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Un mois avec un populiste (Anna Bonalume, Ed Fayard 2022)

Un mois avec un populiste (Anna Bonalume, Ed Fayard 2022)

Anna Bonalume est une jeune (36 ans en 2024 !) journaliste franco-italienne très douée et bardée de diplômes (elle est diplômée en philosophie de l’Université de Milan et possède un doctorat dans la matière de l’École normale supérieure de Paris.) Elle a travaillé comme productrice à Paris pour Rai 3, le seul canal TV italien qui a gardé un peu de cervelle. Elle est chargée de cours en philosophie à l’Université Paris XII et, en 2019, elle a tenu un cours sur “le cinéma et l’Empire” à la Haute École d’Économie de Saint-Pétersbourg. Elle parle couramment le français, l’allemand, l’anglais et l’italien.

C’est donc un esprit extrêmement bien fait qui publie en 2022 ce livre: « Un mois avec un populiste », où elle raconte la campagne électorale de Matteo Salvini en janvier 2020 en Émilie-Romagne notamment, fief historique de la gauche démocrate et région déterminante pour l’avenir du mouvement populiste de Salvini.

Déjà en 2019, L’Ombrie, après cinquante ans de gouvernance de la gauche, est passée sous la présidence d’une candidate de la Ligue, le parti de Salvini. C’est un tremblement de terre, car ces Régions du Centre de l’Italie ont toujours été bien gérées et connaissent un développement économique florissant. Pour mémoire, Bologne, en Émilie-Romagne, dépasse aujourd’hui, en PIB, la capitale économique de l’Italie, c’est-à-dire Milan.

Salvini est, à l'heure actuelle, Vice-Président du Conseil (n°2 après Georgia Meloni) et son mouvement compte plusieurs ministres dans la coalition d’extrême droite au pouvoir.

L’Italie est bien connue pour son instabilité politique, conséquence d’institutions calquées sur le modèle de celles de notre IV° République : c’est un régime parlementaire, où l’exécutif est issu du Parlement, Sénat et Chambre des Députés ayant les mêmes pouvoirs législatifs. Seul le président de la République est stable, pourtant lui aussi issu d’un vote complexe de parlementaires, mais il n'a quasiment pas de pouvoir.

En général, comme dans toutes les institutions élues à la proportionnelle, aucun parti n’obtient de majorité absolue. Il est donc nécessaire de faire des alliances et ces alliances varient en fonction des mouvements arrivés en tête.

Le Parti de Salvini, la Ligue, est le plus ancien parti de l’Italie contemporaine. Les précédents partis traditionnels se sont effondrés ces dernières années, comme en France, au profit de populistes comme Forza Italia (de feu Berlusconi), ou le mouvement 5 Étoiles (de l’humoriste Beppe Grillo) ou de petits partis qui commencent à s’organiser (comme pour nous, celui de Zemmour). Dans cette dernière catégorie se trouvait, jusqu’en 2022, le parti de Georgia Meloni, « Fratelli d’Italia », clairement néo-fasciste, aujourd’hui leader de la coalition gouvernementale.

L’instabilité est telle qu’il y a eu 20 gouvernements en 20 ans en Italie. La moyenne de vie d’un gouvernement est donc d’un an environ.

Pourquoi faut-il s’intéresser à l’Italie ? Parce que, selon l’avis de Bonalume, mais cet avis est couramment partagé, l’Italie est un véritable laboratoire d’expérimentation des idées politiques. Après avoir porté au pouvoir le Parti démocrate (centre gauche), l’Italie a adoubé des complotistes comme le Mouvement 5 Étoiles et se trouve aujourd’hui la 1ʳᵉ des vieilles démocraties à « expérimenter » une femme d’extrême droite. Les tests grandeur nature effectués par l'Italie sont souvent précurseurs de ce qui se passe ensuite dans d'autres pays européens.

Anna Bonalume constate que les mouvements politiques en Italie se créent à partir de rien ou en utilisant de vieilles recettes réactualisées. Ces partis commencent par faire 3% des voix et tout s’enflamme aux élections suivantes. Ils sont portés au pouvoir avec 40% des voix, montent une coalition, puis disparaissent quasiment aussi vite qu’ils étaient arrivés. Ceci s’est passé pour presque tous les mouvements récents, sauf Forza Italia, avec Berlusconi, qui a profondément raviné le paysage politique italien pendant 20 ans.

Salvini a créé son mouvement :  "La Ligue de Salvini", à partir de la Ligue du Nord de Bossi, un parti autonomiste qui voulait séparer l’Italie du Nord de l’Italie du Sud, peuplée de "fainéants", coûteux et mafieux.

Salvini a compris que ce séparatisme ne triompherait jamais et a cherché à fédérer des voix en Italie du Sud, notamment en Calabre, terre éminemment mafieuse, en changeant de paradigme. Désormais, l’Italie de "la Ligue" est tout entière unie contre les migrants, migrants qui ne gêneraient pas plus que ça les Régions du Sud où ils ne feraient que passer. Les migrants s’empressent, en effet, de remonter la botte en quête de régions plus riches, ou bien sont directement employés par la mafia comme « esclaves » employables sans conditions. Bref, on est passé de la défense du nord, à "l’Italie d’abord".

Bonalume donne une image de Salvini très différente de ce que l’on en savait au travers des médias. Salvini, en effet, a coutume (avait coutume ?) de s’exposer torse nu, en référence à Mussolini ou dans des attitudes virilistes, pour manifester son autorité, argument apprécié chez les électeurs de l « ordre ». En outre, comme tous les populistes, il a son franc-parler qui lui permet de se revendiquer comme "une personne du peuple ". Et si Bossi, de la Ligue du Nord, parlait de l’« avoir bien dure «  (« Ce l’aveva duro », je suppose la tête !), la parole favorite de Salvini concerne les « boules »("le palle"). Il dira ainis de sa grande copine, Marine Le Pen que justement, elle les a les « boules ». Les ennemis, (entendons par là les démocrates), eux, n’ont pas de « boules » et au contraire, « nous les brisent ». On pourrait donc croire que ce machisme assumé conduit à des attitudes borderline avec les femmes.

Or Anna Bonalume affirme qu’avec elle, jolie jeune femme blonde, Salvini s’est toujours comporté avec respect, ce qui n’a pas été le cas de tous ceux de son équipe.

C’est que Salvini est un animal médiatique, un forcené de l’empathie, qui renifle très rapidement l’état d’esprit de son interlocuteur ou d’une foule et s'y adapte. C’est un vrai caméléon, qui sait se transformer, y compris physiquement pour répondre aux attentes de ceux qu’il veut séduire. Elle l’a vu adopter le style « gauche intello » avec pull sur l’épaule et T-shirt bleu clair dans les villes universitaires du Centre. Et, par contre, le look lunettes noires-costume sombre en Calabre, pour mimer un boss de la mafia.

Anna Bonalume explique que ce qui le caractérise, c’est l’absence totale de vision stratégique, de projet et même de calculs politiques, finalement. Il se conforme si aisément à son auditoire, c’est un tel opportuniste, qu’il peut à la fois défendre les valeurs chrétiennes de la droite catho et en même temps s’en prendre aux humanitaires qui sont coupables de rescaper des naufragés au lieu de les laisser couler en mer. Tout en arborant de grands crucifix autour du cou, il s'est fâché avec le Pape.

Finalement, la seule opposition que Salvini a eu à affronter, c'est celle d'un peuple plein d’humour qui a trouvé à le ridiculiser par le mouvement des "sardines". En effet, pour répondre à un énorme mensonge de la Ligue de Salvini qui prétendait avoir rassemblé des centaines de milliers de personnes sur une place grande comme un mouchoir de poche, quelques esprits malicieux ont lancé le signe de ralliement des sardines. Tout le monde devait venir aux meetings de Salvini avec un pin's ou une affiche montrant des sardines serrées dans une boite pour se moquer des chiffres donnés par Salvini. C’était la réaction du bon peuple contre le populisme.

Bonalume dit que Salvini n’a aucun ADN. C’est comme ça qu’il a préconisé la sortie de l’euro, de l’Europe, pour en arriver à changer son fusil d’épaule aujourd’hui, alors que l’UE donne à l’Italie des milliards pour son plan de relance. Plus question de sortie aujourd'hui, ce qui impliquerait que l’Italie garde toute seule ses migrants, sans compensations ! (Macron, lui, a tellement bien négocié, que la France ne fait que payer sans rien avoir obtenu !!!)

In fine, Salvini n’a pas réussi à faire tomber l’Émilie-Romagne ni à dominer la coalition de droite et d’extrême droite arrivée au pouvoir à la suite de la démission forcée de Giuseppe Conte, ancien président du conseil que les intrigues de Salvini avaient poussé vers la sortie. Aujourd’hui, si les partis de Meloni et de Salvini se présentent séparément aux élections européennes, ceci ne sera pas en faveur de la Ligue de Salvini. Astucieuse, Giorgia Meloni a su manœuvrer pour plaire à Ursula Van der Leyen en cachant le plus possible son idéologie postfasciste tout en agissant conformément à cette idéologie en politique intérieure. Cette duplicité lui permet de jouer sur tous les tableaux et notamment vis-à-vis de la question cruciale des migrants, qu’elle réussit à transférer, pour partie, en Albanie.

À suivre donc, ce laboratoire est très instructif. Marine Le Pen est très proche de Salvini, pas de Georgia Meloni, c'est intriguant...

 

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