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Le Dragon (théâtre Nanterre-Amandiers 2023)

Le Dragon (théâtre Nanterre-Amandiers 2023)

Cette pièce a été écrite par un journaliste, écrivain, dramaturge et scénariste russe et soviétique en 1943, à la demande d’un certain Joseph Staline, cette commande devant se situer dans une optique résolument antifasciste et donc surtout antinazi.  Evgueni Schwartz était connu, à l’époque, comme auteur de contes pour enfants et si les pièces pour marionnettes qu’il avait écrites en suivant l’inspiration des Contes d’Andersen avaient été rapidement interdites, cela n’avait pas conduit cet auteur à l’Index (c’est-à-dire au Goulag...), essentiellement parce qu’il avait participé à la défense de Leningrad et reçu une médaille pour ce fait patriotique.

Le texte se présente ainsi comme un conte fantastique pour enfants qui reprend l’histoire de Saint Georges terrassant le dragon, mais la censure soviétique comprendra fort bien qu’il s’agit également de mettre en lumière la dictature qui opère dans le pays et la pièce sera interdite dès sa première représentation en 1944.

Nous sommes dans une ville imaginaire qui vit sous le joug d’un horrible dragon à trois têtes, tyran sanguinaire qui a maté toutes les révoltes dans le sang et débarrassé la ville de tous les « indésirables ». Le pouvoir local est incarné par un bourgmestre, zélé serviteur du dragon auprès de qui il a placé son fils comme laquais. La société des justes est représentée par un burgrave, Charlemagne (!), qui est devenu archiviste et sa fille Elsa, tous deux résignés face à la fureur du dragon et surtout face à la répression organisée par le bourgmestre qui place tous les habitants apeurés sous l’emprise totalitaire du monstre.

Arrive un preux chevalier (appelé Lancelot !) qui n’hésite pas à s’engager pour mettre fin à la cruauté du monstre qui exige à présent une jeune vierge à consommer chaque année. Le sort est précisément tombé sur Elsa et le justicier s’en éprend si vite qu’il est inconcevable qu’il n’agisse pas pour la délivrer de son destin funeste.

Bien évidemment, il va se livrer à un combat épique et couper toutes les têtes de cette hydre hideuse. Croit-on s’être débarrassé de la tyrannie pour autant ? Bien sûr que non, car le bourgmestre réalise sur le champ que son tour est venu de prendre la place du dragon, la population étant déjà complètement soumise et habituée aux abus d’autorité. Le voilà qui se fait passer pour le vrai vainqueur du dragon, et qui s’installe sur le trône délaissé par le monstre.

Cette pièce faisait certainement, quand elle a été écrite, référence, sous un mode burlesque et caricatural, aux trois visages de l’absolutisme, le tsarisme, le fascisme et le communisme soviétique. Mais on comprend vite à quel point son message est redevenu d’actualité : Il ne suffit pas d’éradiquer le dragon si les habitants ne revisitent pas leurs âmes, rendues lâches et veules par la terreur. Il ne suffit pas d’un seul héros qui s’attaque à la bête immonde si celle-ci est également tapie en chacun de nous. Il ne suffit pas d’abattre le despote, encore faut-il ne pas se donner à son successeur, lequel n’aura aucun mal à s’imposer sur une terre dévastée où a été fait table rase de toute morale et de toute dignité. L’aspiration à la liberté doit prévaloir, et ceci ne peut se faire sans risque pour sa vie même.

J’ai toujours aimé les représentations des dragons dans la peinture et spécialement de Saint Georges terrassant le dragon de Paolo Uccelo que l’on peut adirer au Musée Jacquemart André. Il y a une grande similitude entre l’histoire de Saint Georges et ce conte en ce qui concerne la trame de l’histoire. Depuis l’allégorie de Saint Michel (raconté dans l’Apocalypse de Jean), le dragon représente le mal, le péché, les passions incontrôlables qu’il faut savoir maitriser. Pour Saint Georges, c’est la victoire du bien, de la chrétienté sur le mal, le paganisme, le désordre social, Saint Georges étant un martyr chrétien, alors que Saint Michel est un archange.

Mais le texte d'Evgueni Schwartz, réinterprète le mythe au profit d’une réflexion sur la matière dont est faite une dictature, à savoir la faiblesse humaine. Le mal est toujours du côté du dragon, mais pas seulement. La tyrannie se nourrit bien des habitants, mais pas uniquement de leurs corps, elle leur dévore âme et conscience, ce qui est encore pire. La responsabilité des hommes soumis est clairement énoncée dans le texte, ce sont eux qui ont envoyé à la mort les plus libres et les plus intelligents d’entre leurs concitoyens.

Quelques mots de la mise en scène.

Thomas Jolly est archidoué, on ne le dira jamais assez. Il a l’art de la mise en scène grand public, y compris et peut-être surtout, s’agissant de textes difficiles, (on a notamment en souvenir son interprétation de Richard III) ou, en tous les cas, pas forcément accessibles au public le plus large.

Alors, pour un texte fantastique, il a imaginé un décor qui tient du fantasme, de l’onirisme, de la fantasy. On y voit un château moyenâgeux, aux tours gothiques, plongées dans le noir. Les personnages sont habillés et maquillés comme dans la Famille Adams, il y a des effets de sons et de lumières stroboscopiques, et tout le spectacle joue à fond la carte de l’humour, de la drôlerie, du bizarre.

Parfois, on se croirait dans un film expressionniste de type Nosferatu le Vampire, parfois, on est dans un théâtre de marionnettes, parfois encore, on vit dans un pays occupé, les murs regorgent de slogans incitant à la délation.

C’est très bien fait, très habilement agencé, c’est spectaculaire et on ne s’ennuie jamais. Bravo l’artiste !  

Texte d’Evgueni Schwartz

Mise en scène de Thomas Jolly

Théâtre Nanterre-Amandiers jusqu’au 26 mars 2023

Les Quinconces-L’Espal, le Mans, les 5 et 6 avril 2023

La Criée, Marseille, du 11 au 13 mai 2023

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