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Les guerriers de l’hiver, par Olivier Norek (Editions Michel Lafon, 2024)

Les guerriers de l’hiver, par Olivier Norek (Editions Michel Lafon, 2024)

Voici un roman qui fait figure d’« ovni » dans cette rentrée littéraire. Un récit d’une guerre déjà lointaine, un épisode curieusement oublié ou jugé secondaire, de la Seconde Guerre mondiale : une guerre d’agression contre un petit pays européen, perdu dans les neiges du nord. Et qui est l’agresseur : l’Union Soviétique !

Olivier Norek, auteur de romans policiers à succès, mais aussi, en tant qu’ancien logisticien humanitaire, de réflexions sur les sujets de société tels que la crise migratoire et l’écologie, nous propose son premier récit de guerre.

Je ne recherche pas particulièrement ce type d’ouvrage, mais ce livre a été remarqué par l’actualité de son sujet et son style particulièrement concret et vivant. Je voudrais d’ailleurs souligner la grande modestie d’Olivier Norek qui, dans ses remerciements, n’hésite pas à rendre hommage à son collègue Patrick Manoukian « à qui j’ai volé avec son autorisation la seule et unique description possible du bruit des pas sur la neige, son inégalable crissement meringué ».

Novembre 1939. En septembre, l’Allemagne nazie a envahi la Pologne. La France et l’Angleterre ont déclaré la guerre à l’Allemagne, mais rien ne bouge : c’est la drôle de guerre. Dans la lointaine Finlande, après « le plus beau des étés », pendant lequel « la nature avait voulu gâter la Finlande quelques mois avant qu’elle plonge dans l’effroi », chacun, du plus humble villageois aux plus hauts responsables militaires et politiques, s’interroge sur les intentions du grand voisin soviétique, dirigé d’une main de fer par Staline, et provisoirement allié de l’Allemagne après le pacte germano-soviétique signé en août. Les jeunes mobilisables dans l’armée s’interrogent : « la Finlande n’a jamais été une menace pour la Russie. Alors de quoi Staline pourrait-il être effrayé, effrayé au point de nous envahir ? ». Oui, mais voilà : Staline anticipe un conflit avec l’Allemagne et réclame à la Finlande des territoires frontaliers (en Carélie et en Laponie) pour mieux protéger les régions de Leningrad et Mourmansk. Comme les négociations traînent, à titre préventif, les Finlandais décident une mobilisation des conscrits pour les préparer à la guerre qui menace.

Deux personnages m’ont marqué dans ce livre.

D’abord le héros principal, Simo, un jeune paysan finlandais d’un village frontalier, petit et malingre (a priori pas la carrure d’un combattant de choc), mais déjà reconnu comme un champion de tir. Son père lui avait appris dès l’enfance à chasser dans la forêt. « Nul homme n’est plus habile que celui qui, par les leçons de son père, acquiert l’art de faire, et Simo avait appris du sien l’art d’estimer les distances, suivant une pédagogie qui lui était propre ». Simo venait de remporter le championnat national de tir des Gardes civils de Finlande.

Ensuite, au sommet du pouvoir, le général Carl Gustaf Mannerheim, président du Conseil national de la Défense de Finlande. « À le regarder, la chose était insoupçonnable. Grand et élancé, septuagénaire à la belle moustache, le regard vif et perçant, dandy ou détective privé d’un Conan Doyle lui convenait mieux ». Un grand personnage : un baron d’une famille noble suédoise, de lointaine origine allemande, installée en Finlande quand cette dernière faisait partie du royaume de Suède. Il était célèbre par sa vie aventureuse et couronnée d’exploits ; né en 1867, sous la domination russe, il devint un brillant officier du tsar, puis commandant en chef de la toute nouvelle armée finlandaise après l’indépendance de 1918, et même régent provisoire du pays avant d’être battu à la première élection présidentielle. Toujours considéré comme le plus grand homme de la Finlande, il venait d’être nommé commandant en chef en 1939. On peut le comparer au Général de Gaulle.

Les Soviétiques attaquent par surprise le 30 novembre 1939, persuadés de briser en quelques jours ce petit pays. Mais une guerre terrible s’ensuivit, qui dura tout un hiver particulièrement froid, avec des températures jusqu’à moins 40, et une résistance héroïque des Finlandais dans leurs tranchées face aux tanks et surtout aux bombardements incessants de l’artillerie et de l’aviation (y compris sur les villes de l’intérieur). Simo devient un tireur d’élite, un sniper capable de tuer les soldats ennemis à 300/400 mètres de distance. À la fin de la guerre, le 12 mars 1940, grièvement blessé au visage (ce qui nécessita vingt-six opérations en quatorze mois !), il devint un héros national et reconnu comme « le meilleur sniper du monde » avec 542 soldats russes tués en 98 jours!.

Sur la base d’un très gros travail de documentation sur les personnages, tous réels, et les épisodes de cette guerre d’hiver, Olivier Norek la fait revivre de façon haletante aux deux niveaux extrêmes, des soldats transis de froid dans leurs tranchées et de l’état-major. Il sait aussi dépeindre le contraste entre la violence des combats et la beauté de la nature : « La nature s’était couverte de poudre glacée et Simo admirait en silence les ombres des sapins qui protégeaient le givre du soleil levant, dessinant sur l’herbe gelée leurs silhouettes argentées ».

Dans l’épilogue, Olivier nous rappelle les conséquences de ces combats : les Allemands observèrent que l’armée soviétique avait été tenue en échec par les combattants motivés et entraînés d’une petite nation. Remarquons au passage que Staline, son acolyte Molotov et leurs généraux envoyaient au front comme « chair à canon » de jeunes conscrits originaires du Caucase, d’Asie Centrale et d’Ukraine… Quant aux Allemands, cela incita Hitler à attaquer l’URSS dès l’année suivante en 1941.

Je voudrais compléter cet épilogue. Que s’est-il passé ensuite ? La Finlande a recherché une alliance, certes limitée, avec l’Allemagne nazie. Mais elle a refusé d’envoyer ses soldats faire le siège de Leningrad fin 1941. Des combats limités ont néanmoins eu lieu avec les Soviétiques. Puis Mannerheim, fin manœuvrier, a cherché le moment optimal d’abandon de cette alliance : à la mi-1944, il négocia avec les Soviétiques vainqueurs. À noter qu’il refusa toute persécution des Juifs durant cette période. Élu président de la République, il entama la période dite de « finlandisation » : neutralité face à l’URSS, interdiction de critiquer le grand voisin, mais préservation de l’indépendance et d’une économie de marché qui permit au pays de se relever de la guerre et de rejoindre le moment venu l’Union européenne.

Les Soviétiques, eux, avaient obtenu en mars 1940 des gains territoriaux importants en Carélie et en Laponie. Jamais ils ne les ont rendus. Les habitants Finlandais en ont été définitivement expulsés. Ce qui fut le cas de Simo à qui le gouvernement offrit une nouvelle ferme. La frontière actuelle est issue de cette situation.

Et, pour terminer et résumer le drame qu’a connu la Finlande, voici un échange entre un général et un de ses officiers : « De vous à moi, cette guerre n’est qu’un gigantesque suicide national. La gagner est impossible, nous sommes des milliers de soldats contre un million et nous n’avons comme alliés que la connaissance du terrain et un hiver que seul un Finlandais pourrait supporter. Nous la perdrons, c’est certain, mais c’est la manière de la perdre qui importe à Mannerheim. Soit nous capitulons entièrement, et le pays entier devient russe, soit nous tenons le coup assez longtemps pour que ce conflit devienne une gêne pour eux, auquel cas nous pourrons les forcer à entrer en négociations de paix, mais alors, chaque mètre perdu fera l’objet d’une annexion soviétique, car chaque mètre que les Russes parcourent aujourd’hui appartiendra demain à Staline. »

L’histoire ne se répète pas, mais le récit des évènements passés est bien utile.

Signé:mon ami normand

 

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