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Les Confidences . Marie Nimier (Ed Gallimard 2019)

Les Confidences . Marie Nimier (Ed Gallimard 2019)

C’est parce que Marie Nimier vient de publier un nouveau volume, intitulé « Confidences Tunisiennes », que je me suis attachée à lire le premier qui s’intitule tout simplement « Les Confidences », paru en 2019.

L’idée de Marie Nimier est de recueillir des confidences tous azimuts, de manière totalement anonyme, et d’en faire des petits morceaux de fiction. Dit comme ça, on pense que c’est facile, et qu’on pourrait tous transcrire des confidences que nous avons reçues au fil du temps. Mais non, pas du tout, car il est impossible de transcrire, mot pour mot, ce qui a été confié de manière brute, ce qui a été déversé, débité, dégorgé, sans ordre ni intérêt pour tout autre que celui qui se livre ainsi.  Ce ne sont pas des confessions individuelles qui peuvent résonner pour un lectorat épris de littérature. Les récits de vie ne sont pas en eux-mêmes des romans, quoi que beaucoup le pensent. Il faut le talent d’une grande écrivaine, sa sensibilité, sa délicatesse, pour que ces petits récits acquièrent la profondeur, l’étrangeté ou la poésie qui parleront à tous les lecteurs. 

Marie Nimier s’est donc installée pour 2 mois environ dans une salle prêtée par sa mairie après avoir placardé partout dans la ville, les indications suivantes :

APPEL À CONFIDENCES

Une phrase entendue dans l’enfance, un acte que l’on regrette, un bonheur volé. Une pensée qui vous tourmente ou vous fait sourire. Un rien du tout, mais qui revient, sans que vous sachiez pourquoi.

Un désir. Un remords.

Une peur qui retient votre esprit en otage…

Une romancière recueille confidences, confessions et autres secrets

Pour garantir l’anonymat, Marie Nimier faisait entrer les rendez-vous pris par messagerie, après s’être bandé les yeux. Ce qui supposait qu’elle ne prenne pas de notes et que tout se fasse de mémoire, justement en fonction de ce qui sonne, qui touche, qui remue en elle quand elle écoutait ces confidences. Et de ce fait, Marie Nimier était bien obligée de s’impliquer, de mélanger sa vie à celles qui lui étaient livrées. C’est ce qui rend cette « expérience » si singulière d’ailleurs.

On s’attend au pire dans ces conditions, vous ne pensez pas ? Elle-même a tout de suite été prévenue par un mot laissé dans la boite aux lettres du site : « CETTE GAMINE ELLE A ÉTÉ FINIE À LA PISSE. » Charmant, en effet !

Marie Nimier a eu peur, comme elle l’écrit, au tout début, que les gens ne parlent que de viols, de mensonges, d’obscénités.

Mais non, les récits s’enchainent sans se répondre, ils évoquent parfois de simples situations vécues dans l’enfance, ou des émotions gardées secrètes, ou encore des petits drames quotidiens dont on n’imaginerait jamais qu’ils puissent avoir eu de tels retentissements.

Je cherchais depuis quelque temps à travailler sur la honte, un sentiment mal appréhendé par la psychanalyse et la philosophie, et ce que je dirais de ces récits c’est qu’ils sont tous des illustrations de la « honte ». On peut avoir honte de soi, mais aussi du comportement d’autrui. On peut avoir honte de quelque chose ou action jugée répréhensible, ou bien d’avoir éprouvé une émotion, une joie, un plaisir, une haine, etc.. qu’on s’interdit de ressentir ou qui est prohibé par les bonnes mœurs.

On peut avoir honte d’avoir pensé, simplement pensé, à quelque chose ou quelqu’un que l’on ne s’autorisait pas. On peut avoir honte d’être surpris, ou alors justement de n’avoir pas été dévoilé, d’avoir réussi à cacher, ou d’avoir réussi tout court, on peut avoir honte d’avoir révélé un secret, ou au contraire de l’avoir gardé pour soi. C’est vraiment un sentiment d’autant plus puissant qu’il est en général inavoué ou inavouable. Et il peut s’agir de tout petits faits, de détails quasi invisibles, de sentiments ténus, mais qui, parce qu’ils restent « dans la crypte », stagnent très longtemps sans qu’on sache pourquoi..

Bref, j’ai trouvé dans ces petits récits les multiples illustrations de ce sentiment que tout le monde a éprouvé dans sa vie et qui, loin d’être éphémère, finit par hanter notre vie, tellement obsédant qu’il est même indispensable de le confesser à quelqu’un d’inconnu, pour tenter de s’en débarrasser.

En voilà quelques exemples qui apparaitront comme tout à fait insignifiants, voire absolument mesquins (ah oui, c’est peut-être ça le plus pénible à supporter : la mesquinerie de ces secrets…) sans le talent de Marie Nimier :

  • Une femme a donné 20 euros à un clochard. Elle lui en veut, car il ne lui a pas rendu la monnaie.
  • Une commerçante a mis une poire pourrie dans le kilo acheté par une aveugle.
  • Une fille n’a pas compris le dernier message de sa mère mourante.
  • Une femme a été humiliée, jeune fille, par sa meilleure amie.

J’arrête, cela n’a aucun sens, il faut lire ces récits racontés pour la plupart à la première personne et qui sont parfois de la poésie pure, parfois des contes fantastiques, ou d’horreur, parfois des drames sentimentaux.

Marie Nimier ne peut pas ne pas avoir été impactée par ces confidences. Entrer si près dans l’intime des autres, et en restituer toutes les passions au travers de petits riens, nous parle à nous aussi, à notre humanité souffrante, à notre commune misère, à nos mesquines vies, parfois…

 

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M
Merci de cette présentation de cette œuvre particulière qui ne peut se résumer et invite à être lue
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C
Ce livre nous fait réfléchir à nous aussi sur ce qui nous a tellement troublé et que nous n'avons confié à personne, je suis certaine que tout le monde possède ce type de secrets. Merci Michèle de ton commentaire