Ce livre était dans ma pile depuis 6 mois, date de sa sortie en librairie.
Constance Debré, je ne la connaissais pas, je n’avais pas lu ses précédents romans. Romans ? Oui et non, peut-être récits, auto-fiction ou je ne sais pas quoi qui parle de soi tout en étant très littéraire.
J’avais un peu d’appréhension à lire un livre signé de ce nom si connu dans notre République. On a toujours peur de rencontrer une fille de famille, très bien élevée dans les meilleures écoles, qui joue les émancipées en prenant un air dégouté. Ou bien d’entendre parler du grand-oncle si original ou de l’aïeul parti de rien ! Bref, je me demandais si le look punk de Constance Debré était bien sincère et si je n’allais pas m’ennuyer à lire les tribulations d’une pauvre petite fille riche.
Car la famille Debré on la connait non seulement par ses illustres politiciens, (on y trouve notamment un 1er Ministre de De Gaulle, père de la Constitution de la Vème République, des Ministres, députés, élus municipaux, des Académiciens, un Président du Conseil Constitutionnel, beaucoup cumulant les compétences de médecins et de juristes de haut vol) mais aussi pour sa généalogie : le patriarche Simon était un grand rabbin très reconnu dans la communauté, le premier pour qui une synagogue a été construite à Neuilly-sur-Seine, avant-guerre.
Avec un tel lignage, je peux aussi comprendre qu’il ne soit pas facile de « se faire un nom », même s’il y a forcément, dans la famille, comme cela existe dans toutes les familles, de vrais esprits anticonformistes.
Constance Debré est la fille d’un dissident familial, François Debré, une des seuls à n’avoir voulu jamais embrasser la carrière politique et qui, comme journaliste, a tout de même été distingué pour ses reportages en Indochine, Biafra, Cambodge en particulier. Sa mère est une aristocrate du pays basque, née et élevée dans un château, disparue prématurément à 46 ans. Mais voilà, le conte de fées se fissure dès les premières années de collège de Constance. Ses parents s’adonnent à l’opium mondain, ramené d’Asie par le père. Puis ils passent à la banale héroïne des dealers de beaux quartiers et c’est l’engrenage. Alcool, médicaments complètent la destruction. Quoique François ait vécu jusqu’en 2020, la structure familiale (élargie aux hommes illustres de la famille) s’est complètement défaite avec les déboires financiers, physiques et psychiques qui ont accompagné la descente aux enfers.
Bon, très bien, mais que fait-elle, elle, Constance, de cet héritage maudit ?
Il ne faudrait pas que ce livre, me suis-je dit, soit l’occasion d’un regard vicieux et voyeur sur les réels malheurs de la branche « canard boiteux » de cette famille Kennedy à la française !
C’est donc avec une inquiétude perplexe que j’ai ouvert le livre. Mais dès les premières pages, le ton adopté, plein d’une véhémence adolescente non feinte, la rage, la détermination, le style et la construction en étoile, m’ont tout à fait rassurée et… séduite.
Elle m’a fait rire parfois, à cause de sa radicalité, elle m’a impressionnée souvent, à cause de son engagement, elle m’a émue presque tout le temps, à cause des lourdes conséquences que ses choix de puriste lui ont imposé.
Après de brillantes études, Constance Debré est élue seconde secrétaire de la Conférence du Barreau, ce qui est une consécration de son talent oratoire. Elle se marie, a un enfant. Et bien plus tard, elle décide, en 2014, de tout quitter, famille, métier, mari, amis et collègues pour se lancer dans l’écriture. Ceux qui la connaissent disent qu’elle a même eu faim, à ces moments-là. Elle perd la garde de son fils à l’occasion de la parution de son second livre où elle révèle son homosexualité. (est ce la seule raison ?, je n’en sais rien). Elle refuse l’argent de son héritage et affirme « Dans la vie c’est soit la beauté, soit le pouvoir. Le pouvoir c’est pour ceux qui n’ont pas le courage d’être beaux. »
Alors on pourrait se dire, tiens, elle va vivre comme l’abbé Pierre et se faire un nom dans la défense des opprimés ? Mais non, car « La lutte des classes je m’en fous, les pauvres je m’en fous, mes ancêtres ministres et mes ancêtres aristos, je m’en fous pareil ».
« Il y a un moment où on est allé si loin dans le dégoût qu’on n’en a plus rien à foutre de rien. Qu’on s’en fout des autres. Que la douleur du monde on s’en fout. Que les pauvres on s’en fout. Que les gens qu’on aime on s’en fout. »
Malgré ces affirmations, son mode de vie, résolument sans attaches (pas de logement à elle ni de luxueuse location sur la Côte, elle squatte le plus souvent chez les autres) montre assez sa sincérité et sa volonté de ne rechercher que ce qui lui parait vrai et conforme à ses propres aspirations.
Voilà quelques passages qui m’ont particulièrement interpellée pour qu’on puisse se rendre compte de la force de son écriture :
« Les enfants qu’on dresse à aimer les fous, à obéir aux cinglés, à réciter leur rôle dans cette pièce folle qui est l’enfance racontée aux enfants, qui est les familles racontées par les familles, les parents racontés par les parents, les mères qui se racontent, les pères qui se racontent, la bourgeoisie qui se raconte, l’école qui se raconte, dans sa petite violence qui prépare bien à celle d’après, toute la violence domestique qu’il faut bien accepter et que le monde protège. »
« Les événements de l’enfance n’ont aucun rapport avec l’enfance. Le goût un peu amer comme un goût de sang dans la bouche n’a rien à voir avec les événements. C’est juste le goût de l’enfance même. De l’horreur de l’enfance. »
« Si je ne suis plus avocat, c’est parce que j’ai quelque chose de plus important à faire, cette chose étant mes livres, mes livres étant d’expliquer ce qu’il se passe, parce que c’est ça, mes livres, mes livres ce n’est pas raconter ma vie, mes livres c’est expliquer ce qu’il se passe, et comment on doit vivre. Mes livres c’est quelque chose que je fais contre la vie lamentable, pas autre chose, la vie lamentable que j’ai vue, la vie lamentable que je vois partout. »
« Il faut tout refuser, refuser tout ce qu’il est possible de refuser dans la vie lamentable, ne pas consentir, ne pas laisser passer l’insupportable, c’est contre l’obscénité que je refuse ce que je refuse, que je trahis ce que je trahis. »
« C’était le psy qui nous avait paru bizarre à essayer de comprendre pourquoi, pourquoi il se camait, ce qu’on en pensait, comment on vivait ça, nous, la petite famille. Ça m’avait paru absurde qu’on cherche une cause. C’est tellement rien une cause. Tellement moins intéressant que les conséquences. »
« Il suffit de se souvenir qu’il y a la vie calme ou bien l’aventure. Que si c’était toujours bien l’aventure, personne ne choisirait la vie calme. Il suffit de se souvenir qu’on a choisi. »
Vous comprenez un peu pourquoi je n’ai plus lâché ce livre de la 1ʳᵉ à la dernière page et je lirai les autres qu’elle a déjà publiés ?
On a impérativement besoin d'esprits libres , surtout par les temps qui courent!