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Le vent passe et la nuit aussi (Milena Agus, Ed. Liana Levi 2025)

Le vent passe et la nuit aussi (Milena Agus, Ed. Liana Levi 2025)

Milena Agus est très chère à mon cœur à cause de son chef-d'œuvre « Mal de Pierres » qui racontait la vie de sa propre grand-mère, une vie complètement décalée, tant sur le plan social que psychologique. La grand-mère avait fait un mariage de raison, car elle était restée sans mari à presque 30 ans. Elle semblait si peu intéressée par le sexe qu’elle bénissait son mari d’aller dans les maisons closes jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive des coûts dilapidés et propose d’assurer elle-même, le "service" gratuitement. Je n’en dis pas plus, ce roman était absolument passionnant et si tendre et poétique dans son évocation des différents personnages qu’il faut vraiment l’avoir lu pour comprendre. 

Milena Agus est sarde d’origine (quoique née à Gênes de parents « émigrés de l’intérieur », comme beaucoup d’Italiens pauvres). Elle dit de sa famille qu'ils sont "sardes depuis le paléolithique". Et c’est donc en Sardaigne que cette professeure brillante a choisi d’exercer son métier, à Cagliari, au lycée où elle avait elle-même suivi ses études.

Son dernier roman « Le vent passe et la nuit aussi » (pas très bonne traduction, à mon avis, du titre italien : « Notte di vento  che passa », beaucoup plus léger), son dernier roman est l’histoire d’une jeune fille sarde, Cosima, qui vient d’avoir 18 ans.

Impossible de ne pas citer le roman autobiographique de la grande écrivaine sarde Grazia Deledda, prix Nobel de Littérature, qui s’intitule justement « Cosima » et qui raconte la vie d’une petite fille des montagnes sardes (j’ai visité la maison de Grazia Deledda à Nuoro), petite fille très curieuse de voir le petit frère qui vient de naitre et qu’on garde à l’étage.

Comme la Cosima de Deledda, celle de Milena Agus se réfugie dans la littérature qui lui permet de rêver et de refaire le réel.

Tout d’abord, pour les lecteurs français, il me faut préciser que la Sardaigne n’est pas essentiellement un pays de plages idylliques, cela ne l’a jamais été dans le passé. La Sardaigne est surtout un pays de montagnes, avec des vallées profondes, sombres, presque angoissantes. C’était un pays de bergers et de brigands, d’une très grande pauvreté, et les gens y avaient, comme souvent dans les zones reculées, un esprit de citadelle. Les sardes se sont toujours félicité d’avoir pu repousser tous leurs envahisseurs au travers des siècles. Il y a un coin de la Sardaigne réservé au tourisme de luxe (le nord est où sont situées les plus belles propriétés) et gardé aujourd’hui comme un camp retranché.

Mais l’ensemble de la Sardaigne traditionnelle est bien dans les villages perchés, à l’abri des côtes et surtout très farouchement repliés sur eux-mêmes. Il existe une mafia calabraise à laquelle il vaut mieux ne pas essayer de se frotter.

Mais dans ce livre, qui est un roman d’apprentissage, Milena Agus s’attache à décrire la nature, la vie, les villageois avec les yeux d’une rêveuse qui, comme son père artiste peintre mal reconnu, imagine son environnement, les gens autour d’elle, sa famille, ses copains de classe, comme des personnages de romans.

On découvre la grand-mère et la mère de la narratrice. La famille de Cosima a déménagé pour Cagliari, mais la grand-mère est restée au village. Cosima vient la voir les fins de semaine et lui apporte quelques provisions pour l’aider à vivre. La mère est la fille illégitime d’un homme marié, dont la grand-mère s’était éprise et qui n’a jamais reconnu sa fille. La mère est un personnage tourmenté, inquiet, pessimiste et geignard. Elle finira par mourir prématurément, gagnée par le désespoir d’avoir attendu toute sa vie une éclaircie dans son malheur. Son deuxième enfant, un garçon, est handicapé. Il sourit aux anges, il est adorable, mais il va rester muet, ce qui cause une charge supplémentaire dans une famille tiraillée par les nécessités économiques.

« Ma mère reproche à mon père de faire de la peinture. Et tu sais ce que m’évoquent de tels griefs ? Ce qu’a dit Grazia Deledda : Si ton fils écrit des vers, corrige-le et envoie-le sur le chemin de la montagne. Si tu le surprends une deuxième fois à faire de la poésie, punis-le encore. S’il y revient une troisième fois, laisse-le en paix, car c’est un poète. »

Cosima a deux amours, l’un à Cagliari, un enfant de parents très riches, revenus de Cuba et un autre à la montagne, un berger ombrageux dans lequel la petite voit l’ombre de Heathcliff , le séducteur dangereux des Hauts de Hurlevent.

Ce qui est surtout décrit, au travers des yeux de Cosima, c’est la beauté de la nature sarde, de ses coutumes, et de ses modes de vie.

« J’arpentais les sentiers sans désemparer, longeant les haies de figuiers de Barbarie et les murets de pierres sèches qui fermaient les parcelles, traversant la frange d’amandiers et d’oliviers pour rejoindre le bois de chênes verts et de rouvres aux minces troncs enchevêtrés, le sous-bois de ronciers, d’arbousiers et de chèvrefeuilles en fleurs, plongé dans le silence de l’hiver et odorant de froidure ».

L’intrigue est mince et ce n’est pas le meilleur roman de Milena Agus, mais c’est un hymne à la Sardaigne et une marque de gratitude à l’égard des écrivains qui ont nourri la narratrice.

« Je me rappelai les mots de Grazia Deledda : Et la nuit passe… l’homme assis devant la cheminée sait que tout est destiné à passer : le vent tombera, le calme reviendra, puis de nouveau, la tempête et après elle, le calme ; il suffit d’attendre, immobile comme la base de la montagne… »

 

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