C’est un petit livre écrit par un grand génie. C’est un bestseller (n°2 des ventes après « La Meute » ou l’inverse) : il faut dire que la couverture presse a été maximum, on voit Giuliano da Empoli partout, et sur tous les plateaux.
C’est vrai que cet homme-là n’est pas n’importe qui. Né en France (Neuilly), il est de nationalité italo-suisse, (son père était un économiste de renommée mondiale), et il fraie depuis longtemps avec les élites politiques.
Il a le physique et l’élégance du personnage du Guépard, le côté aristocrate un rien condescendant inclus.
Il a été maire adjoint de la ville de Florence, avant d’être conseiller du Président du Conseil Italien Mateo Renzi (l’équivalent de notre 1er ministre), puis du Ministre Italien de la Culture Rutelli. C’est aussi un écrivain précoce (1er livre à 22 ans) , un journaliste célèbre attaché à plusieurs titres de la presse nationale italienne, et un enseignant de haut niveau. Vous aurez compris que cet homme-là est proche du parti démocrate, et qu’il est demandé un peu de partout en Europe. Il a fondé un think tank il y a 10 ans où il analyse les évolutions du monde contemporain.
J’ajoute que Da Empoli apparait aujourd’hui non seulement comme un fin analyste des politiques mondiales, mais aussi comme un bon visionnaire des mondes à venir.
Il a écrit notamment « Les Ingénieurs du Chaos » où il mettait en lumière l’influence néfaste des Spins Doctors et « Le Mage du Kremlin », un roman à clé inspiré d’une réelle éminence grise de Poutine et qui s’est révélé prophétique.
Dans celui-ci, qui est un essai, il développe, avec moult anecdotes issues de sa large expérience des hommes politiques, des idées qu’il présente depuis des années et qui sont, à mon avis, très pertinentes au moment où Trump a triomphé aux USA.
Voilà donc la thèse :
En s’appuyant sur l’exemple de César Borgia, dont Machiavel avait fait la figure du Prince, Da Empoli explique que les nouveaux maitres du monde ont attendu leur heure et sont prêts à trahir, à brûler, à saccager l’ordre avec lequel ils ont vécu jusqu’alors.
« Le Prince est le manuel de l’usurpateur, de l’aventurier qui part à la conquête de l’État. Les leçons que les Borgia de tous les temps peuvent en tirer sont fort nombreuses, mais l’une d’entre elles se démarque de toutes les autres : la première loi du comportement stratégique est l’action. En situation d’incertitude, lorsque la légitimité du pouvoir est précaire et peut être remise en cause à tout moment, celui qui n’agit pas peut-être sûr que les changements auront lieu à son désavantage. »
C’est ainsi que César Borgia, en 1502, a invité à un splendide repas la plupart de ses anciens alliés qu’il a ensuite fait passer par les armes. Tout comme Mohammed Ben Salman qui a séquestré les dignitaires de son pays dans un hôtel somptueux et les a fait torturer jusqu’à ce qu’ils lui cèdent un bon montant de leurs avoirs. Le but ? Unifier l’Italie pour César Borgia, et transformer l’Arabie Saoudite pour MBS, en la délivrant des vieilles barbes qui s’appuyaient sur l’intégrisme religieux pour assoir leur autorité.
Les Démocrates aux USA ne sont que les représentants d’un ordre ancien qui se légitime par la Justice (tous leurs élus sont avocats). Or il y a convergence entre les seigneurs de la Tech qui demandent de pouvoir transgresser les règles librement et les « borgiens » (les nouveaux dictateurs) qui contestent la démocratie au nom de l’efficacité. Car les entrepreneurs qui financent ces « borgiens » n’ont que faire des procédures juridiques. Les gestionnaires de fortune, la mafia « PayPal » ne cherchent pas à combattre la corruption qui les fait prospérer. Bien au contraire.
« Les borgiens sont des organismes particulièrement adaptés aux phases de turbulence, dans lesquelles un système politique est confronté à sa propre finitude et où les réponses à l’incertitude comme au danger ne se trouvent que dans la rapidité et dans la force. L’heure des prédateurs n’est, au fond, qu’un retour à la normale. L’anomalie ayant plutôt été la courte période pendant laquelle on a pensé pouvoir brider la quête sanglante du pouvoir par un système de règles. »
Seul compte le résultat, autrement parlé (par Machiavel) , la fin justifie les moyens. !!!
« Comme le dit si bien Javier Milei : « Quelle est la différence entre un fou et un génie ? Le succès ! » »
Quant à la droite chrétienne et réactionnaire, elle conteste la philosophie des Lumières, le changement climatique, défend la famille traditionnelle (et promeut d’ailleurs le mode de vie pastoral des anciens temps), refuse le féminisme et l’homosexualité.
Pour cette droite-là, le wokisme est du pain bénit, car il ignore la réalité des problèmes tels que la vie chère, l’immigration, le mépris de classe… Et stimule les injustices en abandonnant le rêve américain de promotion au mérite au profit de discriminations positives et autres parités non fondées sur le travail.
« Le populisme identitaire est un nationalisme de classes moyennes et populaires, capable de séduire une élite revancharde à l’égard du « gauchisme culturel ». »
Les seigneurs de la Tech ont, eux, une furieuse envie de foutre le bordel. Leur devise, c'est d’aller vite et de briser les choses.
Ce livre est très agréable à lire à cause des anecdotes et de l’humour de l’auteur.
Mais en le refermant, je me demandais si ces alliances bizarres où finalement le seul point commun entre les réacs, les chrétiens et les patrons de la Tech, c’est de renverser la table, avaient des chances de prospérer longtemps ensemble. A mon avis, il y aura des gagnants et des perdants et évidemment ce sont les plus puissants qui l’emporteront. Je parie, compte tenu de l’IA et de l’expansion des réseaux sociaux qui ont construit une autre forme de « démocratie » (redoutable car non régulée) , que ce sont les patrons de la Silicon Valley qui attraperont le pompon. Les armes ne sont plus celles de l’Industrie, mais celles de l’ « information » et, à ce jeu-là, les USA ont un immense atout, concurrencé d’ailleurs par d’autres prédateurs. L’Europe, à la traine, ne peut pas se relever…