Amateurs de films d’action passez votre chemin!. Ce film accomplit la prouesse de ne rien raconter, si ce n’est la vie ordinaire d’un homme seul, qui exerce un des métiers les moins prestigieux qui soient : il est employé par la Ville de Tokyo pour nettoyer les toilettes publiques.
Il vit dans une maison extérieurement délabrée, se lève à l’aube pour son travail, va aux bains publics, ne parle quasiment à personne, et a surtout une vie complètement réglée, chaque jour la même routine, les mêmes gestes, les mêmes déplacements avec son vélo puis avec la fourgonnette de la Ville où il transporte son matériel et ses produits.
Vu comme ça, on se demande bien ce qui peut faire la matière d’un film.
Oui, mais cet homme, peu extraverti à cause de sa culture et peut-être aussi de sa personnalité, possède quelques passions, d’ailleurs très éloignées de celles que nous connaissons aujourd’hui. Il lit des livres, de vrais livres en papier, il prend des photos, de vraies photos tirées à partir d’une pellicule, il écoute des cassettes de musique des années 70, des cassettes comme autrefois, il n’a pas de smartphone, n’utilise pas les réseaux sociaux, ne pratique pas les jeux vidéos, ni la télé.
Il vit un peu comme il y a 50 ans, et dans son monde, il n’y a pas foule. Les photos qu’il prend sont des images de feuillages d’arbres, absolument toujours les mêmes, et il les range soigneusement dans des boites étiquetées.
Il va chez une vieille libraire et se laisse guider par les livres qu’il voit, souvent des titres publiés il y a des années.
Les rares évènements qui surviennent dans son train-train sont relatifs à la vie de son collègue, à qui il prête de l’argent pour qu’il puisse courtiser sa belle, ou à l’arrivée soudaine de sa fille, venue s’échapper chez lui du corsetage ennuyeux de sa mère, une femme fortunée qui a refait sa vie et dont la sphère sociale ne croise jamais celle de son ex-mari.
Rien donc d’extraordinaire ne vient troubler la solitude et les habitudes de cet homme qui s’efforce de rester propre, digne et en bonne santé.
Pourquoi donc ce film est si hypnotique que nous sommes tous restés sans voix au générique de fin, scotchés que nous étions tous à l’écran désormais noir ?
C’est qu’il y a quelque chose de très profond dans cette description. Quelque chose qui touche au magique. Quelque chose que nous cherchons tous, sans avoir l’idée de ce qui pourrait bien nous l’apporter.
La recherche de la beauté. Cet air de mystère, cette retenue, cette disposition à la contemplation, ces aubes citadines, ces couleurs de la nature dans un parc, ce respect pour ce qui nous entoure, cette délicatesse. La beauté.
Même s’il faut nettoyer les toilettes, le travail peut être bien fait, on peut aimer ses propres gestes, son utilité sociale. Même si on est seul, on peut rester digne, se respecter. On peut replier son futon de la même façon chaque jour et que ce geste devienne un geste d’amour. On peut construire une mystérieuse aventure avec quelqu’un qu’on ne connait pas. On peut secourir un enfant. On peut admirer le rythme des saisons. On peut comprendre le désarroi de quelqu’un d’autre.
La recherche de la beauté. Voilà l’essence de ce film grave, lent, intériorisé.
Un film de grand maître. Wim Wenders nous montre un chemin de vie, le chemin du bonheur, à mille lieux de nos solutions actuelles. Cela fait du bien.
Film Japonais de Wim Wenders. Avec Koji Yakusho, Aoi Yamada, Tokio Emoto (1 h 59).