui fait le contenu de la mission : moins de jouets pour les enfants, mois de nourriture, moins de couches et veiller à surbooker les berceaux.
Les critères mis en place par l’administration (taux d’occupation, prix à l’unité horaire, etc…) relèvent de Kafka et obligent les employés à cocher des cases sans aucune garantie quant au bon emploi des crédits publics. Les contournements sont nombreux et non surveillés : on maquille les taux d’occupation, on change les taux de facturation, personne n’y comprend plus rien et la qualité du service baisse encore.
Mais le pompon, c'est de découvrir que People&Baby, grâce à la complaisance des pouvoirs publics et à l’ingéniosité d’un patron rapace (véritable Harpagon pour tout ce qui concerne les dépenses allant jusqu’à utiliser une carte Handicapés pour se garer à l’œil) est arrivé à construire un empire international en endettant la société de ½ milliard d’euros (oui, vous avez bien lu). Les crèches ne sont pas rentables, cela reste vrai.
Mais le couple utilise une autre forme de ressources qui lui permet d’avoir une maison à Bali et une autre dans les paradis fiscaux. Nous apprenons ainsi que des SCI appartenant au couple infernal sont utilisées pour tous les achats immobiliers, lesquels sont financés… Par des loyers exorbitants parfois imposés à la société endettée People&Baby!!!!.
On comprend maintenant comment va se terminer cette sombre histoire. People&Baby ne pourra pas rembourser sa dette et qui va renflouer ? je vous le donne en mille ?????
Enquête à lire absolument, il n’y a pas que le secteur du « care » qui est concerné par l’avidité des vautours de tous poils qui rôdent autour de la gabegie française.