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Comme après (Matthieu Megevand Actes Sud 2024)

Comme après (Matthieu Megevand Actes Sud 2024)

Personnellement, je suis toujours très intéressée quand de grands écrivains racontent la traversée de leur maladie, parce qu’ils ont l’art de trouver les mots et de restituer les émotions qui me font du bien, qui me montrent que je ne suis pas seule, et que je peux y trouver un miroir de mes souffrances.

Matthieu Megevand revient ici sur un traumatisme qu'il a subi, celui du cancer, à un âge où on n'a, en principe, pas prévu d’affronter sa propre mort à la suite d’une longue maladie. À 21 ans, il raconte comment il a appris ce qui s’était subrepticement déréglé dans son corps et comment il a bien été obligé d’y faire face. Il s’agissait du lymphome d'Hodgkin. « Autrement dit : cancer des ganglions. »

La maladie n’a jamais aucun sens, encore moins à l’âge tendre, elle est un scandale quand il s’agit d’enfants et elle est absurde quand il s’agit de jeunes gens qui entament leur vie d’adulte. Mais après quelques réticences, y compris des soignants qui tentent d’écarter le pire le plus longtemps possible, le diagnostic et la vérité tombent en couperet. Et tout de suite des chiffres sont donnés, encore plus incompréhensibles que tout le reste. 9 chances sur 10 d’en réchapper. Car, comme on n’est qu’une seule personne et non pas dix, c’est 100 % si la mauvaise statistique nous concerne.  

Puis ce sont les « traitements ».

« Je suis alors piqué au doigt, piqué dans la veine, piqué dans la moelle, piqué à l’aine, piqué au sternum, des petits bleus ou des croûtes rougies émaillent mes bras, piqué et relié à un fin tuyau, infiltré par je ne sais quelle chimie, et à chaque fois, en quelques heures, les liquides cramoisis ont raison de moi. Garder le lit, la tête bourdonnante, les membres endoloris, des faiblesses d’ivrogne aux jambes, prier pour que cela ne dure pas, cela dure pourtant. Le mélange agit, il brûle et dévore, cela s’insinue entre chaque tissu, chaque muscle, chaque petit morceau de chair, les potions grignotent tout sur leur passage, elles ne distinguent rien, ni bon ni mauvais, ni sain ni infecté, elles contraignent, annihilent, tuent, il faut que je tienne bon et que je leur survive. »

Et c’est le cheminement intérieur de la peur : je n’aurais pas de femme, pas d’enfant, cet anniversaire sera le dernier, ce Noël, cette fête….

Mais ce livre, et c’est son originalité, ne concerne pas la traversée de la maladie, mais la traversée de « l’après ». Après rémission, les médecins parlent de retrouver « sa vie d’avant », son libre arbitre, son emploi du temps, ses amours, son travail ou ses études.

Et, ce que décrit Matthieu Mégevand, c’est à quel point c’est impossible de revenir à la légèreté, à l’insouciance, à l’innocence même, de la vie AVANT.

Il n’y a plus de vie AVANT. Se fondre dans la foule, effacer toutes les angoisses, partir en vacances, faire des folies, se divertir, oublier, boire trop, s’étourdir, changer de maison, d’avis, s’inscrire dans une université, danser avec des amis, changer de copine, parler de la pluie et du beau temps….. tout est marqué, taché, empoisonné par quelque chose…on ne sait pas bien quoi tout de suite, mais c’est comme si on avait franchi un seuil, et que l’on était entré dans un nouveau monde.

Un nouveau monde d’abord ponctué par le suivi en oncologie. Les scanners, les prises de sang, les RV avec les hôpitaux…cela ne serait rien s’il n’y avait pas LA PEUR. LA PEUR que la maladie ne se réveille, l’angoisse d’y retourner et le sentiment d’avoir échappé presque par hasard, à un destin bien plus implacable que ce que les médecins, qui veulent toujours croire aux forces de la vie, ont pu prévoir.

« Non, ce qui me saisit, c’est d’avoir soudain senti que quelque chose m’épiait, me pistait, qu’une menace sourde était sur le point de me tomber dessus. Qu’il existait une part inquiétante dans ma vie qui pouvait, à tout instant, se rappeler à moi. »

En d’autres termes, cela s’appelle l’épée de Damoclès. Tout le monde pense que c’est pareil pour tout le monde, que nous ne « savons ni le jour ni l’heure », ainsi qu’il est écrit, et que donc nous avons tous une épée de Damoclès. Certes, mais voilà, en fait, non, ce n’est pas pareil.

« Je suis surveillé. Non pas guéri, mais en rémission. Je cherche alors le mot dans un dictionnaire : pardon accordé par Dieu au pécheur repentant. Atténuation temporaire des symptômes d’une maladie. »

Et déjà ça, ce n’est pas pareil Qui est « surveillé » étroitement dans sa vie physique ? Certainement pas ceux qui sont libres ! La liberté d’un être en rémission est une liberté surveillée. Et, avant chaque examen, l’angoisse fuse. Et voilà la vie d’un malade en rémission :

« D’un côté, la régularité des examens médicaux, tous les trois mois, scanner, prise de sang, résultats transmis par l’oncologue. Quelques jours, parfois même plusieurs semaines à l’avance, je me mets à craindre, à repenser, à broyer du noir. Et si… Il y a aussi toutes les crises qui surviennent sans motif. Une petite masse dans la cuisse, de légers vertiges au réveil, un peu de fatigue après une semaine trop arrosée. La mécanique s’enclenche. »

De cette angoisse, de ce malaise, on essaie de se dégager comme on peut. Le plus fréquent est la solution trouvée par l’auteur :

« Je me mets à voir un psychothérapeute, me lance dans des séances d’acupuncture, d’hypnose, j’ingurgite des huiles essentielles, du radis noir, des tisanes de ginkgo, je prends des cours de méditation, supprime le lactose, m’inscris à un groupe de sophrologie, emprunte des livres sur le chamanisme, le tao, la respiration holotropique. »

Et le plus douloureux peut-être, ce sont les « autres ». Impossible de communiquer ce type d’inquiétude, impossible d’en parler, impossible pour eux de comprendre et de ne pas commettre d’impair. Comment transmettre un sentiment de sursis, une crainte de ne pas pouvoir détecter les signes de reprise de la maladie, comment expliquer que tout projet devienne difficile à concevoir même simplement à 15 jours près ?

D’autant qu’on en voit d’autres qui ont eu moins de chance, les fameux 10%, et qui lâchent en cours de chemin.

« Et je me rends compte de l’indécence qu’il peut y avoir à ressasser, encore et encore, cinq, dix années plus tard, sur cette maladie dont j’ai pourtant guéri et qui n’est plus qu’un lointain souvenir. Que bien d’autres n’ont pas eu cette chance. Plus jeunes, après plus de souffrances et de terreurs, ils ont disparu pour de bon sans laisser de trace. »

On finit souvent par adopter une pensée magique ou religieuse, croyant ainsi non pas conjurer le sort, mais se mettre à l’abri au cas où. C’est la période où on rencontre plein de charlatans qui prétendent avoir guéri des cas plus complexes que les nôtres, et qui proposent des « thérapies » toutes plus extravagantes les unes que les autres, mais qui sont censées nous protéger de la foudre.

Je ne dévoile pas ce qui a permis au narrateur de retrouver le lien avec le monde et la vie, mais je voudrais simplement ajouter à quel point son analyse est pertinente, sur un sujet rarement abordé et qui, au fond, explique comment on vit avec un stress post-traumatique.

Dans les cas de cancer, ces bouleversements suivent inévitablement, à mon avis, la 1ʳᵉ rémission. À lire pour comprendre les autres et se comprendre. L’auteur écrit parfaitement bien et ses descriptions sont d’une justesse imparable.

 

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R
Je suis comme toi (cf premier paragraphe) ...
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C
c'est vrai, et cela d'autant plus que nous partageons tous le m^me sort : nous sommes en sursis...en liberté provisoire, bref en danger de rechute
P
Devrait on trouver une parade à la justesse de chacun? A méditer
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P
J'en sais quelque chose... .😉
C
Oui, mais surtout il est vraiment important d'accompagner ceux qui sont techniquement "guéris" car il n'y a pas que la technique, il y a LA VIE aussi