Ce roman est à classer parmi les OVNI littéraires. Je n’ai jamais rien lu de tel, ni au sujet de l’histoire racontée, ni dans les points de vue adoptés, ni dans le style et la forme du récit.
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Mais commençons par son auteur : Evgueni Vodolazkine est né à KIEV (en Ukraine) en 1964, mais, bien entendu, il écrit en russe, parce que c’est un universitaire de haut vol, spécialiste du Moyen Âge russe. Aux dernières nouvelles, il enseignerait maintenant à l’Université de Bucarest, en Roumanie. Il a fait une thèse d’histoire et de littérature médiévales sur la « Chronique byzantine de Georges le Moine », racontant l'histoire du monde depuis la Création jusqu'en l'an 842, année de la mort de l'empereur Théophile. Impressionnant non ?
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Ce roman est son 4ᵉ roman, il a été publié en 2020, c’est très important à préciser, car la guerre d’annexion de l’Ukraine par la Russie, n’avait pas (encore) commencé. Les écrivains sont souvent d’exceptionnels devins, parce qu'on peut très facilement voir dans cette Histoire de l’Ile, une préfiguration des monstruosités dont se rend coupable la Russie à l’heure actuelle.
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Il est temps que je parle du sujet de ce roman. Il s’agit d’une Histoire monumentale puisque courant sur 350 ans, d’un pays imaginaire situé dans une Ile. Ce qui est absolument original, c'est que cette histoire est racontée par des moines qui se succèdent sur une période qui va du Moyen-Âge à nos jours, lesquels écrivent des « chroniques », précisément à la mode moyenâgeuse. Les moines racontent donc un morceau d’histoire, souvent en cachette, depuis leur cellule de moine, et ces « chroniques » mises bout à bout, ont été conservées plus ou moins intégralement (des morceaux manquent toujours à cause de la censure) car elles ont longtemps constitué le socle de l’Histoire officielle de l’Ile, enseignée dans les écoles.
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D’entrée de jeu, dès la soi-disant note de l’éditeur, nous apprenons qu’il s’agirait d’une mise à jour, rendue indispensable par un film français récent intitulé « La justification de l’Ile ». Dès le début, nous plongeons donc dans la mystification : la note de l’éditeur fait partie de la fiction. Mais elle était indispensable pour nous faire comprendre le reste. Cette nouvelle édition aurait été complétée par des notes de commentaires du couple souverain de l'île, un couple bien vivant lui, et qui a traversé les siècles et qui est demeuré au pouvoir pendant 347 ans.
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Je résume pour plus de clarté : le livre raconte l’Histoire d’une Ile (qui ressemble beaucoup à la Russie), d’après des chroniques de moines s’étalant sur 350 ans et annotées par Parthène et Xénie, les souverains quasi éternels de cette île. À noter, cette curiosité, dans un récit très empreint de Moyen-âge : Cette île semble en guerre avec la France, guerre qui se finira par un traité de paix… Étrange !
Parthène et Xénie n’arrivent au pouvoir qu’à mi-chemin de l'histoire, mais ils ne quitteront la scène qu’en toute fin. Avant leur avènement, comme pendant leur règne, l’île est maintes fois déchirée par des guerres de lignées, des épidémies, des catastrophes et des invasions.
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Les histoires se succèdent, bouffonnes, cruelles, impitoyables, ridicules, extraordinaires ou insignifiantes, mais surtout pleines de « merveilles », comme au Moyen-Âge. Il y a des évènements fantastiques ou miraculeux, des morts qui n’en sont pas, des retournements de situations spectaculaires, etc… Toutes les histoires sont presque systématiquement interprétées par ceux qui les vivent, à la lumière des prophéties apocalyptiques d’Agathon le Préviseur, qui connut une fin tragique.
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C’est très amusant, et extrêmement fascinant de se plonger dans des contes aussi extravagants, agrémentés d’allusions humoristiques et critiques, pleins de créativité et même de poésie.
Car ce roman n’est pas seulement un roman métaphorique, une allégorie, une parabole. C’est aussi un roman très profond qui interroge le lecteur sur les questions de falsification de l’Histoire, de prise en compte du temps qui passe, de l’utilité du progrès technique et scientifique, de l’évolution de la morale des hommes.
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C’est par exemple, le moine Nectaire qui, lorsque est ouverte la première Université de l'île, discute de la nature de l’Histoire avec des professeurs ; Pour lui, l’Histoire c’est « la description du combat entre le Bien et le Mal, mené par la main des hommes » ; Mais selon les professeurs, l’Histoire c’est « la chaîne ininterrompue des causes et des conséquences ».
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Les moines, dans leurs chroniques, s’interrogent régulièrement sur la question du « progrès », ou sur le rapport à la temporalité. À partir de la « Grande Révolution Îlienne » menée par Cassien, « Altesse Futurissime »,( !!!) on change de scenario. C’est ce leader qui assène la sentence (aberrante) suivante « L’Histoire ne doit pas refléter seulement le passé ».
Ceci étant, « On considérait (on considère toujours) que la connaissance du passé est indispensable à ceux qui sont au pouvoir. Cette idée me semble juste. Il est pourtant exact que connaître l’Histoire n’a encore empêché personne de commettre des erreurs. »
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Le politiquement correct est aussi dénoncé, avec sa langue de bois qui contribue aux déformations historiques : “Le plus triste, c'est que dans les cercles progressistes, on se faisait un devoir de ne pas appeler “scélérats” les scélérats, mais des “combattants pour une vie meilleure”.
La vision de l’Histoire dépend de ceux qui la racontent, mais aussi des connaissances et croyances des époques successives et bien malin est celui qui prétend en détenir la vérité.
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« Le fait est qu’au centre du monde médiéval était Dieu, et qu’au centre du monde actuel, c’est l’homme. Il n’y a qu’un seul Dieu pour tous, alors le Moyen Âge regarde d’en haut, car ce n’est que d’en haut qu’on peut embrasser le monde entier. Son regard reflète le Dieu unique, c’est pourquoi il est unique. À présent que le centre du monde est l’homme, il y a beaucoup de regards – autant que d’êtres humains. »
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Parthène remarque justement :
« Certaines choses cessent d’exister, et ce n’est pas parce qu’elles sont mauvaises : simplement, leur temps est passé. Et elles naissent non parce qu’elles sont bonnes : c’est que leur temps est venu. Il y a un temps pour ramasser les pierres et un temps pour les disperser. Peut-être que la réponse, c’est le temps ? Le temps et le rythme. »
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Je crois que derrière l’ironie de l’auteur, derrière la fantaisie de ce qu’il prétend raconter, il faut voir un vrai roman philosophique, à la manière de Voltaire, un roman qui aborde les questions les plus fondamentales sans faire mine d’y toucher.
« Seule l’éternité est imprévisible, répondit Agathon le Préviseur. »
J’ai littéralement ADORÉ !
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