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Bel Ami (adaptation au théâtre de Guy de Maupassant)

Bel Ami (adaptation au théâtre de Guy de Maupassant)

« C’était une de ces soirées d’été où l’air manque dans Paris. La ville, chaude comme une étuve, paraissait suer dans la nuit étouffante. Les égouts soufflaient par leurs bouches de granit leurs haleines empestées, et les cuisines souterraines jetaient à la rue, par leurs fenêtres basses, les miasmes infâmes des eaux de vaisselle et des vieilles sauces. »

Ah la plume de Maupassant !!! En une phrase, on sait où on est et c’est comme si on l’avait bien connu ce Paris d’Haussmann où les ouvriers, les traine-misère et les prostituées côtoyaient les aristocrates, les mondains et les affairistes de tout poil de la IIIᵉ République ! 50 ans après « Illusions Perdues » de Balzac, Maupassant reprend la peinture sociale du milieu des journalistes dans une société française occupée à refaire fortune, après la guerre de 1870, désastreuse en termes de dommages de guerre et de mouvements de populations. Des centaines de milliers d’Alsaciens s’étaient alors exilés en Algérie, nouvellement colonisée, car remplacés par des Allemands occupants les territoires français de l’Est.

Bel Ami a d’abord été publié en feuilleton dans le quotidien Gil Blas avant d’être édité en 1885.

Je rappelle l’histoire : Bel Ami est le surnom donné par des femmes au personnage central du roman, Georges Duroy, un sans le sou, venu chercher sa bonne étoile à Paris après avoir passé deux ans chez les Hussards en Algérie, et, au début de l’histoire employé aux Chemins de fer du Nord dans la capitale.

« Grand, bien fait, blond, d’un blond châtain vaguement roussi, avec une moustache retroussée, qui semblait mousser sur sa lèvre, des yeux bleus, clairs, troués d’une pupille toute petite, des cheveux frisés naturellement, séparés par une raie au milieu du crâne, il ressemblait bien au mauvais sujet des romans populaires. »

Au hasard des rues, le voilà qui retrouve un ancien camarade de régiment, Charles Forestier, rédacteur au journal La Vie Française. Il va le faire embaucher au journal et l’aventure commence. Car le luron plait aux dames, et il leur plait parce qu’il les désire….presque toutes.

« Il aimait […] les lieux où grouillent les filles publiques, leurs bals, leurs cafés, leurs rues ; il aimait les coudoyer, leur parler, les tutoyer, flairer leurs parfums violents, se sentir près d’elles. »

Ce roman a été maintes fois adapté au cinéma et à la TV, et il est régulièrement donné à lire aux collégiens. Maupassant y dénonce un univers où tout est mascarade et où on ne progresse pas sans trahir, où pour gravir une marche, on n’hésite pas à en déloger ses plus fidèles amis.

C’est donc un challenge que d’adapter, et dans une petite salle qui plus est, ce roman si connu !

Le Lucernaire est un lieu de théâtre, (mais aussi un café et une librairie) niché dans une rue magique de Paris, la Rue Notre Dame des Champs dans le VI° arrondissement. On y trouve des arbres, des petits commerces, et une vie de quartier qui est propre à ces coins villageois faussement simples de notre belle ville. C’est hélas dans ce quartier qu’aujourd’hui des riverains s’opposent à l’installation d’une supérette au motif des « risques » et « nuisances » que ce type de magasin pourrait entraîner, ce qui déclenche d’ailleurs la risée générale. Les bobos ont encore frappé !

Je passe maintenant au spectacle. La troupe s’appelle « Les Joues Rouges » et ce sont des comédiens EXCELLENTISSIMES ! Issus du Cours Florent, je crois, comme la metteure en scène Claudie Russo-Pelosi.

Quel plaisir de voir une adaptation intelligente, rythmée, et très créative de ce roman !

D’abord, dès le début, quand les spectateurs s’installent, l’ambiance est posée. Des prostituées aguichent les passants tandis que deux hommes en frac et hauts de forme parlent affaires dans un coin du plateau en fumant des cigares. Un troisième arrive qui joue au bilboquet.

Tous les costumes sont magnifiques, et campent bien les personnages. Car il n’y a presque pas de décor sur la scène autre qu’un banc et trois bureaux, tous éléments munis de roulettes pour pouvoir les manipuler facilement. Finalement, la touche fin XIX° est complètement assurée par les costumes et le jeu des acteurs. Il y a aussi une lucarne et une projection en fond de plateau où l’on voit des scènes se déroulant « ailleurs » dans un autre espace, ce qui donne de la profondeur à ce qui est sous nos yeux. Enfin si les acteurs jouent plusieurs rôles (comme Madeleine, la grande intellectuelle au talent de journaliste caché, qui joue aussi la prostituée), certains rôles sont entièrement absents : on parle d’eux, mais on ne les voit pas comme c’est le cas, par exemple, du « mari » souvent en voyage de Clotilde de Marelle.

La mise en scène est tout à fait remarquable, avec des moments d’arrêts sur images très ingénieux et qui permettent de donner de l’air au récit, en assurant le spectacle vivant. J’ai bien aimé le jeu des lumières qui sculptent la narration, comme lorsque les amants sont vus de dos sur un banc regardant Paris de nuit. Et il y a des instants cocasses comme lorsque la prostituée humilie Clotilde en lui révélant ses amours tarifées avec Duroy. Ou lorsque ce dernier vient faire constater que Madeleine le trompe avec le ministre des Affaires étrangères, Laroche-Mathieu, tous deux au sortir du lit.

On se souviendra aussi de ce moment grave et suspendu, où Norbert de Varenne, assis sur un banc au pied d’un lampadaire, monologue longuement sur la mort. On entend alors parler Maupassant lui-même, qui avait une vision sombre de la vie….

Cette mise en scène est à la fois juste et originale, on ne s’ennuie pas une minute et la salle a applaudi avec enthousiasme. C’est un tel succès que cette pièce sera reprise au Lucernaire à l’automne. C’est tellement bien que je ne peux que conseiller d’y courir !

En sortant, je me demandais quel journaliste, quel écrivain, quel intellectuel aurait bien pu exister aujourd’hui et nous montrer, dénoncer comme Maupassant le bal des crapules qui nous entourent, le monde de nos dirigeants, de nos hommes politiques, de nos grands patrons ?  Malheureusement, je n’en vois aucun, Maupassant reviens !!!!

 

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