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La fugue d’Anna de Mattia Corrente ( Editions le bruit du monde, 2024)

La fugue d’Anna de Mattia Corrente ( Editions le bruit du monde, 2024)

Voici un roman tout récemment traduit de l’italien (début 2024) qui m’a intrigué quand je l’ai découvert et que je considère, après lecture, comme original et même plutôt « inclassable ».

Non pas que nous manquions d’occasions de découvrir la littérature italienne contemporaine, en particulier celle des jeunes auteurs. Le Festival du Livre de Paris dans son édition 2023 avait mis l’Italie à l’honneur et, chaque année, le Festival Italissimo, lui aussi parisien, nous apporte son lot de nouveautés et de découvertes. Alors que nous sommes sollicités par l’abondance de la production littéraire française et francophone, je ne peux que recommander de faire un pas de côté pour découvrir les livres de nos voisins européens. On y trouve, en Italie comme ailleurs, beaucoup de sujets historiques, sociétaux, politiques, avec une place importante consacrée à la famille : la famille traditionnelle, mais aussi la famille contemporaine éclatée, transformée, reconstituée.

Mattia Corrente, né en 1987 en Sicile, dans la province de Messine, où il vit, diplômé de philosophie et de sciences humaines, écrit là son premier roman, dont l’action se déroule dans sa terre natale.

Alors, pourquoi ce roman m’a-t-il intrigué ? J’avoue qu’il n’a pas suscité l’enthousiasme et l’adhésion que j’aime ressentir face à un nouvel ouvrage. Et en même temps, sa lecture ne m’a pas laissé indifférent, je ne me suis pas détaché facilement de l’impression contrastée qu’il m’a laissée.

Cette chronique prendra donc une forme différente des précédents : j’essaierai de faire la part des choses entre ce qui m’a plu et ce qui m’a laissé perplexe tout au long du récit.

Ce qui m’a plu d’abord, je commence par là car je ne voudrais pas vous dissuader de lire ce livre.

Le thème est séduisant : nous sommes en Sicile, dans cette province de Messine qui comprend les îles Eoliennes : sur l’île de Stromboli vit un vieux couple, Anna et Severino. Mais, il y a un an, Anna a quitté le domicile conjugal et s’en est allée. Il a fallu un an à Severino pour reprendre ses esprits. Au bout d’un an il décide de partir à la recherche de sa femme. Pour cela il va repartir sur les traces de sa vie avec Anna, le long des côte siciliennes, Le fil directeur du livre est une sorte de « road movie », entre passé et présent, l’un embellissant l’autre. Ce « pèlerinage » devrait mettre à nu des vérités dissimulées.

J’ai beaucoup aimé cette plongée dans la Sicile, dans ses sites très connus (Stromboli) ou ordinaires mais tout aussi pittoresques et lumineux. Attention : vous ne trouverez pas la Mafia, ni les débats passionnés qu’elle suscite, ni l’ambiance trépidante des grandes villes, Palerme ou Catane. Avec une écriture simple et poétique, Mattia Corrente nous restitue la vie des gens de la campagne. Pour qui a eu la chance de voyager dans cette région de Messine et de naviguer jusqu’aux îles Eoliennes, c’est mon cas, le texte réveille plein de souvenirs agréables, sur la lumière, les plantes, les îles, avec leur ambiance si particulière, les traversées en ferry; on sentirait presque les odeurs.

Ainsi, Severino passe par Syracuse et Ortigia, l’île du centre ancien : « Ortigia conserve toujours sa lumière, une lueur rouge au milieu de la mer bleu cobalt. Les maisons couleur sable aux encadrements de portes sculptés dans la pierre, les routes terreuses, les chats couchés dans les jardinières de plantes grasses, les vieilles aux cheveux tressés en chignons impeccables assises sur le pas de porte à fixer les touristes de passage. Les couloirs de ciel au-dessus des rues, les immeubles aux portiques abandonnés à la beauté de l’incurie, des rafales d’odeurs que le vent vole en franchissant les grilles des fenêtres des restaurants, des boutiques, des maisons. Des odeurs de citrons, de calament, de sueur, de friture et d’eau stagnante. »

Avec le même style plaisant l’auteur relate scrupuleusement les scènes de la vie quotidienne :la cuisine et la préparation des repas : les voyages en bus et en bateau ; la vie traditionnelle des villages, avec ses cérémonies, la messe, les enterrements.

Mais venons-en aux personnages. Nous avons fait la connaissance d’Anna et de Severino, voici un troisième personnage central du livre : Peppe (Giuseppe), le père d’Anna. Autour de leurs destins croisés, l’auteur aborde des sujets graves. Car chacun des trois connaît ou a connu une vie et un destin que je définirais « intranquilles ». Anna en premier lieu : son père quitte sa famille alors qu’elle a 13 ans. On découvrira à la fin du livre que ce père si aimé, et aimant, lui révèle, à elle seule, le terrible secret qui le conduit à la quitter, ainsi que sa sœur jumelle Nina et leur mère Serafina, pour s’installer dans une île perdue de l’archipel des Eoliennes et y travailler dans une mine, puis s’exiler aux Etats-Unis. Contrairement à sa sœur, Anna voudrait échapper à un destin tracé d’avance de femme mère de famille. Elle résiste à la demande de mariage de Severino, jusqu’au jour même de la cérémonie. Elle finira par accepter, mais, après cinquante ans de mariage, elle partira pour retrouver des traces de son père. Severino semble plus « normal », mais il porte avec lui une profonde mélancolie et s’engage dans une errance solitaire.

Tout au long du livre, nos trois héros sont partagés, voire déchirés, entre la quête d’une vie normale et le désir de se rebeller, de connaître « autre chose ». A la mort de sa mère, Serafina, Anna se penche sur son cercueil, et lui dit : « Tu avais raison. L’amour d’une mère est dangereux, il peut adoucir la vie, mais aussi l’empoisonner. » Et voici comment Severino voit la fin de son errance, alors qu’il n’a pas retrouvé Anna : « Toute mon histoire jusqu’ici appartient à un homme qui n’est plus moi ou qui n’a peut-être jamais été moi et je voudrais que nous nous séparions maintenant…mais comment fait-on pour se quitter, pour décider qui d’entre les deux a été l’hôte dans cette vie désormais à son crépuscule ? » Quant au père absent d’Anna, voici ce qu’elle en dit quand elle retourne sur les lieux d’une escapade en moto avec lui : « Papa nous a expliqué la liberté à sa façon et puis il l’a mise en pratique en ruinant les vies de ceux qui l’aimaient. »

Mais j’ai ressenti quelques difficultés et quelques insuffisances à la lecture de cette histoire. Tout d’abord, j’ai été décontenancé par le caractère sinueux, dans le temps et dans l’espace, du récit. Il se déroule sur une cinquantaine d’années, depuis la jeunesse de Severino et d’Anna jusqu’à nos jours, et même plus car certains souvenirs de Peppe, le père d’Anna, remontent à la seconde guerre mondiale. On trouve bien quelques repères temporels mais nombreux sont les aller et retour dans le temps, souvent imbriqués dans un même chapitre. Nombreux aussi sont les autres personnages, les autres membres de la famille d’Anna, les amis, les personnes rencontrées au cours des pérégrinations de nos héros. C’est le secret du père, qui n’est dévoilé qu’à la fin du livre, qui donne son sens à toute cette histoire, mais après bien des divagations qui à mon avis en obscurcissent un peu la lecture.

Enfin, malgré la qualité de l’écriture, poétique et quasiment musicale, et toutes les suggestions et réminiscences de la Sicile qu’elle peut nous apporter, j’ai trouvé que l’émotion et l’empathie pour les personnages n’étaient pas toujours au rendez-vous. Peut-être est-ce voulu car ce jeune écrivain montre une grande maturité, voire une certaine distanciation, dans cette exploration de vies à la fois ordinaires et atypiques. Mais j’ai eu un peu de mal à me retrouver dans la complexité du tissu narratif.

Néanmoins, voici une dernière image qui vous donnera envie de découvrir cette œuvre. C’est Severino qui parle, à la fin du livre : « J’arrose le café avec de la sambuca. Je le sirote sur le balcon, alors que dans le lointain un canot de pêche navigue lentement vers l’îlot du Strombolicchio, piloté   par la silhouette barbue d’un pêcheur assis à la poupe, la main sur la barre et par un autre à la proue, les mains derrière le dos ».

Un livre à découvrir, je dirais presque à explorer, tranquillement et attentivement.

Signé: Un lecteur assidu

 

 

 

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