Beaucoup de livres ont été publiés qui ont pour toile de fond cet hôtel mythique, Place Vendôme à Paris. Et cela va des livres de cuisine, aux livres d’histoire sur cette vénérable institution, aux romans policiers, essais, photographies etc. En voilà quelques-uns : Francis Scott Fitzgerald :Le diamant gros comme le Ritz, Georges Lepré : le Ritz magie d'un palace et de ses vins, Mélanie Benjamin : La Dame du Ritz, Alexis Gregory : Ritz, Claude Roulet :Tout sur le Ritz !, et Ritz : une histoire plus belle que la légende etc.
Sur la période particulière de l’Occupation, il faut citer le livre référence de Tilar J. Mazzeo 15, place Vendôme : Le Ritz sous l’Occupation.
C’est que cet hôtel 5 étoiles, est considéré comme l'un des plus beaux, grands et luxueux hôtels au monde. Fondé par l'hôtelier suisse César Ritz, en collaboration avec le chef Auguste Escoffier, en 1898, le Ritz a accueilli et accueille encore des personnalités politiques, des vedettes du cinéma, de la chanson, etc Jean Cocteau, Colette, Paul Morand, Marcel Proust, F. Scott Fitzgerald, Ernest Hemingway, mais aussi Sacha Guitry, Coco Chanel, Arletty, Charlie Chaplin, Madonna, et Diana Spencer (dans son ultime séjour, puisque Mohammed El-Fayed était propriétaire de l’établissement) et tant d’autres composent sa clientèle.
Un tel hôtel qui a vécu 125 ans d’histoire, est donc le témoin privilégié des bouleversements de l’Histoire durant tout le XX ° siècle.
La période de l’Occupation est particulièrement intéressante, car l’hôtel, considéré comme terrain neutre puisque ses propriétaires étaient suisses, a été le QG de l’élite militaire allemande. La Luftwaffe y a installé son quartier-général tandis que son chef Hermann Göring s’est attribué la suite impériale.
L'établissement y a pourtant dissimulé des aviateurs alliés, des fugitifs, des Juifs ou des résistants dans des pièces secrètes ou dans des chambres de bonne.
Le propos de Philippe Collin est, dans ce roman très minutieusement documenté, de suivre la vie du barman de l’hôtel, dont il se disait qu’il aurait eu une action dans la Résistance, au nez et à la barbe des nazis à qui il servait des cocktails.
Philippe Collin a effectué de nombreuses recherches d’archives et presque tous les personnages qui apparaissent dans cette fiction, ont une réalité. L’auteur a utilisé très habilement les armes de la fiction pour reconstituer les échanges, les pensées et les interactions entre les personnes. Ce qui donne un livre très vivant, quasiment un scénario de film. Franck Meier, le barman, parle à la 1ʳᵉ personne, dans un « journal » inventé par l’auteur, qui permet de lire les pensées d’un homme astreint au secret et à la dissimulation.
« Les gens ici ne voient qu’un barman habile de ses mains et dieu des bouteilles. Comme si j’avais toujours été là, comme si j’étais né derrière mon bar.
Exilé volontaire d’une vie qu’il a rejetée, Frank Meier cache un secret : il est juif. »
C’est donc un procédé très habile que de le faire parler tout haut dans ce livre.
« Mon père est né à Lodz au milieu des pogroms. Il a vu les siens pourchassés, et parfois pendus par des hordes blondes. Il a fini par tout brûler avant d’émigrer dans les montagnes du Tyrol. Il m’a donné un prénom autrichien, au grand désespoir de ma mère, fille d’un petit rabbin de Budapest. Il a refusé que je sois circoncis. Pas question non plus de m’inscrire sur les registres de la synagogue : il a décrété que plus personne ne serait juif dans sa descendance ».
Tout au long des années d’occupation, le barman va servir de boîte aux lettres dormante pour l'opération Walkyrie, qui visait à assassiner Hitler, complot qui a malheureusement échoué. C’est lui aussi qui essaiera de sauver Blanche Auzello — née Rubenstein —, juive américaine, épouse du directeur Claude Auzello, torturée par la Gestapo en juin 1944.
Il décrit avec beaucoup de saveur quelques hauts personnages qui fréquentent l’hôtel et le bar, comme ce portrait de Göring qui révèle des mœurs bien éloignées de la virilité d’acier prônée par le parti Hitlérien.
« Rien chez Hermann Göring ne s’accorde avec sa réputation de Grand Veneur. On dirait plutôt un vieux muscadin vêtu d’un kimono en mousseline de soie sur un pantalon bleu lavande et chaussé de savates en cuir ornées de pierreries. Son visage coule, boursouflé et pâteux. Sa peau est recouverte de fond de teint et il s’est parfumé d’un Guerlain aux fragrances exotiques. « Je suis un homme de la Renaissance », a-t-il déclaré en désignant la coiffeuse en bois laqué d’un vert bouteille qu’il a fait installer dans sa suite. Le chantre de la virilité nazie adore se maquiller dans son miroir à deux vantaux. »
Et voilà encore quelques personnalités qui fréquentent le bar :
« Florence Gould ajuste son étole en soie moirée et avale le fond de sa coupe de champagne comme on gobe un antidépresseur. À côté d’elle, Barbara Hutton reste muette, elle n’a pas touché à son verre de brandy. Son fin visage auréolé d’un chignon blond est blême et parfaitement immobile. Elle ressemble à une statue de cire. Serge Lifar, lui, a bu deux whiskys japonais en dix minutes, et il vient d’en réclamer un troisième. Seul Guitry trouve encore la force d’avoir de l’esprit pour tromper son désarroi :
– Si la grande faux s’invite à la fête, mes chers amis, nos nerfs vont être soumis à rude épreuve. Il vaut mieux penser à la mort le matin, parce que le soir, c’est vraiment trop triste ».
Grâce à son flegme et à la distance qu’il sait conserver entre les clients et lui, Frank Meier va ainsi traverser toute la guerre sans qu’il soit amené à collaborer, mais au contraire, en utilisant sa position d’observateur, en essayant d’aider subrepticement la Résistance.
J’ai bien aimé découvrir ce personnage de l’ombre et toutes ses astuces pour non seulement passer inaperçu, mais également pour agir en faveur de la justice.