Attention: ce n'est pas parce qu'on chronique un livre qu'on partage les idées de l'auteur. Mais parce que JD Vance est présenté comme plus dangereux encore que Trump, il me semble très utile de comprendre qui est cet homme, encore inconnu il y a peu. C'est la raison pour laquelle je publie cette critique d'un lecteur assidu.
En 2016, un jeune homme d’affaires américain, à peine trentenaire, veut raconter son parcours personnel. Comme tant d’autres, il a poursuivi, et largement atteint, le « rêve américain » de la réussite personnelle, avant tout financière et matérielle. Il tient à faire connaître son enfance, dans un milieu de Blancs pauvres, issus des régions désindustrialisées des Appalaches, du Kentucky à l’Ohio, (la « Rust Belt ») dont les familles ont subi dans les dernières décennies une chute dans l’échelle sociale et ont plongé dans l’alcoolisme, la drogue et la violence au quotidien. Ce jeune homme, un certain JD Vance, publie « Hillbilly Elegy » qui connaît un grand succès aux États-Unis. Fin 2016, Donald Trump est élu. Pour sa part, JD Vance adhère à la pensée libertarienne, un courant conservateur très hostile à l’État, incarné notamment par l’entrepreneur Peter Thiel.
Élu sénateur de l’Ohio en 2022, JD Vance se rallie, tardivement, à Trump et devient vice-président des USA début 2025. Son livre, déjà traduit lors de sa parution, fait l’objet de cette nouvelle édition. Sa lecture est recommandée par un certain nombre d’observateurs de la vie politique, même s’ils n’adhèrent pas à l’ultra-conservatisme revendiqué de son auteur.
Curieusement, un autre leader américain avait aussi écrit son autobiographie, alors qu’il était trentenaire et que commençait à peine à se dessiner un destin sortant de l’ordinaire. Barack Obama publie « Les rêves de mon père », en 1995 (il avait 34 ans). Son livre est traduit chez nous en 2008, l’année de son élection. Ayant lu avec intérêt à l’époque ce récit, j’ai voulu découvrir JD Vance « tel qu’en lui-même » et au même âge.
D’abord, qu’est-ce qu’un Hillbilly ? D’après le traducteur : « stéréotype sociologique de certains habitants des Appalaches. Équivalent du français péquenaud. » Cette appellation, apparue dès les années 1900, désigne le plus souvent les Irlando-Ecossais peuplant les Appalaches. Ce que confirme JD Vance : « Certes, je suis blanc, mais pas comme les WASP, White anglo-saxon protestants du Nord-Est. Au contraire, je me reconnais dans les millions de Blancs d’origine irlando-écossaise de la classe ouvrière américaine qui n’ont pas de diplômes universitaires. Chez ces gens-là, la pauvreté est une tradition familiale…Là où les Américains voient des « Hillbillies », des « rednecks » ou des « white trash », je vois mes voisins, mes amis, ma famille ».
Nous découvrons tous ces Hillbillies, et surtout la famille de l’auteur dans la première partie du livre : un père biologique absent, disparu dès ses premiers mois d’existence, une mère instable, qui change souvent de compagnon et se perd dans l’alcool et la drogue : « Dans l’Ohio, j’étais le fils d’un homme qui m’avait abandonné et que je connaissais à peine et d’une femme que j’aurais préféré ne pas connaître ». Heureusement pour le jeune James David, qui décrit avec une ironie mordante les différentes « figures paternelles » qui se succèdent auprès de sa mère, il trouve refuge chez ses grands-parents maternels : « A Jackson (Kentucky), j’étais le petit-fils de la femme la plus coriace que quiconque connaissait et du meilleur mécanicien auto de la ville ». Adolescent, il vit chez eux, et prend le nom de famille de Vance, celui de son grand-père, après en avoir changé plusieurs fois(!). Sa grand-mère le pousse à prendre au sérieux les études, d’abord au lycée, puis, après quelques années de service chez les Marines, à l’Université d’État de l’Ohio et à la prestigieuse université de Yale.
C’est donc le récit d’une jeunesse et d’un apprentissage de la vie chaotiques. Le personnage de JD Vance qui en ressort n’est pas vraiment sympathique, tiraillé entre une autodérision prononcée, des doutes profonds sur ses aptitudes (il considère que c'est son passage chez les Marines qui lui a appris à se comporter en adulte), une certaine violence de comportement, et l’ambition de « s’en sortir » typique du rêve américain. Les passages les plus émouvants concernent les relations avec sa mère (un mélange de détestation et d’attachement, il finit par l’aider lorsqu’elle risque de se retrouver sans domicile fixe) et surtout sa grand-mère qu’il adore. Alors que sa mère, qui va de cure de désintoxication en rechute, risque la prison, les services sociaux acceptent qu’il vive chez sa grand-mère : « Mamaw(son surnom) tuerait quiconque essaierait de m’éloigner d’elle. Ça fonctionnait, parce qu’elle était cinglée et que toute la famille en avait peur ». À peine entré dans la vie d’adulte, il a le malheur de la perdre. Épuisée par sa vie difficile, elle décède à 72 ans d’un pneumothorax.
S’il ne développe aucune thèse politique stricto sensu, JD Vance tient à y faire figurer de nombreuses références d’études sociologiques (il serait intéressant de savoir si les chercheurs universitaires cités continuent à travailler sans entraves financières ou autres…) qui alimentent une vision assez communautariste et catégorielle des questions sociales. Il évoque la disparition de l’activité minière (dans le Kentucky) et de l’industrie métallurgique (l’entreprise Armco dans l’Ohio), mais ce n’est pas l’économie qui l’intéresse, plutôt la réaction des gens, qui se considèrent exclus et se mettent à détester les élites politiques et économiques, tout en conservant un attachement à certaines valeurs patriotiques et familiales.
Il affirme que les services sociaux n’apportent pas les bonnes solutions. Il se considère dès sa jeunesse comme conservateur et individualiste. A chacun de trouver le moyen de s’en sortir, et les bons soutiens. Car il rend hommage à tous ceux qui l’ont aidé : sa grand-mère, des profs de lycée, une prof d’université, et enfin sa femme Usha, une brillante étudiante rencontrée à Yale et dont la préface de Christine Ockrent nous signale qu’elle a sacrifié sa carrière pour lui. En définitive, il dit avoir atteint son idéal : fonder une famille avec une femme formidable, des enfants et une belle maison.
À la différence du livre de Barack Obama, qui comporte une réflexion profonde sur le choix entre une attitude de révolte contre la société ou un engagement militant pour la réformer, on ne trouvera pas dans « Une famille américaine » le manuel idéologique des conservateurs ralliés à Donald Trump. Mais on y verra une description très riche, documentée et bien écrite de la vie des classes moyennes paupérisées aux USA et on pourra y faire des comparaisons intéressantes avec notre société. De plus, l’impression de chaos et de brutalité qui ressort de ces vies malmenées, fracturées, désordonnées, laisse bien entrevoir la vision du monde que veulent nous imposer désormais JD Vance et ses nouveaux amis.
Signé: Un fidèle lecteur