Depuis près d’un mois, date de sortie du livre-enquête de Victor Castanet, sur la gestion calamiteuse des EHPAD lucratifs, les médias poussent des cris d’orfraies pour s’étonner de ce scandale, inédit à leurs yeux.
Gestion calamiteuse ? En fait, pas du tout du point de vue des gestionnaires qui faisaient gagner des ponts d’or aux actionnaires par un rationnement rigoureux des dépenses et par une cupidité sans borne des dirigeants de ces établissements censés protéger les plus fragiles de nos compatriotes.
Je ne vais pas ici refaire un commentaire sur ce que cette enquête nous révèle :
Personne, ou presque, n’y vient de gaité de cœur. Les résidents y consentent, quand ils sont encore en mesure de décider par eux-mêmes, précisément parce qu’ils sont dépendants et ainsi, ont besoin d’une assistance constante et d’une surveillance médicale destinées à rendre plus « confortable » (si c’est possible) leurs derniers moments. Moi-même, comme beaucoup, je n’aurais aucune envie de « finir en EHPAD », mais aurais-je le choix ?
Les financements sont assurés par : l’assurance maladie (un tiers dont les dépenses de personnel médical et les consommables, comme les couches et autres équipements de santé), le conseil départemental (un autre tiers notamment pour le matériel de type fauteuils roulants et lits médicalisés), et enfin par les résidents eux-mêmes (encore un tiers qui sert à combler le gap entre les financements publics et les frais réels).
Il est question dans cette enquête d’un établissement qui a pignon sur rue, dans les très beaux quartiers parisiens, et qui s’appelle Les Bords de Seine, appartenant au groupe ORPEA qui en possède 4000 de par le monde. Au passage, je relève que la vieille formule des succès français repose toujours (et depuis des siècles) sur les cofinancements par l’Etat de structures totalement privées. L’Etat partageant les risques commerciaux et assurant le lancement de telles compagnies, ne participe pourtant jamais aux bénéfices….
Mais cette enquête va beaucoup plus loin que le seul établissement de Neuilly, où les résidents payent d’ailleurs une fortune pour y être maltraités. L’enquête montre, preuves à l’appui, le système économique mis à l’œuvre dans l’ensemble des établissements du groupe et au-delà de son concurrent KORIAN. Ce qui m’a frappée ce sont des rétro-commissions versées par des fournisseurs pourtant rémunérés sur fonds publics, aux dirigeants du groupe et donc aux actionnaires. Il s’agit donc d’une pompe à fric, l’argent public étant détourné de sa vocation pour des profits externes, ce qui est, bien évidemment une FAUTE lourde, non pas de la part des dirigeants, mais des financeurs publics eux-mêmes qui n’ont pas contrôlé l’utilisation des fonds publics, les plus précieux, car ils sont consentis par les contribuables. Cette « légèreté » dans l’utilisation de cette masse d’argent (on parle de 1 à 2 millions d’euros par établissement) n’est pas le résultat de la négligence d’une poignée de fonctionnaires fainéants, mais bien la conséquence logique d’une réduction des moyens de la santé publique. On a d’ailleurs eu un aperçu du délabrement de nos institutions sanitaires lors de la crise sanitaire récente. C’est de ce fait bien là-dessus qu’il faudrait revenir, mais nos gouvernants, tout le monde l’a constaté, n’en prennent pas le chemin, puisque les moyens sont sans cesse en diminution. Les ARS coûtent très cher pourtant, mais à quoi sont-elles occupées ? À réduire les coûts hospitaliers, à tailler dans les budgets, donc à faire de la (TRÈS MAUVAISE) gestion comptable.
Ce qui m’a intéressée, à la suite de la parution de ce livre c’est :
(« À la suite de cet appel d’offres lancé en 2014 pour une centaine des établissements du groupe Orpéa, les principaux syndicats de laboratoires décident de saisir la justice. Ils défendent l’interdiction totale de ristournes (ou commissions) sur les examens de biologie médicale. Ils vont obtenir une première décision en référé devant le tribunal de Paris, confirmée par la cour d’appel, avant que la Cour de cassation ne tranche définitivement dans un arrêt du 9 juin 2017.) (Les Fossoyeurs)
La mauvaise foi du groupe ORPEA , qui conteste l'enquête, parait dans ce contexte, presque anodine d’autant que « Le groupe n’a pas peur d’être condamné aux prud’hommes, d’autant que la législation Macron qui limite les indemnités de licenciement le protège de dépenses excessives et lui permet d’intégrer le licenciement abusif dans sa stratégie de gestion »(Challenges) …La stratégie du harcèlement judiciaire sera employée comme d’habitude pour faire taire les lanceurs d’alerte.
Enfin je félicite le journaliste Victor Castanet qui ne s’est pas laissé démonter et qui a tenu, envers et contre tout à enquêter avec rigueur et à faire publier son enquête. Bravo à lui, cet homme me redonne confiance en l’humanité.