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Averroès et Rosa Parks (film France 2024)

Averroès et Rosa Parks (film France 2024)

Les noms du film sont les noms de 2 unités de l’Hôpital psychiatrique de Charenton, structure hospitalière gigantesque, destinée à l’internement des patients d’Île-de-France.

Nicolas Philibert poursuit son travail d’enquête commencé avec l’ADAMANT, une péniche amarrée à Paris et qui sert d’hôpital de jour pour les personnes compatibles avec une autonomie suffisante.

Ici, les patients sont derrière les portes, enfermés, mais, bien sûr, on n’y voit plus beaucoup de barreaux, c’est l’architecture qui sert essentiellement de clôture. Les portes et les murs blancs servent à replier l’espace sur lui-même, comme dans un couvent. Les bâtiments se suivent autour de cours intérieures où se plaisent de grands arbres, et où les patients déambulent sous les arcades qui longent les cours. Architecture concentrationnaire, peut-être aussi, mais cela ne parait pas non plus être un mouroir, un des cercles de l’enfer, un lieu honteux où cacher les délaissés de la vie.

Comme le film est tourné l’été, probablement en été 2022, il y a du soleil et de la végétation, de la lumière, de la convivialité, ce qui ne donne pas un aspect lugubre et gris aux espaces tant extérieurs qu’intérieurs.

Nicolas Philibert n’a pas cherché à nous montrer la vie dans ces lieux, pas de vues de la cantine, pas de participations aux activités organisées, et pas non plus de visite des chambres. Intimité respectée et volonté de ne pas faire de l’hôpital un lieu de vie, car c’est vrai, c’est un lieu thérapeutique, mais pas (ou ne devrait pas être), une solution d’hébergement pour ceux qui n’en ont pas.  

Le film se concentre sur la parole donnée aux malades, lors d’entretiens le plus souvent individuels avec un psychiatre. Ces entretiens sont organisés au détour d’un couloir, dans un coin de salle, voire dehors, sous les arcades, car il ne semble pas y avoir de salle dédiée à ces dialogues. Selon les cas, les moments de la journée ou les saisons, on s’installe dans un sur deux chaises face à face, ou bien sur un bout de table et on entame la conversation.

Nicolas Philibert a pris le parti, non pas de nous montrer la prise en charge psy des patients, mais les efforts des soignants pour leur donner la possibilité d’exprimer leur projet de vie. Je le dis tout de suite : peu formulent des projets, mais au travers de leurs parcours, on comprend certains des maux de notre société : les boulots mal payés, les familles qui font ce qu’elles peuvent, mais qui s’en sortent difficilement, les destins brisés par la maladie.

Mais je crois que l’essentiel de ce film documentaire, qui dure 2 h 30, c’est de nous présenter un miroir de notre société. À travers les yeux des malades, tout défile : les questions de religion, de laïcité, la défaite de l’école et les questions d’éducation, l’abandon de l’hôpital psychiatrique, la solitude de la ville, les élections et l’impasse démocratique où notre pays est plongé, la guerre en Ukraine, la pollution, le nucléaire et ses dangers, le manque d’amour et de sexualité, la nécessité de travailler, le besoin d’être utile et autonome, la peur, la souffrance d’avoir perdu des êtres chers, la mort, l’art, la recherche de la beauté.

Dans un lieu si fermé, et avec le regard d’hommes et de femmes en souffrance psychique, je n’aurais pas imaginé que toutes les questions qui agitent notre société soient évoquées de manière aussi pleine de bon sens, de logique, et surtout de lucidité.

Une des malades dira même qu'elle n’aimerait pas être à la place des soignants, qu’elle voit bien qu’ils sont surchargés, stressés, et qu’ils ont affaire à une population très difficile.

De temps en temps, les psychiatres parlent de sorties sous conditions, de projets provisoires de logements en ville, ou en famille d'accueil, et on a l’impression de voir le bout du tunnel. Mais on ne les voit jamais partir vraiment.

C’est un très beau film, ce n’est pas étonnant de la part de ce réalisateur extraordinaire qu’est Nicolas Philibert. Il faut tout de même réussir ce tour de force : s’il n’y avait pas l’image, et donc la vision de ces bouches tordues, en hyper salivation, de ces yeux perdus dans un autre monde, de ces corps qui ne savent pas rester en place, si on entendait simplement les conversations et surtout les avis des malades sur les questions sociales, politiques et d’actualité, on aurait réellement l’impression de gens ordinaires, de conversations de bar ou de métro, d’analyses qui pourraient appartenir parfaitement à l’un ou l’autre d’entre nous. Bref, ces fous sont tout à fait comme nous, ils sont nous.

Un film très attachant, à voir avec tendresse et une pointe d’humour.

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