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La pensée perverse au pouvoir Marc Joly (Ed: anamosa, 2024)

La pensée perverse au pouvoir Marc Joly (Ed: anamosa, 2024)

La perversion narcissique est indéniablement « à la mode » depuis quelques années, c’est indubitable. Peut-être parce que, grâce à un remarquable psychiatre qui s’appelait Paul-Claude Racamier (mort en 1996), le premier à avoir identifié la « maladie », le succès de cette analyse s’ancre dans une société en crise où les pathologies psychiques se développent en même temps que les positions féministes se radicalisent ?

Marc Joly explique que lors de l’abominable réforme des retraites, il a vu et entendu, lors des manifestations, des slogans et des discours qui s’apparentaient au champ sémantique des femmes violentées. Déni, orgueil, violence verbale, mépris, état de sidération, absence d’empathie….les mêmes mots pour parler des responsables et les mêmes stratégies pour les affronter, notamment la tactique du disque rayé, conseillée pour répondre à la technique perverse.

Ayant travaillé depuis 6 longues années, comme sociologue, sur la question de la perversion narcissique, Marc Joly indique qu’il a été impressionné « par la capacité du leader de la CFDT à faire face aux pressions et manipulations de la macronie » et qu’il en a conclu que Laurent Berger savait probablement qu’il se débattait contre une logique perverse.

Dans ce livre, très documenté, Marc Joly ne cède pas à la tentation facile de psychanalyser Macron. Il s’agit surtout de vérifier une hypothèse : la pensée perverse de Macron n’est pas sans rapport avec les violentes crises sociales que nous avons traversées depuis 7 ans et qui sont sans précédent. Autrement dit, pourquoi en sommes-nous là ? Car la perversion narcissique a des caractéristiques sociales indéniables. « Concernant Macron, ma question était : que donne un mode de pensée pervers au pouvoir ? »

Le pervers ne peut pas exister tout seul. Il a absolument besoin des autres. Selon Racamier, la perversion est un mécanisme de défense, qui consiste à rejeter ses propres conflits sur quelqu’un d’autre. L’autre est considéré comme une chose, un instrument permettant de se débarrasser de ses problèmes. Le pervers refuse d’affronter ses conflits intérieurs et n’accomplit aucun travail sur lui-même, ne se remet jamais en cause, ne se reconnait aucune responsabilité, aucun tort. « Pour avoir la tête hors de l’eau, le pervers a besoin d’enfoncer quelqu’un », a noté la psychiatre Marie-France Hirigoyen.

Le pervers va alors susciter chez autrui des actes, des réactions, ou même des inhibitions qui « prouveront » ainsi que c’est lui, le pervers, qui a raison, que l’autre est en faute, et qu’il faut lui faire la leçon, le convaincre de sa responsabilité dans le conflit. C’est une tactique hypnotique, ou l’autre, vidé de sa substance, est contraint d’assumer les déraillements du pervers.

Marc Joly consacre un chapitre à la paradoxalité de Macron. Contrairement à l’ambiguïté, (dont Macron est incapable) qui serait un authentique « en même temps », la paradoxalité, vise à paralyser l’action tellement « on ne comprend pas », tellement les positions défendues sont contradictoires. Mais justement Macron prétend que les contradictions sont compatibles, parce qu’il défend mordicus que les contradictions n’en sont pas. Par exemple, Macron défend Depardieu tout en prétendant lutter contre les violences faites aux femmes. Il va jusqu’à supprimer la CIVISE (Commission indépendante sur l’Inceste et les Violences sexuelles faites aux Enfants), tout en assurant protéger les enfants. Il abuse de la formule « j’assume » qui devrait le conduire à être responsable et à en tirer les conséquences, mais dans sa bouche « j’assume » est synonyme pour lui de « je me félicite ».

Voilà quelques caractéristiques de la pensée perverse :

  • Prédisposition à se présenter sous un jour favorable, voire exceptionnel. Attrait pour l’apparence, choix d’un entourage flatteur et complaisant. « Il faut chaque jour l’alimenter en comparaisons historiques, en l’incitant à mimer le passé, mais aussi l’entretenir dans l’idée qu’il est incomparable, unique, et qu’il fait ce qui n’a jamais été fait avant lui »,
  • Confiance excessive en son propre jugement et mépris pour autrui : Le Président répète à l’envi  « Je n’ai pas attendu que », véritable tic verbal, qui révèle son sentiment d’omniscience et d’omnipotence.
  • Absence totale d’empathie, cachée par une façade séductrice. La pensée perverse contraint, empiète, pénètre, absorbe et dilacère, elle “prend la tête”, opérant insidieusement à la façon d’une grenade à fragmentation. » Paul-Claude Racamier (Pensée perverse et décervelage, 1992)
  • Destructivité : le sujet tente de compromettre une autre psyché car « Le pervers narcissique se fait valoir aux dépens d’un autre ». « Il agit par intimidation, produisant perplexité, paralysie, dévalorisation, envahissement de l’esprit par de la culpabilité chez ses victimes, qui finissent par accepter tout genre de compromission au détriment de leur estime de soi, à accepter même de démanteler un aspect de leur narcissisme ou de justifier, voire d’exécuter, des actes contraires à leur morale propre ».

De fait, nous citoyens, sommes sidérés par ce que, dans un premier temps, nous avons considéré comme du culot et qu’aujourd’hui, nous comprenons comme un franchissement de toutes les barrières juridiques et morales, un piétinement constant des institutions, certes mal ficelées, mais qui auraient dû et pu être respectées dans leur esprit. « La Ve République souffre d’un vice de conception (elle ne tranche pas entre les régimes parlementaire et présidentiel) et d’un vice de reconception (étant donné la manière dont l’élection du président de la République au suffrage universel a été rendue possible en 1962). Elle porte en elle un fantasme monarchique qui est complètement vain et inefficient, mais dont Macron s’est emparé. C’est que la perversion prend au pied de la lettre les idéaux, les valeurs, les mythes d’une société, mais en les coupant de leur histoire et en les personnalisant à outrance. »

La démonstration de Marc Joly, extrêmement argumentée et illustrée de multiples exemples, est implacable, très convaincante et nous aide vraiment à comprendre notre malaise. Car la folie au pouvoir, si elle n’est pas nouvelle ni rare, produit des effets délétères sur nos sociétés.

Je dois absolument noter, avant de conclure, que ce livre, pour rigoureux qu’il soit dans l’analyse de la pensée perverse de la macronie, est selon moi totalement dans l’erreur en ce qui concerne la lutte contre le wokisme. Marc Joly considère que la macronie alimente les critiques anti-woke. Or, pour suivre la logique développée ici, il est évident que la macronie est aussi woke que la LFI, car cette idéologie vise justement à culpabiliser, à jeter le discrédit, à délégitimer (sous couvert d’appartenance prétendue à l’extrême droite) toutes les critiques vis-à-vis d’une outrance communautariste et séparatiste. Mais Marc Joly est, lui aussi, pris dans un système : il est chercheur au CNRS…. Comme quoi, on peut être perspicace sur un sujet et victime d’un courant de pensée….mais heureusement ce n'est pas le sujet essentiel de son essai qui reste, pour moi, une référence dans l'analyse objective de notre situation sociale actuelle.

 

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