Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

L'enfant brûlé (théâtre Ateliers Berthier, Paris)

L'enfant brûlé (théâtre Ateliers Berthier, Paris)

Stig Dagerman était un écrivain suédois qui s’est suicidé en 1954 à 31 ans, par asphyxie avec les gaz d’échappement d’une voiture. Composée seulement de 4 romans et quelques nouvelles, son œuvre se caractérise par un ton mécanique, un style distancé, et surtout l’expression de profonds malaises psychologiques.

Stig Dagerman était l’enfant naturel (abandonné par sa mère ) d'un père ouvrier, et d'une mère qu’il ne retrouvera que lorsqu’il aura 19 ans. Mort très jeune, il a eu une vie mouvementée, comme on le constate souvent pour les gens très précoces intellectuellement.

Stig Dagerman est élevé par ses grands-parents à la campagne. Il arrive à Stockholm en 1932 pour vivre avec son père et finir ses études. En août 1943, il épouse une fille de réfugiés allemands, pour qu'elle puisse bénéficier de la nationalité suédoise et rester en Suède, son père, militant anarcho-syndicaliste, étant recherché en Allemagne. Il en divorce en 1953 et épouse une actrice, un an avant qu’il ne se suicide.

Mais très tôt, à 19 ans, il est devenu journaliste dans des journaux syndicaux, affecté aux pages culturelles et il publie son 1ᵉʳ roman à 23 ans.

L’Enfant brûlé est un roman original, dans la veine de l’écriture de Samuel Beckett, et de l’inspiration des écrivains du Nouveau Roman. L’histoire n’est pas le motif du roman, il s’agit d’une trame qui apparait en creux, dans les non-dits, les blancs, les silences, les trous de la narration. Le texte de Stig Dagerman mêle au récit à la 3ᵉ personne, des "lettres" à la 1ʳᵉ personne que le personnage central s’envoie à lui-même. On retrouve, dans ce procédé, celui qui a été largement utilisé par les auteurs de Nouveau Roman : il s’agit de parler, de faire parler, un personnage, en renonçant au point de vue Balzacien où le romancier entre dans les pensées de ses personnages (ce qu’on a appelé l’omniscience de l’auteur). Le point de vue est donc clairement identifié et reste extérieur quand il ne s'agit pas de texte utilisant le "je".

L’écriture de Stig Dagerman dans ce roman est une écriture blanche, neutre, non intrusive. Les « confessions » de son personnage central permettent d’entrer dans ses hallucinations et fantasmes, d’une manière un peu obscène, narcissique, que le lecteur n’est d'ailleurs pas avide de partager. En fait, ce livre nous met mal à l’aise, parce qu’il présente, certes sous un mode poétique, mais sans aucune emphase, les délires et dérives d’un cerveau perturbé, qui souffre d’un sentiment d’abandon et en tous les cas, d'une pathologie mentale caractérisée.

« Il n'y a rien d'aussi beau que les premières minutes de solitude avec celui qui pourrait nous aimer, avec celui que l'on pourrait aimer. Il n'y a rien d'aussi silencieux que ces minutes, rien d'aussi saturé de suave attente. C'est pour ces quelques minutes qu'on aime et non pour toutes celles qui suivront. »

J’en viens à l’histoire.

Bengt est un jeune homme qui vit avec son père Knut. Sa mère vient de mourir, ce sont les 1ᵉʳˢ mots du spectacle comme du roman. « On enterre une femme à 2 heures et à 11 heures et demi, le mari est dans la cuisine devant le miroir fendu au-dessus de l’évier. Il n’a pas beaucoup pleuré. S’il a les yeux rougis, c’est qu’il n’a presque pas dormi ». Bengt a une fiancée : Bérit, une jeune fille très effacée, qu’il maltraite d’ailleurs sans vergogne. Car Bengt, dans sa douleur de la perte de sa mère, devient complètement psychopathe. Il est animé de pulsions violentes à l’encontre de sa fiancée (qu’il viole) mais pas seulement : on le voit fétichiser les souliers et la robe rouge de sa mère, ses bas, entendre sa voix – imaginaire - au téléphone, fixer à s’en brûler les yeux le cierge de l’enterrement de sa mère, etc…

Je ne connais pas bien les manifestations des différentes maladies psy, mais cela semble évident que cet adolescent est fortement perturbé. Il en arrive à tuer son chien, lance des pierres au hasard, exprime des désirs pervers, tente de se suicider à plusieurs reprises. Il est plus qu’inquiétant.

La mise en scène de Noémie Ksicova est à l’image de la psychologie de Bengt. Très belle et très tourmentée. On change de décor fréquemment comme Bengt change d’état mental d’un instant à l’autre. C’est parfois un peu trop, on passe beaucoup de temps à changer de décor, quelques fois seulement pour une seule scène, c’est un peu trop systématique et cela finit par lasser.

Par contre, c’est vrai, il y a des scènes de neige magnifiques, des scènes au bord du lac où les acteurs plongent en maillot de bain dans l’eau, eau qui fait des reflets chatoyants au mur, des scènes nocturnes splendides où les ombres passent en contrejour devant le plateau. Le plus frappant, c’est l’utilisation des sons. La scène de viol et la scène de l’assassinat du chien sont simplement suggérées par des sons. « Non » dit 3  fois Bérit dans le noir (et on comprend qu'elle n'est pas consentante), et le chien crie en coulisses (et on comprend qu'il est tué). Très bien, car il n’est pas nécessaire que la violence soit démontrée en pleine lumière pour être ressentie avec toute sa force. D’ailleurs, il n’y a aucune insistance sur les actes de violence. C’est très court, et cela suffit. Noémie Ksicova travaille sur l’ellipse, la concision, le langage théâtral de la suggestion. C’est très bien vu.

Vraiment ce qui est magistralement trouvé dans cette pièce, ce sont les bruitages. Les pas qui crissent dans la neige, la réverbération des sons, les voix des acteurs micro-amplifiées ce qui permet les chuchotements etc…

Par contre, j’ai trouvé les personnages peu crédibles. Je ne suis pas arrivée à avoir peur de la maladie mentale de Bengt. L’acteur n’est pas suffisamment inquiétant. Il semble au contraire péter la santé, avec un corps sculpté en jeune éphèbe qui revient de la salle et une mine apaisée. Rien à voir avec un type maléfique qui se prépare au pire.

Les femmes non plus ne sont pas convaincantes. Gun, la maitresse du père, ne joue pas les femmes fatales, les mangeuses d’hommes, les mères abusives comme Phèdre, les femmes qui dévorent les enfants. Le père, qui est censé être ébéniste, n’est pas non plus habité par son rôle d’adulte immature, épris de boisson plus que de paternité. Il n'y a pas de tension visible entre le père et le fils, Pas d'érotisme non plus entre les femmes et le fils ou le père. Pas de "vie" charnelle entre les personnages. Je veux bien qu’il n’y ait guère d’histoire et que le parti pris soit celui d’une succession de « tableaux » qui suggèrent le chaos, le trouble, l’impossibilité d’une cohérence, d’un continuum, et donc la présence de la mort, partout, dans les interstices, à travers les silences, au-delà des cloisons, mais tout de même. Il aurait fallu donner plus de poids aux personnages, car, au final, c’est le chien qui avait la présence la plus intense.

J’ai adoré ce chien, incroyablement intelligent et dressé sans aucune faute ! Bravo à ce chien, un acteur hors pair !

d’après le roman de Stig Dagerman
mise en scène Noëmie Ksicova

Avec:

Lumîr Brabant (Bérit), Vincent Dissez (Knut), Théo Oliveira Machado (Bengt), Cécile Péricone (Gun)
et le chien Mésa

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article