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Fabrice Lucchini lit Victor Hugo (théâtre de l'Atelier, Paris)

Fabrice Lucchini lit Victor Hugo (théâtre de l'Atelier, Paris)

Comme toujours avec Fabrice Lucchini, la salle est comble, les spectateurs viennent de tous les horizons et, manifestement, ce ne sont pas des grands habitués du théâtre classique.

C’est d’autant plus extraordinaire que justement Lucchini s’attaque à rendre populaires les textes des grands auteurs. C’était La Fontaine l’an dernier, c’est aujourd’hui Victor Hugo, ce monument de la poésie, du théâtre, du roman et de la pensée littéraire française.

Lucchini connaissait le défi : comment « présenter » un tel génie polymorphe ? Par où l’attaquer ? Que choisir ? Son œuvre est si immense qu’on ne sait pas par où commencer. Quel côté, quel angle privilégier sans affadir sa personnalité ? Il y a tant et tant de poèmes exceptionnels et tellement de facettes différentes, comment en trouver l’unité ?

Lucchini, avec sa diction précieuse, sa sensualité pour les mots, son caractère un peu hystérique, est, en lui-même, un personnage écrasant. Il fallait donc toute l’intelligence du comédien pour, non pas s’effacer, mais laisser la lumière sur Victor Hugo, ne pas accaparer le texte, ne pas le surjouer, l’avaler, mais au contraire le magnifier, le promouvoir, le rendre vivant et actuel.

Il a choisi sa perspective : ce sera la tragédie personnelle de Victor Hugo, qui a perdu sa fille de 19 ans, Léopoldine qui venait de se marier et qui s’est noyée avec son mari tout neuf, à Villequier, en Normandie, le 4 septembre 1843. C’était sa fille ainée, et la plus aimée. Victor Hugo apprend sa mort dans le journal, alors qu’il est avec sa maitresse Juliette Drouet. Et pour la première fois, Hugo, cet homme océan, cet homme siècle, vacille. A cette époque de sa vie, Victor Hugo est surtout occupé par le théâtre : Hernani, Ruy Blas, Lucrèce Borgia. C’est au théâtre qu’il a rencontré Juliette qui restera sa maîtresse toute sa vie. Il est reçu à l’Académie française et, comme il s’affiche royaliste, il est devenu le confident de Louis-Philippe qui le fera pair de France en 1845. Il a 40 ans et la gloire lui sourit.

Mais il a perdu sa fille chérie, il est blessé. Et c’est dans "Les Contemplations" que le deuil s’exprimera.

C’est le second axe de Lucchini. Parler des Contemplations, ce volume gigantesque de poèmes rassemblés alors que Victor Hugo était parti à Jersey d’abord, puis Guernesey. Dans ces maisons des iles anglo-normandes, Victor Hugo y est resté 20 ans, proscrit volontaire, car violemment opposé à Napoléon III, qu’il avait pourtant soutenu dans son accession au pouvoir. Napoléon III s’est fait Empereur en 1852 et Hugo n’a pu supporter le tyran. Il est parti, emportant femme, enfants et ….maitresse.

Il est parti, et il cède, en plein hiver, dans ces maisons en bord de mer, dans la pluie et le vent des îles océaniques, il cède, peut-être à la mode du moment, peut-être aussi à cause de l’ennui, à cause de la nostalgie, au spiritisme. Les tables tournent facilement et Hugo parle à Shakespeare, à Molière, à Caïn, et à bien d’autres célébrités. Lucchini s’amuse gentiment, et fait rire son public. Hugo va jusqu’à demander à l’esprit de Molière de revenir deux jours plus tard, car ils ne sont pas assez nombreux autour de la table !!!!

Le spectacle se termine avec le récit de Booz endormi, que Marcel Proust considérait comme le meilleur poème de Victor Hugo. Excellente présentation de ce poème, issu d’une rêverie de Victor Hugo autour de l’histoire de Booz et de Ruth, deux figures bibliques qui ont fondé Israël.

J’adore moi aussi les vers incomparables de ce poème dont je reproduis la fin :

« L’ombre était nuptiale, auguste et solennelle ;
Les anges y volaient sans doute obscurément.
Car on voyait passer dans la nuit, par moment,
Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.

La respiration de Booz qui dormait,
Se mêlait au bruit sourd des ruisseaux sur la mousse.
On était dans le mois où la nature est douce,
Les collines ayant des lys sur leur sommet.

Ruth songeait et Booz dormait ; l’herbe était noire ;
Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement ;
Une immense bonté tombait du firmament ;
C’était l’heure tranquille où les lions vont boire.


Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ;
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ;
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l’ombre
Brillait à l’occident, et Ruth se demandait,

Immobile, ouvrant l’œil à moitié sous ses voiles,
Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été,
Avait, en s’en allant, négligemment jeté
Cette faucille d’or dans le champ des étoiles. "

Lucchini a su rester humble et laisser place au plaisir d’entendre les si beaux poèmes de Victor Hugo, tout en les contextualisant par des commentaires des contemporains.

Pour ceux qui voudraient y aller, la liste d’attente est longue…

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