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Proust, roman familial (Laure Murat Ed Laffont 2023)

Proust, roman familial (Laure Murat Ed Laffont 2023)

À la voir sur un plateau TV, Laure Murat, la cinquantaine un peu enrobée, cheveux courts, pantalons, n’a rien de flamboyant ni dans sa tenue ni dans son aspect physique et pourtant …c’est une authentique Princesse !

Son livre est tout bonnement génial.

Elle a réussi à éviter de nombreux pièges dont le titre n’arrive pas à lever l’ambiguïté, finalement. « Proust, roman familial ».

On se dit tout d’abord, bon voilà encore une glose sur La Recherche, que va-t-elle nous raconter de nouveau, après les grands proustiens comme Jean-Yves Tadié ou Antoine Compagnon ? On pense aussi que ce livre arrive peut-être une année trop tard, car c’était en 2022, le centenaire de la mort du grand homme. Enfin, et comme Laure Murat le fait elle-même remarquer, personne ou presque n’a lu toute la Recherche. Les chiffres des ventes sont éloquents : alors que La Recherche est toujours citée parmi les œuvres majeures de la littérature mondiale, mis à part les 2 premiers tomes, tous les autres ne se sont vendus qu’à moins d’un million d’exemplaires chacun, et ce, en cumulé depuis 100 ans !!!!

Mais que veut-elle dire avec ce complément de titre : « roman familial » ?

Laure Murat est une descendante de Joachim Murat, un copain de Napoléon Bonaparte devenu, en épousant la sœur, le beau-frère de l’Empereur et, par sa grâce, Roi de Naples. Noblesse d’épée donc, d’autant que l’une de ses grands-mères s’appelait Ney, du nom du grand Maréchal d’Empire, un héros au courage légendaire, connu pour s’être illustré sur les champs de bataille et être mort en soldat, fusillé à Paris, après la chute de Napoléon, courageux jusqu’à refuser le bandeau devant le peloton d’exécution.

Mais Laure Murat hérite aussi de la noblesse de robe, sa mère étant une De Luynes, dont les armoiries remontent à Louis XIII.

Donc « roman familial » s’explique par le fait qu’elle a retrouvé, dans La Recherche, la trace de ses ancêtres… Et voilà le 1ᵉʳ écueil. Si Laure Murat n’avait, dans ce livre, fait qu’évoquer le souvenir de ses aïeux qui, sous des jours nécessairement travestis par l’écrivain, apparaissent dans La Recherche, cela aurait été intéressant mais aussi assez barbant, car nous, pauvres hères qui n’avons pas eu la chance d’avoir d’illustres ancêtres, nous fichons bien de la réalité des personnages proustiens. L’évocation de tous les princes et princesses de La recherche est suffisamment vivante pour que nous nous les représentions parfaitement et nous n’avons pas besoin de la généalogie (certes passionnante) de l’autrice pour leur donner corps. Au-delà des personnes, Laure Murat retrouve tous les tics, us et coutumes de son milieu dans La Recherche :

« Pour ténus qu’ils soient, les quelques fils de la Vierge tissés entre Proust et ma famille, qu’il s’agisse des Murat ou des Luynes, dessinent un univers où se retrouvent la plupart des ingrédients de la société aristocratique de la Belle Époque décrite dans la Recherche : les mariages d’argent, les tensions entre noblesse d’Ancien Régime et noblesse d’Empire, les croisements avec le « sang juif », les détours clandestins par Sodome… »

En outre, ce qui rend le livre de Laure Murat tellement captivant, c’est qu’elle y parle d’elle, de sa famille, des mœurs étranges de cette aristocratie dont elle est issue et qui ne semble pas vraiment avoir changé en 100 ans puisque Proust en dénonce, lui aussi, les innombrables travers. Ce à quoi nous invite Laure Murat, c’est à la même consolation que celle qu’elle a éprouvé en lisant Proust : ce milieu des très grands privilégiés est au fond misérable, et surtout totalement vide de sens. Car Marcel Proust, bien loin d’incarner ce snob béat d’admiration devant les aristocrates en déclin qu’il côtoyait, s’emploie, tout au long de La Recherche, à en montrer la vacuité et la férocité et même, sous des dehors extrêmement policés, la vulgarité.

« Sur les trente-six occurrences du mot vulgarité repérées dans la Recherche, un nombre non négligeable est rattaché à l’aristocratie : c’est la vulgarité des « gens du monde » (citée deux fois), la « vulgarité gourmée des gens comme il faut », la « vulgarité méprisante des gens bien nés » ou, à propos du duc de Guermantes, la « vulgarité qu’il montrait trop souvent », dont aurait en partie hérité son neveu Robert de Saint-Loup. »

Laure Murat, homosexuelle outée, a été violemment rejetée par sa mère et finalement par toute sa classe sociale, en raison de la haine que ces gens bien élevés ne peuvent s’empêcher de ressentir à l’encontre de ceux qui ne se taisent pas, qui refusent l’hypocrisie, le respect des convenances, la dissimulation de soi-même sous un vernis d’absolu conformisme.

En femme intelligente, elle ne manifeste cependant aucun ressentiment et ne cherche pas non plus à répondre au mépris par une haine réciproque.

Laure Murat raconte tranquillement ce qui fait l’unité de cette caste :

« Un monde où tout se tient et où tout le monde se tient. Tenir, tenir son rang, c’est le verbe étalon, qui s’applique à la langue, à laquelle on demande d’abord de la tenue, comme on est censé savoir tenir son cheval. Se tenir, le regard fixé sur l’horizon immuable des rituels, a une vertu majeure : s’abstenir de penser. Mal se tenir, au propre comme au figuré, confine au sacrilège »

« Et cela, peut-être superlativement dans l’aristocratie. Tout se joue entre les lignes, à capter, surprendre, intercepter les signes subliminaux de l’effacement, dans une vie où tout effort doit être radié, toute passion dissimulée, toute souffrance tue, selon une orthopédie mentale aux règles non écrites. On ne parle jamais de soi, on ne fait pas de vagues, on évite les sujets qui fâchent car « c’est assommant », et il est impensable de montrer quelque émotion en public. La joie et la peine, l’excitation et la douleur, l’enthousiasme et la mélancolie sont affaire de classe. « On ne pleure pas comme une domestique », répétait mon arrière-grand-mère… »

Or justement Proust, dans La Recherche démonte tous les faux semblants que construit une société aussi fermée sur elle-même, et plus précisément, s’agissant de l’homosexualité, la forfanterie qui consiste à nier, au nom de je ne sais quelle morale, l’évidence des pulsions qui anime ses membres comme tous les êtres humains.

« Ce silence imposé aux homosexuel·les par la société, souvent au prétexte de motifs religieux, n’affecte en rien les relations adultères – lorsqu’elles sont hétérosexuelles, s’entend. La duchesse de Guermantes parle ouvertement des maîtresses de son mari, qu’elle reçoit et console même lorsqu’il les a abandonnées ; mais Robert de Saint-Loup ou le prince de Guermantes préféreraient mourir plutôt que de reconnaître tromper leur femme avec des hommes. Ce climat d’opprobre et de malédiction, que Proust avait lui-même si bien intériorisé, lui offre un immense champ de manœuvres pour son livre. L’inversion sexuelle n’est pas seulement damnée. Elle brouille les rapports de classe et de domination, mine l’étanchéité sociale, tout en conservant les apparences, car invertis et lesbiennes sont plus assujettis encore au silence qui les soude dans la honte et le secret qu’au vice qu’ils partagent dans le plaisir. »

Proust se sert de l’inversion sexuelle pour renverser les rôles : Jupien le giletier est celui qui fouette le très respectable Baron de Charlus dans un bordel. Et c’est ce qui aboutira à ce que les Verdurin et Odette, les plus triviaux des bourgeois, finissent par remplacer l’aristocratie finissante.

Ce livre est extraordinaire et pas seulement pour les amateurs (peu nombreux) de La Recherche !

PS: je trouve personnellement que Laure Murat ressemble beaucoup à Ney!!!

 

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T
Merci pour la présentation de ce livre dont l'angle de vue "rafraichit" les éternels commentaires sur La Recherche qui doivent faire bailler d'ennui ou frémir d'impatience Marcel Proust là où il se trouve aujourd'hui : "Ils ne comprennent toujours rien " Mais Laure arrive
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C
merci pour le commentaire!