Ce livre est un petit délice sucré qui réconciliera les cœurs. L’actualité n’étant pas vraiment rose, il faut bien de temps en temps en sortir pour quelque chose de plus joyeux et de plus positif. C’est le premier roman d’une dame de 65 ans, une ancienne prof de Lettres, originaire de Bretagne, mais qui vit à Toulouse, après avoir enseigné notamment à La Réunion.
Quoiqu’il soit écrit, sous forme de journal, à la première personne, ce récit n’est pas autobiographique, comme l’assure son auteure, mais il s’agit d’une fiction, complètement inventée donc.
D’habitude, ce genre « feel good » met en scène des jeunes femmes et le récit s’apparente à des romances, ou des journaux de « filles » aux prises avec les difficultés de la vie.
Ici, le personnage central est une grand-mère de 70 ans et le journal qu’elle écrit s’adresse à son défunt mari, rien à voir avec les histoires de Katas qui arrivent aux jeunes oies blanches.
Joséphine est une grand-mère qui perd un peu le nord, mais pas suffisamment pour renoncer au monde, et surtout à la défense de ce qu’elle a de plus cher. Elle vit à Saint-Pol et elle se sent seule depuis la mort de son mari. Mais elle a « hérité » d’un chien dont elle aurait bien voulu se débarrasser, tant il est caractériel. Le chien est un teckel appelé Buzuk, et qui est complètement non maîtrisable.
Joséphine a trois enfants, eux-mêmes parents : Sa fille Doris a deux enfants et Eve, la seconde fille, vient d’avoir son troisième. Son fils est installé en Nouvelle-Calédonie avec sa femme et son deuxième enfant.
Les enfants de Joséphine lui annoncent que « cet été on va te laisser tranquille », c’est-à-dire qu’elle ne gardera aucun petit enfant, au motif qu’elle ne doit pas se fatiguer. Cette phrase hypocrite cache mal une faille de confiance envers la grand-mère à laquelle on ne dit pas qu’elle commence à ne plus pouvoir assumer sans risques la garde d’enfants. Joséphine comprend que c’est une sanction pour avoir laissé les jumeaux sur un ilot entouré par la marée montante, l’an dernier.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elle "se rabat" sur la présence de son chien Buzuk, qui l’accompagnera tout l’été durant ses promenades en bord de mer. Joséphine adore contempler le ciel et la mer, et notamment l’îlot Saint-Anne, appelé la couette de plumes.
Or voilà qu’elle apprend la construction prochaine d’un golf sur l’Ilot.
« Imagines-tu des tractopelles en train de creuser et de détruire la garenne autour du rocher du Guet, nos pins millénaires, les milliers de terriers, et pour nous, promeneurs, l’obligation de contourner notre Couette devenue un golf neuf trous à l’accès réglementé ? » confie-t-elle à son mari décédé.
La vieille dame ne loupe pas une messe, surtout que celles-ci n’ont plus lieu tous les dimanches. Et voilà ce qu’elle entend :
« Notre curé a prononcé des mots que j’ai retenus très précisément. Il a déclaré : « Ceux qui restent dans l’ombre et qui ont peur de la lumière ont à se reprocher. » Au moment où il proférait ces mots, de la grande rosace centrale a giclé un rayon de soleil qui s’est mis à balayer lentement l’assemblée, telle une flèche lumineuse envoyée par le Très-Haut. Le faisceau divin s’est arrêté sur moi, sur ma tête, me projetant du même coup dans la lumière. Imagine ce que j’ai ressenti, c’était comme si toutes mes pensées étaient percées à jour. »
Notre septuagénaire, bien décidée à entendre ce message divin, saisit la balle au bond et s’engage, avec d’autres, commerçants, riverains etc.. dans une distribution de tracts pour tenter d’enrayer le processus d’aménagement.
Elle trouve, au gré de ses pérégrinations, une bande de jeunes campeurs, des sortes de « hippies » qui logent dans des fourgons le long de la mer et se « fichent pas mal du mauvais temps », assez commun dans cette région.
Elle ne se doute pas que ces sympathiques fêtards à qui elle distribue généreusement ses tracts, vont l’entrainer dans une ZAD, qu’ils organisent derechef.
Il y a beaucoup de moments amusants, notamment lorsqu’elle les emmène à la messe et qu’ils vont tous communier, ou quand elle leur apporte de vieux habits, ou encore quand ils lui donnent un bracelet en coquillages.
« Ils ont créé un atelier pour ça, l’atelier des « Têtes de l’art ». En fait, il s’agit d’une bernique trouée en son centre et nouée au poignet par un fin cordage, qui n’est ni plus ni moins que de la ficelle, bleue ou orange (le mien est orange), celle qui sert à fermer les sacs d’oignons et d’échalotes. Ça représente une bouée de sauvetage. J’ai donc maintenant une bouée amarrée à mon poignet. »
La vieille dame et son chien deviennent très vite les mascottes des zadistes, ce qui déplait fortement au Comité de Défense des commerçants et autres riverains, à l’origine des tracts.
Outre le chien, il y a un personnage dont je n’ai pas encore parlé et qui pourtant est très présent aux côtés de la vieille dame. C’est l’une de ses petites filles, très certainement métis, et adolescente, qui est la préférée de Joséphine et qui va s’intégrer plus ou moins à la ZAD, en rejoignant l’un des organisateurs.
Cette petite fille s’appelle Jade et c’est elle qui continuera le journal de sa grand-mère.
Tout est si juste dans ce récit, si drôle, si extravagant en même temps, que même s’il s’agit d’un petit roman sans prétention, il est agréable de passer un moment en la compagnie de cette vieille dame, de son chien, de sa petite fille, dans un combat contre un projet qui défigure sans contestation le patrimoine naturel au profit de quelques happy fews qui achètent ce qui ne devrait pas être vendu, mais au contraire préservé.
Cela se lit vite et il n’y a rien d’ambigu dans cette action Zadiste.
« — Des casseurs ? Regardez-nous bien, madame, hein ? Parce que si vous voyez un jour débarquer ici des gars en noir, cagoulés et masqués, là vous verrez ce que c’est, des casseurs, et il sera temps de vous inquiéter. C’est autre chose que vos bretonnants de bonnets rouges, et nous, ce n’est pas ce qu’on souhaite non plus. »
Chaque chapitre du livre est une indication météo, tant il est vrai que le thermomètre breton peut être capricieux !
PS :"Qu’est-ce donc qu’un Buzuk ? Dans l’environnement breton c’est une monnaie locale créée par un collectif éponyme. Pour d’autres familiers de l’océan, ce serait un ver marin repérable au petit trou qu’il creuse dans le sable."