Il est toujours hasardeux de « monter » une pièce de Shakespeare, notamment parce qu’il existe toujours des mises en scènes de référence et que faire du neuf n’est pas nécessairement ce que recherchent les spectateurs.
Mais cette pièce, beaucoup moins connue que Richard III, est assez peu représentée en France, quoiqu’elle ait justement été utilisée pour des mises en scène historiques à Avignon (Jean Vilar et Ariane Mnouchkine principalement). Ce Richard II là, sous la direction de Christophe Rauck, a également fait l’objet d’un spectacle mis en valeur à Avignon 2022. Le rôle-titre a été donné à un très grand acteur (au sens figuré comme au sens propre, car il mesure 1,92 m) qui en avait rêvé, nous dit-on, depuis longtemps. Il s’agit de Micha Lescot, un acteur archi-récompensé, fétiche en son temps de Luc Bondy qui l’avait repéré et fait jouer, notamment, Ivanov de Tchekhov.
Il interprète ici un Richard II, aérien, arachnéen, élégant et vif, avec un côté un peu funambule, une fragilité d’esthète, trop élégant et trop désinvolte pour être vraiment cynique, trop félin pour perdre sa dignité d’aristocrate, même quand il doit assumer sa déchéance.
L’histoire est celle, historique, de Richard II, roi d’Angleterre de la dynastie des Plantagenêt. Il a réellement régné de 1377 à sa destitution en 1399, dans une période de grande instabilité au sein de la guerre de Cent Ans et de luttes fratricides pour le pouvoir entre les membres d’une même famille.
Tous les frères, les cousins, les oncles, les fils s’assassinaient gaiement pour éliminer des concurrents gênants et accaparer tous les pouvoirs.
Shakespeare nous raconte un épisode des dernières années de vie de Richard II, ce roi qui, en raison de ses nombreuses erreurs de jugement et d’action, finit par être destitué, plus ou moins volontairement. Le temps se resserre sur cette dernière péripétie de sa vie, accentuant la tragédie humaine, et ce, d’autant plus que ce roi, d’abord égocentré et snob, capable des pires turpitudes (et probablement coupable d’avoir tué un de ses oncles), va devenir, au fur et à mesure qu’il consent à abandonner le pouvoir, de plus en plus complexe, sensible, évanescent.
Le rôle est vraiment excellemment joué par Micha Lescot, mais je voudrais parler surtout d’une mise en scène exceptionnelle et d’acteurs particulièrement bien choisis.
Les « traitres » que sont Mowbray et essentiellement Bolingbroke sont joués par des personnages d’autorité, solides, massifs, bien campés dans leur tête et sur leurs pieds. Parfait pour faire le contrepoint à ce feu follet vêtu de blanc qu’incarne la sauterelle sauteuse de Micha Lescot, Richard II.
Les décors sont aussi particulièrement bien choisis : on voit dans les premiers actes une image de fond du Parlement anglais, avec ses rangées de bancs verts et son espace central, lieu de l’exécutif.
Puis les gradins se transforment en rochers, balayés par la houle qui semble noyer tout le paysage quand Richard II rentre vainqueur d’Irlande, mais sera projeté dans son destin malheureux en raison même de son absence dans les lieux de la décision. Et ces mêmes estrades deviendront les côtes d’Ecosse, le château de Flint ou la Tour de Londres suivant la progression de l’action. Les videos projettent des nuages, la nuit et des gros plans sur l’expression des personnages, mais rien n’est jamais surjoué ou aléatoire. J’ai beaucoup apprécié le duel par exemple avec des faisceaux de lumière saccadés sur les deux duellistes dont les épées étincelaient.
Enfin les costumes ; Rien, pas de costumes d’époque, mais une stylisation extrême et discrète, des fraises autour du cou des conseillers, le jeu entre le noir et blanc, la pourpre pour l’homme d’Église, la robe violette de la veuve, les costumes stricts des personnages. C’est bien le génie du metteur en scène que de nous transporter, de nous émerveiller avec si peu !
Car, et je vais en conclure là, il s’agit d’un spectacle extraordinaire, d’une mise en scène particulièrement pertinente et travaillée qui réussit à nous passionner pour cette histoire du Moyen-âge qui a tellement de résonances avec ce que nous vivons à notre époque.
Un homme politique qui s’enferre dans des décisions malvenues, un roi qui ne comprend pas son époque et qui se fait doubler par un cousin bien plus proche du peuple et bien plus aimé que lui…
Je recommande vivement ce spectacle, la salle était pleine à craquer et pourtant, il faut aller aux Amandiers à Nanterre, ce n’est jamais la porte d’à côté, d’où que l’on vienne !