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Tous ceux qui tombent Jérémie Foa (Ed La Découverte (2021)

Tous ceux qui tombent  Jérémie Foa (Ed La Découverte (2021)

En aout 2022, c’est-à-dire dans très peu de temps, nous devrions commémorer ou, au moins, avoir une pensée pour- les morts du massacre de la Saint-Barthélemy qui a eu lieu  il y a 450 ans, exactement le 24 aout 1572.

Mais je doute que cet évènement soit même évoqué dans les journaux, alors qu’il a été un moment crucial et fondateur de notre société française.

Voilà pourquoi j’ai lu ce très bon livre de Jérémie Foa, « Tous ceux qui tombent », formidable travail d’un historien-chercheur émérite à l’Université d’Aix-Marseille, qui revient sur cette période, celle des guerres de religion en France, par un biais non encore exploré, celui des archives notariales.

Car, comment parler encore de la Saint-Barthélemy après toutes les études qui lui ont été consacrée aux cours des siècles et qui ont défriché le terrain au mieux de ce qui pouvait être encore mis à jour ?

L’avantage des archives notariales, outre le fait qu’elles n’ont pas, comme celles de l’Etat Civil, été détruites par les différentes Révolutions, c’est aussi qu’elles offrent un angle de vue très prosaïque, très concret, très proche de la vie quotidienne des gens eux-mêmes. Elles se différencient des décisions politiques qui, elles, laissent des traces en amont des évènements, ou alors très en surplomb, faussant ainsi (mais c’est inévitable car il n’y a pas d’Histoire objective) une partie de la compréhension de l’Histoire.

Jérémie Foa ressuscite ainsi, au fil de 25 enquêtes, qui sont autant d’enquêtes criminelles, la vie, ou un morceau de la vie, des victimes, directes ou collatérales, des traitres, des bourreaux, des citadins, des voisins, des artisans, des familles qui ont été impliquées dans ces évènements.

Mais d’abord, Jérémie Foa, explique, s’appuyant sur le travail de David Croizet, que le massacre n’est pas du tout dû aux circonstances, au hasard d’un jour sur le calendrier, mais esquissé, répété, mûri, des années auparavant. Les assassins ont eu le temps de se faire la main, d’autres massacres sporadiques (et de moindre ampleur) ayant déjà eu lieu, dans différentes villes de France et à Paris même. Mais l’évènement, quoique ruminé depuis longtemps, n’est pas non plus le produit d’une machination très rigoureusement organisée à cette date précise.

La montée, et donc le succès, du protestantisme tout au long du XVIe siècle, est le résultat de beaucoup de facteurs, mais l’un d’entre eux est plus spécifiquement le redoutable ingrédient des catastrophes meurtrières : c’est la peur, l’angoisse, le sentiment de dépossession, l’inquiétude de l’avenir, la perte d’identité (oui, déjà !).

Et les catholiques, voyant que le Roi laissait de plus en plus la place aux Seigneurs de l’Eglise Réformée, rendus obsessionnels par la présence d’une minorité (2 millions sur 20 millions d’habitants) qui gagnait du terrain, enfiévrés par des prédicateurs d’autant plus écoutés qu’on traversait une crise économique et certainement climatique (avec des inondations spectaculaires) , aiguillonnés par  des signes interprétés de manière mystique (une branche d’aubépine qui aurait refleuri, une rumeur concernant la croix de Gastine, la nouvelle que des bébés jumeaux porteraient des marques étranges …), les catholiques ont pu craindre le « Grand Remplacement » (c’est moi qui utilise cette expression), pour justifier l’injustifiable : les hérétiques ne seraient plus des êtres humains et, à ce titre, devraient être systématiquement éliminés.

Il y a beaucoup de rapprochements à faire avec ce qui s’est passé à notre époque, notamment au Rwanda, mais pas seulement, on pense à la SHOAH, à la guerre du Cambodge, aux guerres de Yougoslavie et plus près de nous encore, aux crimes de DAESH , aux attentats de novembre 2015,etc…Ces crimes et jusqu’à l’assassinat de Samuel Paty, relèvent, à mon avis, de la même attitude déshumanisante. On s’étonne à chaque fois que ça revient, mais à chaque fois, on devrait plutôt reconnaitre l’éternelle nature humaine, capable du pire et du meilleur, à l’œuvre dans ces atrocités !

Pour en revenir à la Saint-Barthélemy, il faut remarquer que le massacre « advient dans un contexte de paix, qui dure depuis l’édit de Saint-Germain, en août 1570. C’est pour le consolider que Catherine de Médicis a l’idée de marier sa propre fille, Marguerite de Valois – la future reine Margot –, à un grand aristocrate protestant, Henri de Navarre, qui deviendra Henri IV. Cette union est censée pérenniser la paix. Le mariage a lieu le 18 août 1572, à Paris. Pour l’occasion, de nombreux grands protestants s’y rendent, ce qui va créer des tensions avec les habitants – le culte protestant étant alors interdit dans la ville. »

Il semble bien que Charles IX ait été, plus que ses prédécesseurs, enclin à une plus grande tolérance vis-à-vis des protestants (les huguenots de l’époque). Il n’était par ailleurs pas possible au Roi de décréter qui était huguenot et qui ne l’était pas, et donc de donner l’ordre de la tuerie généralisée. Il y aurait bien eu ,quelques jours auparavant, un Conseil Royal qui aurait préconisé la « neutralisation » des chefs protestants, mais en aucun cas, ordre aurait pu être délivré (et à qui ?) de procéder à l’assassinat de 3000 personnes à Paris. D’autant que cette tuerie s’est propagée dans certaines villes de Province et que les massacres se sont déroulés jusqu’à la fin de l’année 1572. On a avancé le chiffre de 10 000 morts, mais qui sait combien de victimes ont pu être réellement dénombrées ?

Ce livre s’apprécie comme une succession d’enquêtes policières pour comprendre qui étaient les assassins, qui étaient les victimes, comment se sont comportés les passants, les voisins, les amis, qui a fermé les yeux, qui a tendu la main, qui a dénoncé, qui a trahi etc..

On connait les lieux, le Quai de la Mégisserie, le Pont au Change, la Place Maubert, la Rue Saint Denis, La Conciergerie, et les récits en sont d’autant plus imagés.  Les textes reproduits, avec l’orthographe fantaisiste d’un siècle qui n’avait pas encore un usage régulier de la grammaire (la codification viendra plus tard), sont juste savoureux à lire.

Quelques citations :

« Le silence est souvent la seule arme des humbles face aux curiosités du pouvoir. À l’incertitude inhérente aux guerres civiles s’ajoutent certaines caractéristiques des sociétés anciennes : lenteur des communications, importance du face-à-face dans la transmission des ordres et des informations, rôle des interconnaissances dans les processus d’identification et d’attestation. Dans ce monde, l’absence est souvent suspecte, toujours problématique. »

« Tout commence au son du tocsin, vers deux ou trois heures du matin, la nuit du 23 au 24 août 1572. La rue s’arrache au sommeil, sort chuchotant du silence, les hommes s’habillent en vitesse. Puis ce sont des voix, des cris, des chocs, des femmes qui courent et d’autres qui pleurent ; des slogans sont lancés et repris ; les portes claquent, les chiens aboient ; on discerne des coups de feu, des corps qui flanchent. Difficile dans ce tohu bohu d’isoler le signal qui singularise entre tous le massacre de la Saint-Barthélemy. Approchons. Plus près, tendons l’oreille. On entend une clochette. »

« L’ineffaçable blessure d’une ressemblance entre les morts à venir et les vivants qui les précipitent explique l’acharnement avec lequel les coups pleuvent, et pourquoi ils sont souvent portés au visage des victimes : le massacre est l’occasion d’enfin faire taire cette troublante similarité, en défigurant les huguenots. […].Le massacre rassure, creuse les dissemblances, consolide les vérités»

« Avant de s’en prendre au corps, la guerre civile attaque les mots, elle les tord, les vide de leur sens et les remplit de significations autres, tronquées, partisanes. Le « principal » du collège ne l’est plus exactement, sa religion devient une « opinion ». Les huguenots sont « soi-disant » réformés, leur confession est une « prétendue religion » »

 

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