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Il nous fallait des mythes (Emmanuel de Waresquiel, Tallandier 2024)

Il nous fallait des mythes (Emmanuel de Waresquiel, Tallandier 2024)

La Révolution française est déjà un mythe à elle seule, rien que le mot résonne chez tous nos concitoyens. Ils s’y réfèrent constamment avec mélancolie, romantisme, et même un peu de nostalgie. Nos ancêtres se sont révoltés contre le roi et ont construit nos sociétés modernes, avec toutes les idées qui nous semblent tellement « naturelles » aujourd’hui : la démocratie, la séparation des pouvoirs, les droits de l’homme et du citoyen, la nation, la souveraineté du peuple, la laïcité (même s’il a fallu attendre 1905 pour qu’elle se stabilise), liberté, égalité, fraternité (même si ce n’est qu’en 1848 que le slogan deviendra la devise de la France) …etc.

Et aussi les côtés moins reluisants de l’identité française : « la gauche et la droite, une certaine culture politique de l’affrontement en lieu et place du compromis, le goût des mots et des abstractions, les rêves de « table rase » et de « salut public », la haine du riche, les silences de l’argent, la défiance et la méfiance, les comités de surveillance révolutionnaires réinventés en comités d’évaluation et de contrôle au nom du principe de précaution »…

Tout ce passé auquel nous nous référons en croyant le connaitre, n’empêche pas que nos démocraties soient en grand danger actuellement et que certains remettent tout ce « bagage » idéologique en question, au prétexte de l’efficacité.

« Raymond Aron remarquait dans Paix et guerre entre les nations que les périodes de crises ou de guerres ont souvent coïncidé avec une remise en cause du principe de légitimité et d’organisation des pouvoirs de l’État. Celles qui suivent ne vont pas sans un travail intense de reconstruction mémorielle.  […].Les hommages se suivent en rangs serrés et ceux qui les prononcent n’entendent que l’écho de leur voix. On commémore à vide. On envoie au Panthéon des cercueils vides. »

C’est pourquoi il est tellement essentiel de combattre l’actuelle « culture » de l’ignorance et de faire œuvre de mémoire, non pas à la lumière des échos que nous en percevons, mais comme une trame évolutive au fil du temps qu’il faut éclairer de bout en bout pour comprendre comment et pourquoi nous l’avons mythifiée.

C’est l’entreprise de l’auteur qui a beaucoup travaillé sur le XVIIIe siècle, d’ailleurs mon siècle préféré.

« Les discours qui disent le vrai de l’Histoire n’ont pas grand-chose à voir avec la vérité historique si celle-ci n’a jamais existé. Nous l’attendons toujours au bord du puits. »

« La mémoire est à l’Histoire ce que l’odeur est au temps, ce que les partis pris, les sentiments, les imaginaires sont à l’analyse et à la distance critique. L’historien en est le mécanicien. Il la démonte et la remonte. Il en observe les déformations selon le climat et les saisons. »

Emmanuel de Waresquiel développe dans ce livre quelques mythes de la Révolution française et, tout en parlant du pouvoir des signes, des symboles, et des légendes, il s’attache à démythifier (démystifier ?) quelques épisodes de la Révolution française.

Ce faisant, nous pouvons mieux comprendre ce qui a construit notre société, au gré des ballotements de l’Histoire.

Il prend ainsi comme exemples le Serment du Jeu de Paume, la prise de la Bastille, le drapeau tricolore, la guillotine, la mort de Marie-Antoinette.

Le Serment du Jeu de Paume, le 20 juin 1789, se décompose dans les faits en 3 actes : le 1er se passe le 17 juin, et il est plus fondateur que le Serment lui-même, trois jours plus tard, car c’est le jour où les députés du Tiers se constituent en assemblée nationale et enlèvent au pouvoir royal la faculté essentielle de lever les impôts. Le 3° se situe le 23 juin, date à laquelle les députés du Tiers État se déclarent inviolables. Mais nous n’avons retenu que le 20 juin, date à laquelle ces bourgeois de robe (ils étaient souvent avocats et hommes de loi) prêtent serment et signent deux registres dont l’un est destiné aux Archives. (Incroyable précaution, qui révèle bien les préoccupations légales de ces hommes).

De Waresquiel nous raconte la peur bleue des députés, convaincus qu’ils allaient, pour cet acte de rébellion, être passés par les armes. Un seul d’entre eux vient signer son opposition, il manque d’être lynché, puis le groupe (près de 500 députés) a considéré qu’il fallait garder trace de cette opposition comme signe de « démocratie ». La signature organisée dans le désordre par Bailly, (qui deviendra Maire de Paris avant d’être guillotiné lui aussi), est exigée comme une sorte de garantie collective contre la menace royale d’une arrestation. Personne n’avait conscience alors que cet acte était fondateur. Parce qu’il ne l’était pas, il l’est devenu. Ce serment va devenir sacré : « « Et là, le bras tendu vers l’Éternel, ils ont fait le serment de mourir plutôt que de se séparer avant que la France fût libre[…] : Nous jurons de ne jamais nous séparer et de nous rassembler partout où les circonstances l’exigeront jusqu’au jour où la constitution du royaume sera établie et affermie sur des fondements solides. »

Les commémorations de ce serment d'anthologie sont organisées dès 1790. Le tableau inachevé de David, la conservation du « temple » (le bâtiment) du Jeu de Paume à Versailles, finissent par conférer à cet acte, tour à tour, l’indivisibilité de la nation souveraine, une nouvelle sacralité laïque, la patrie, la liberté, les droits de l’homme, la haine des rois et, in fine, la réconciliation nationale.

Quant à la prise de la Bastille, racontée comme un moment d’héroïsme où le peuple de Paris, dans une bataille acharnée, aurait courageusement renversé l’arbitraire royal n'est tout simplement pas conforme à la réalité : la vérité est que le pont-levis de la vieille forteresse médiévale a été rapidement abaissé et que la résistance a été très faible. N’y étaient incarcérés que les prisonniers de rang aristocratique et ce n’était pas la prison la plus redoutée du peuple. Les insurgés cherchaient surtout des munitions qui avaient été entreposées là, car ils étaient persuadés que l’ordre avait été donné au mieux de tirer à boulets sur le faubourg Saint-Antoine, ou pire de faire sauter la forteresse…

Mais très vite, le mythe se construit : « L’ancienne prison d’État, qui de ses huit tours domine le faubourg Saint-Antoine, devient « l’antre fameux du despotisme ». On lui prête tour à tour des allures de donjon, de sépulcre et de tombeau. […] Cette délivrance-là, c’est le triomphe de la liberté. En 1874, Victor Hugo parle encore de la chute de la vieille forteresse comme de « la fin du supplice des peuples ».

Et le 14 juillet devient fête nationale…

Je ne détaille pas les autres mythes analysés par Emmanuel de Waresquiel, le livre est bien écrit et, je crois extrêmement utile pour décrypter nos symboles nationaux.

 

 

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