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Mauvais élève (Philippe Vilain Ed. Robert Laffont, 2025)

Mauvais élève (Philippe Vilain  Ed. Robert Laffont, 2025)

Je ne voulais absolument pas lire ce livre.

J’avais lu des critiques qui parlaient d’une réponse de Philippe Vilain à Annie Ernaux, avec laquelle il avait entretenu une liaison amoureuse entre 1995 et 2000, soit quand il avait 24 ans et elle plus de 50. Visiblement la grande écrivaine ne s’en est jamais remise, car elle a écrit 2 livres et des articles sur ce sujet. Le dernier de ses livres date de 2022, soit plus de 20 ans après cette aventure.

Je ne voulais pas lire ce livre, non, non, et puis….j’ai rencontré Philippe Vilain dans une petite libraire italienne, « la Libreria », rue du faubourg Poissonnière à Paris. (je recommande chaudement cet endroit sympa !!!).

Je ne voulais pas, parce que je n’aime pas les déballages d’amoureux éconduits, et les haines recuites, surtout s’agissant d’histoires sentimentales et/ou sexuelles qui datent d’il y a plus de 25 ans. Et d’ailleurs, je n’aime pas du tout les romanciers et écrivains qui, comme Annie Ernaux, ne font que se regarder le nombril. Il n’y a aucune imagination à évoquer, certes avec beaucoup de dextérité littéraire, ses plaies, bosses, chagrins, avortements et autres péripéties de sa propre vie. Annie Ernaux en a fait un fonds de commerce et c’est bien pourquoi je me suis toujours tenue à l’écart de cette écrivaine, au demeurant injustement récompensée (elle n’est hélas pas la seule) d’un prix tout ce qu’il y a de plus prestigieux : le prix Nobel de Littérature !  

Ensuite parce que je me méfie des « transfuges de classe » (dans certains cercles, on parlait autrefois de  « traitres sociaux »). Cette nouvelle appellation a tout à coup surgi, je ne sais pas pourquoi. Peut-être pour que ces valeureux combattants d’un système oppressif aient envie de montrer à tous ce qu’ils ont dû endurer pour se hisser dans les hautes sphères, à partir de leur condition misérable de prolétaires voués aux échecs et surtout à la reproduction sociale. C’est certainement un moyen de se faire admirer, sur fond de misérabilisme, toutes choses qui m’écœurent littéralement.

Philippe Vilain, certes, est un transfuge de classe. Ses parents vivaient dans un milieu où on ne lisait pas, où on buvait pour supporter, où on ramait toute la journée pour élever sa progéniture, sans autre ambition pour ladite progéniture, qu’elle vive la même vie que la génération antérieure.

Philippe Vilain a redoublé sa 3°, je n’en dis pas plus, tout le monde comprend. La suite ? C’est le BEP, les filières d’apprentissage, et l’avenir dans un HLM. Mais il avait des rêves. Il dit lui-même que l’adage « quand on veut, on peut » est parfaitement hypocrite. Quand on veut on ne peut pas toujours, mais il est certain que lorsqu’on ne veut pas, on ne « pourra » absolument pas. Si le vouloir n’est pas suffisant pour franchir les obstacles qui vous clouent au sol, en revanche, il est indispensable pour affronter la quantité de travail et de sacrifices nécessaires à l’amélioration de sa condition. C’est ce qui lui a fait tenter un BAC Pro par le biais d’une filière d’adaptation, puis de tenter de continuer vers la FAC….jusqu’à obtenir un Doctorat. Chapeau, c’est vrai, car il a accompli tout ce chemin en seulement une douzaine d’années.

Arrivé là, le lecteur aussi peu attendri que moi se demande si l’égo d’un auteur reconnu aujourd’hui ne trouverait pas une jouissance singulière dans l’évocation des années de galère ?

Mais voilà ce qu’il écrit et qui m’a rassurée :

« je ne veux pas non plus idéaliser ce premier monde, lénifier sa violence, chanter les vertus de mon milieu à travers un populisme facile, ni davantage m’apitoyer sur mon sort ou exagérer mes souffrances pour mendier la pitié du lecteur par le biais d’un misérabilisme ou d’un dolorisme inconvenants, et, bien entendu, il n’est pas question de m’exonérer de mes responsabilités, encore moins de réduire l’échec de ma scolarité à une cause extérieure – l’alcoolisme de mon père – comme de laisser penser que j’aurais été un bon élève dans un contexte plus favorable. Je tente juste, sans fabuler ma vie, sans nier les déterminismes et les conditionnements, de restituer le plus fidèlement possible l’environnement dans lequel ma scolarité se déroula, en rendant compte des faits et de la diversité des facteurs (la pauvreté, l’alcoolisme, le manque d’encadrement de mes parents, la violence sociale, les inégalités culturelles, ma mélancolie) qui contribuèrent à infléchir ma trajectoire dans un sens plutôt que dans un autre, à me déterminer dans une direction, comme à me rendre indisponible pour les études, incapable de me concentrer pour apprendre, réfléchir et trouver ma place dans le système scolaire. Ces épreuves me marquèrent profondément et me firent prendre conscience de la fragilité des destins, de l’implacable logique d’une jeunesse que je traversais comme un fantôme. »

Ok donc, je comprends le sens de ce récit autobiographique.

À la moitié du livre, on en arrive à sa liaison avec Annie Ernaux. J’avais la crainte, même si je ne suis pas fan de cette écrivaine, qu’il se mette à régler ses comptes, ce qui aurait été inélégant vis-à-vis d’une vieille dame qui l’avait beaucoup aidé autrefois.

Il est vrai que de son côté Annie Ernaux, que décidément, je n’apprécie pas du tout, avait produit 2 livres, l’un « L’Occupation « l’autre « Jeune Homme », que je me suis décidée à lire avant celui de Philippe Vilain. Honnêtement Annie Ernaux confirme toutes mes appréhensions et pas Philippe Vilain. Son écriture est sèche, sans émotion, et surtout, elle n’est pas tendre du tout. Son ancien amant est présenté comme un « plouc », un « beauf », un jeune homme sans culture et sans intérêt, qui s’avachit devant les matches de foot commentés par Thierry Roland, le journaliste star du populo, le Dupont La joie de la Télé ! Elle est d’une méchanceté incroyable, et tout ça, en ayant l’air de ne pas y toucher. J’ai détesté !!! Et il ne faut pas dire qu’il s’agit d’une licence d’écrivain. Annie Ernaux écrit, elle le revendique, « la vérité », peu importe d’ailleurs pour elle la déontologie, elle s’en fiche.

Rien de tel chez Philippe Vilain qui reconnait tout ce qu’elle lui a apporté et qui manifeste toute sa gratitude. Mais il raconte aussi sa version des évènements. Son écriture est bien plus subtile, bien plus nuancée et surtout beaucoup moins froide que celle d’Annie Ernaux.

À l'entendre, en direct, lors de la rencontre avec lui à la librairie, s’il est conscient de la chance qu’il a eue de côtoyer Annie Ernaux, en revanche, il peine beaucoup à lire ce qu’elle a écrit sur lui, sur eux. Cette grande dame est méprisante (alors qu’elle se revendique, elle aussi, comme venant d’un milieu populaire), et, si elle écrit bien la vérité, ses présentations, ses « montages » (comme on dit à la TV) finissent par déformer le réel et le rendre plus vulgaire que ce qu’il a été. Le mensonge par omission est bien plus terrible que la fiction.

J’arrête là sur Annie Ernaux, pour citer un paragraphe qui m’a paru tellement juste :

« J’avais réalisé mon rêve de devenir écrivain, mais ce rêve se révélait décevant, car je m’étais attendu, très naïvement sans doute, en faisant des humanités et en m’introduisant dans les sphères les plus cultivées, à fréquenter des hommes et des femmes dont l’érudition promettait la profondeur d’une conversation, la poésie d’une méditation, l’humanisme d’une pensée, et si, bien entendu, je fis de très belles rencontres, si je nouai des amitiés profondes et durables avec des personnes intéressantes, intelligentes, fines et sensibles, je croisai cependant, en nombre, des vaniteux, avides de reconnaissance, méprisants, pour lesquels la littérature ne constituait pas un idéal, une passion sincère permettant de connaître le monde, de se comprendre ou de s’améliorer, mais était au mieux un passe-temps aimable, au pire un instrument pour conquérir du pouvoir, gagner un statut valorisant. »

C’est exactement ce qui a conduit au suicide de nombreux dissidents de l’Union Soviétique qui croyaient trouver dans nos systèmes capitalistes le Paradis sur terre…

PS: Philippe Vilain était à "La Libreria" parce qu'il s'est installé à Naples!!!

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