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Les déraisons modernes (P. Simon-Bahun, 2021, Ed de l'Observatoire)

Les déraisons modernes (P. Simon-Bahun, 2021, Ed de l'Observatoire)

Voilà une réflexion optimiste, utilisant les théories de la philosophie relationnelle pour nous donner des forces et des moyens d’espérer. Elle tombe quand même un peu à plat dans le contexte dramatique que nous traversons aujourd’hui, avec des bruits de bottes et de bombes à nos portes, mais on ne peut pas lui en vouloir à l’autrice qui l’a écrit l’an dernier., en 2021.

Perrine Simon-Nahum est une historienne et philosophe française, fille du Docteur Pierre Simon, à l’origine des combats pour la contraception et l’IVG dans les années 60.

« Les déraisons modernes » se donne pour objectif de « comprendre comment, depuis la fin des années 1980, nos représentations se sont brouillées, en venant même à s’inverser, passant du positif au négatif, jusqu’au « ressentiment ». Or, « le moment est venu d’entamer un processus de dé-sidération. Les sociétés démocratiques modernes se sont caractérisées par le choix de l’histoire. […] Et cela passe par le fait de déjouer les déraisons modernes qui ont envahi l’espace du débat sous la forme des pensées effondristes ou d’une guerre des identités ».

Ce que j’ai trouvé de plus intéressant dans ce livre, c’est que Perrine Simon-Bahun oppose et rapproche dans un même mouvement, les collapsologues et les racialistes/décolonialistes/intersectionnalistes.

Pourquoi ?

D’après les collapasologues , la catastrophe n’est plus  une hypothèse ; « elle est devenue une certitude, une réalité avec laquelle les tenants des pensées de l’apocalypse nous intiment d’apprendre à vivre. »

Dans ces conditions, le futur doit être vu soit comme un cataclysme contre lequel il n’est plus utile de lutter, ou bien, mais de manière incroyablement surréaliste, du point de vue des enfants qui ne sont pas encore nés, et qui, justement auront survécu à la fin du monde !

Dans le premier cas, la sidération et le fatalisme ne permettent plus du tout d’agir dans le présent, et les sociétés, saisies par le pessimisme, n’ont plus qu’à se laisser glisser vers l’apocalypse.

Dans le second cas, alors, outre le fait qu’il est bien fantasmatique de se projeter dans un monde post-apocalypse, la seule action à mener serait de tout stopper : les progrès scientifiques et techniques ne peuvent qu’accélérer la dégradation de notre planète, car nous ne maîtrisons pas du tout les conséquences de nos engagements.

Et dès lors, « Ce sont les théories du complot qui envahissent aujourd’hui les réseaux sociaux comme les médias. Ainsi s’explique sans doute en partie le sentiment qui est le nôtre de vivre dans un monde qui nous échappe, un monde où nous serions démunis face à un adversaire qui n’a plus de visage ».

Car, dans ces théories apocalyptiques, aucune place n’est laissée aux accidents de l’histoire et aux choix qui ne manqueront pas de dévier le cours des choses. Même si les données climatiques et leur évolution ne sont pas à remettre en cause dans un climato-scepticisme dangereux autant qu’absurde, il faut bien se demander, selon l’autrice, si la collapsologie ne serait pas, pas plutôt qu’une science, une idéologie mortifère. « Sans doute est-ce la raison pour laquelle ses représentants entendent fonder leur discours sur l’intuition plutôt que sur la raison. »

Cette idéologie paralysante est du même ordre que celles qui, au nom de la lutte pour sortir les minorités de l’invisibilisation, les enferme finalement dans le ressentiment et la colère d’éternelles victimes. « On a ainsi abouti à la fabrication d’un métarécit figé autour de l’expression de souffrances et d’injustices et qui revêt des accents compassionnels ».

Certes, on peut entendre et comprendre la critique de l’Universalisme juridique, qui, parce qu’il ne repose que sur des droits génériques, attribués à l’humanité entière, ne se concrétise pas par des garanties réelles. Mais pour autant, faudrait-il se référer à un « universalisme de conditions qui « n’aboutit à rien d’autre que d’opposer les individus entre eux. Car que dire lorsqu'au nom de la lutte contre le racisme et l’universel on aboutit à une inversion du propos et à un antiracisme qui prend lui-même des traits racisés en excluant les Blancs ? »

Entre un  monde qui s’écroule et un passé univoque dont on ne saurait se libérer, on voit bien qu’il n’y a plus aucune place pour « refaire l’histoire, espérer, se mettre en action et transformer nos conditions de vie, ce que les hommes ont toujours su faire dans le passé et qu’ils peuvent à nouveau être capables d’imaginer.

La seconde partie de ce brillant essai concerne non pas une recherche pour  « réenchanter le monde, mais [pour] bâtir une éthique et une politique qui permettent de l’habiter avec un projet et [pour] y définir, avant même un avenir possible, un présent qui ait du sens. »

Les solutions proposées par Perrine Bahun-Simon consistent à réintroduire l’histoire, non pas comme un monolithe unidimensionnel, mais avec ses interprétations plurielles, ses temporalités diverses, ses continuités et ses ruptures. L’histoire n’est pas un donné définitif, c’est une construction.

« Se rapporter à la diversité du passé est l’un des meilleurs moyens de rendre ses couleurs au présent. Dès lors qu’il s’affirme pluriel, permettant d’expliquer que rien n’est écrit et que les choses auraient pu se passer autrement, le passé restitue son épaisseur à l’époque que nous vivons et interdit de la considérer comme une simple transition. »

« Plus le passé apparaît différencié et riche, plus le présent vaut lui-même tout en étant susceptible de s’ouvrir à de multiples futurs. »

« Sortir de l’impasse à laquelle nous réduisent les pensées effondristes, la collapsologie en particulier, comme celles qui prétendent nous enfermer dans une définition identitaire unique suppose de nous déprendre d’une considération morale de l’histoire »

Tout n’était pas écrit par avance, les choses se sont passées pour certains autrement que ce que raconte l’histoire officielle, et tout aurait pu se dérouler différemment. Les récits historiques permettent, vus du sujet, de cultiver nos différences sans nous opposer les uns les autres. Le regard qu’on porte sur les évènements ainsi que les événements eux-mêmes changent .

Il ne peut pas y avoir, sauf à falsifier l’histoire, de point de vue unique et stéréotypé. La civilisation occidentale n’est pas un tout uniforme, elle ne s’est pas répandue partout de la même façon et selon le même rythme, elle n’est pas l’étalon qui a présidé à toutes les destinées. « De tout temps, il s’est trouvé des hommes pour s’engager au péril de leur vie, sauver leurs semblables, défendre la liberté et la justice. Que chacun ait répondu à des considérations personnelles, c’est une réalité que l’histoire ne saurait nier. »

Perrine Simon-Bahun rappelle, avec Levinas, Ricoeur et bien d’autres, que l’on ne fait jamais l’histoire seul et que l’éthique de la relation « que nous cherchons à ancrer dans l’histoire, nous donne aujourd’hui une version positive [du principe de responsabilité], cherchant les voies par lesquelles l’existence que nous léguerons à nos enfants sera en effet « authentiquement humaine ».

Car le social ne suffit pas, il faut bien retrouver le sens de l’universalisme, le sens d’une commune humanité, pour faire progresser les relations entre les êtres humains dans le sens d’une meilleure coopération et d’une émancipation de tous.

Ce livre se lit facilement et comme il est résolument optimiste, il donne une nouvelle énergie, ce dont nous avons bien besoin en ce moment.

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