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Rapport sur moi (Grégoire Bouillier ; Ed Allia 2002)

Rapport sur moi (Grégoire Bouillier ; Ed Allia 2002)

C’est vraiment amusant, quand on est une lectrice curieuse, de picorer de ça de là, au gré de sa propre fantaisie. Et c’est pourquoi, après avoir « avalé » un livre très épais (500 pages pour La femme Sauvage dont la recension est ICI), je voulais me détendre avec un livre plus léger (150 pages seulement) de 2002, (20 ans déjà !) , salué par le Prix de Flore, et qui est, je le suppose du moins, une première tentative, un ballon d’essai en quelque sorte pour une autre œuvre, qui s’intitulera le Dossier M, et qui racontera une histoire d’amour sur plus de 1000 pages.

« Rapport sur Moi », c’est ce qu’on appelle une auto-fiction, une fiction qui se présente comme une autobiographie. Dans la mesure où l’auteur se montre comme le protagoniste de son récit, il y a là anguille sous roche. Car comment écrire sur soi-même sans corriger des détails, sans être complètement et absolument subjectif, donc invraisemblablement mensonger ? Déjà, quand nous voulons nous-mêmes raconter notre passé, il est très fréquent que nous transformions nos souvenirs, voire en inventions de nouveaux, créant ou recréant des détails inexistants ou racontés par d’autres, ou déformés par nos émotions. Alors en faire une œuvre littéraire, c'est-à-dire un objet d’art, tout ce qu’il y a de plus artificiel (même racine linguistique), c’est vraiment mentir que de prétendre (ce que l’auteur ne fait pas vraiment d’ailleurs), que ce serait la vérité.

Le livre s’intitule « Rapport sur moi » et c’est évidemment déjà amusant.

On va donc faire semblant de croire que tout est vrai dans ce rapport. Comme l’auteur, le personnage qui s’appelle Grégoire est né en 1960, en pleine guerre d’Algérie, d’un père….qui n’est pas forcément le mari de la mère.

Le personnage de la mère est certainement à l’origine de bien des troubles… Et pas seulement chez les écrivains. Ce n’est pas juste, mais on ne passe rien à une mère. Un père peut être démissionnaire, brutal, absent (c’est très souvent le cas, et ici aussi, le père est bien absent), on lui trouve toutes sortes d’excuses. Mais une mère qui aime faire l’amour, et qui cherche l’aventure par tous les moyens, sort de son rôle et devient vite une « folle », vous savez bien, celle dont tous les hommes parlent quand ils s’en sont lassés?.

Bon, j’arrête de tergiverser. La mère de Grégoire est probablement une authentique folle. Après des aventures sexuelles qui font douter de la paternité des enfants (elle avoue avoir fait l’amour à trois et avoir été enceinte à la suite, on ne sait pas de qui), elle se met à déprimer, se lance dans des tentatives de suicide assez spectaculaires comme se jeter par la fenêtre d’un immeuble de cinq étages et s’en sortir grâce à une miraculeuse toiture de zinc à mi-descente.

« “Tu es un enfant de l'amour”, m'a répété toute mon enfance ma mère, sans que je sache ce que cela voulait dire et si ce n'était pas plutôt inquiétant. »

On saura beaucoup plus tard de quelles transgressions elle a été capable.

Mais rien dans ce rapport n’est linéaire, car la narration suit les méandres de la mémoire et/ou de l’inconscient, qui, comme chacun sait, est structuré comme un langage. C’est ainsi que les mots et les maux se répondent.

Grégoire est victime dans son enfance d’un staphylocoque doré, c’est-à-dire un virus qui présente la particularité de rester en sommeil, comme le virus de l’herpès par exemple, pour ressurgir au moment opportun, suite à une fatigue, un stress, une autre maladie. Et ce staphylocoque doré métaphorique va prendre la forme des femmes rencontrées et aimées par Grégoire. Toutes ou presque sont de pauvres oiseaux blessés, jusqu’à ce qu'elles prennent possession du corps de Grégoire. Elles se transforment alors en virus monstrueux dont il devient impossible de se débarrasser.

« Je peux te quitter puisque maintenant que nous avons fait un enfant, je sais que je ne te perdrai jamais”, me dit-elle au téléphone. Cette phrase creuse encore des galeries en moi, comme une taupe que l'on aurait enfermée dans mon corps.[…] C'est au point qu'en me faisant un enfant, Laurence s'arrangea pour ne jamais sortir tout à fait de mon existence ; or, les staphylocoques dorés sont une souche pathogène dont on ne guérit pas : nichés dans les replis de l'organisme, les germes ne font que dormir après le passage dévastateur des antibiotiques, attendant de s'éveiller à la faveur d'on ne sait quelle circonstance. »

C’est de cette façon lacanienne que tout le livre est composé. Il y a des coïncidences, des dates qui font sens et se répètent, des rencontres, des mots, des phrases qui reviennent obstinément. Je ne connais pas trop la psychanalyse, mais il me semble que c’est de cette façon qu’elle procède, par associations, rapprochements, jeux de mots, allitérations, rimes etc…La dépression sévère de l’enfant et les traumatismes qu’il en emporte à l’âge adulte sont évoqués ici :

« Le psychiatre rédige une ordonnance, qu’il tend à mon père. Puis il cherche des yeux son manteau en poils de chameau. C’est alors que son regard tombe sur moi. Il me fixe et, pour la première fois de ma vie, j’ai l’impression que quelqu’un me voit. Son regard me dit que j’existe. J’ai cessé d’être transparent. Tout à coup j’ai un corps. Une âme. Il m’a vu. Il a vu. Il a compris. Il sait. Il va le leur dire. Il va leur dire que ça suffit les horreurs. Peut-être même va-t-il m’emmener tout à l’heure avec lui, le temps que les choses s’arrangent à la maison, et c’en sera fini pour moi d’être une serpillière posée dans un coin. »

Tout est illogique dans le récit qui fait des allers-retours entre les différents éléments marquants de la vie ainsi racontée.

Le récit n’est pas dénué d’humour, comme Grégoire l’évoque pendant la  période du divorce de ses parents :

« C'est dans cette ambiance chaleureuse que je passai mon adolescence. Chaque instant était une boule de violence qui trônait au milieu du salon ; il fallait raser les murs pour ne pas risquer de la toucher et qu'elle explose ».

Les premiers émois amoureux sont vécus comme un éblouissement, une vision extraordinaire sur le corps d’une femme, alors la mère de l’un de ses camarades d’école. La description s’apparente à une extase mystique. Mais la figure de la société, de la Loi, de la Morale apparait aussitôt pour brider le plaisir :

« Lorsque je me retourne, la grand-mère de Fabrice se dresse devant moi. Elle me toise d'un air qui salit tout sur son passage. Dans ses yeux je lis une faute qu'elle verse dans mon regard, fait mienne et je ne suis plus que ver de terre soudain. Ma condamnation est sans appel. Tout plaide contre moi. Je m'enfuis en courant, poursuivi par l'ignoble regard, comme si la vitesse pouvait le semer. »

Grégoire Bouillier a l’art de transformer son expérience, ou du moins ses ressentis, en langage universel et quoique n’ayant pas eu une mère échangiste, un père ruiné par une femme et un frère abuseur sexuel gay, je me suis sentie en terre tout à fait connue au travers de cette auto-fiction.

 

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