C’est une très belle histoire que nous raconte ici Emma Dante.
Une histoire de mamans d’adoption, une histoire de générosité, une histoire d’amour.
Trois femmes habitent dans un taudis plein d’ordures et de saletés. Ce sont des prostituées. Des prostituées à l’ancienne, pas de celles qui travaillent en ligne. Des femmes d’un certain âge, qui assurent, avec l’argent des passes, le quotidien de leur survie, sans plus. Elles sont grosses, ridées, très ordinaires.
Elles élèvent comme si c’était le leur, un enfant orphelin et handicapé mental. Cet enfant, elles l’ont recueilli, à la mort de la mère, qui a accouché prématurément sous les coups de son souteneur.
La situation est donc tout à fait sordide.
Mais c’est sur ce tas d’ordures, dans ce dénuement, et dans les bas-fonds d’un monde sans fenêtres ni espoirs que surgit la beauté, la beauté qui n’est pas remplie d’apitoiement ou de plaintes, la beauté à l’état pur, comme un diamant caché.
Ces femmes dont on voit le corps prostitué, presque nu, accomplir les gestes obscènes nécessaires à leur métier, en deviennent belles, elles aussi, malgré la cellulite, malgré la fatigue des visages et l’usure du temps. Elles acquièrent progressivement, au cours du spectacle, une dimension de sainteté, jamais exagérée, jamais surjouée.
Miséricorde, Miséricordia, en italien…Le cœur dans la misère. "L'amour maternel est le plus près de la miséricorde divine." (Robert Charbonneau).
Le synonyme de miséricorde est clémence, pardon, pitié qui amène au pardon.
Ces femmes vont entourer le garçon débile de tout leur amour, se mettre à sa portée, le faire grandir comme s’il était comme les autres. Et c’est justement cet amour « miséricordieux » qui va transformer ce garçon en enfant « normal ». Ce n’est pas magique non plus, on n’en voit peu, mais enfin ce gosse incapable de parler, et d’être le moins du monde autonome, va finir par articuler « Mamma » à la fin. Par s’habiller, par s’asseoir comme tout le monde. C’est vraiment très beau.
Ce que j’ai beaucoup admiré, c’est l’éclosion de cette beauté, sans volonté de faire pleurer. C’est comme une lumière, un soleil qui se lève lentement. Pas de recherche de sensiblerie. Pas d’envie de geindre.
Mais seulement l’attendrissement, quelque chose comme un des plus nobles et dignes des sentiments humains qui tient de l’émerveillement et de la gratitude.
Et pourtant l’enfant quitte le taudis pour être placé en orphelinat, mais les trois femmes savent qu’il faut que le garçon parte pour pouvoir, peut-être, connaitre une vie convenable, une vie humaine.
Emma Dante est une metteure en scène sicilienne dont je ne rate jamais aucun spectacle. La pièce est jouée en italien surtitré, enfin de l’italien…qu’on ne comprend pas du tout car c’est du dialecte sicilien. Même les natifs italiens sont largués…eux qui en Italie, n’ont pas le droit aux surtitres.
Texte et mise en scène Emma Dante
Avec Italia Carroccio, Manuela Lo Sicco, Leonarda Saffi, Simone Zambelli
Théatre du Rond Point Paris