Très bizarre ce roman. Très bizarre aussi son auteur, Antonio Ungar, un Colombien qui écrit en espagnol, mais qui a longtemps vécu en Palestine (il est petit-fils de juifs autrichiens d'origine tchèque et hongroise, marié à une Palestinienne).
Ce livre est paru début 2022, son action semble située à Paris. L’environnement des protagonistes est français, et il paraîtrait que le temps du roman soit celui des attentats de Paris (en 2015) qui surviennent, comme une péripétie, au cours du récit. Mais les frontières temporelles sont très floues car, à un moment donné, le narrateur parle du masque qu’il porte pour prévenir des maladies pulmonaires, ce qui nous situe plutôt en 2020-2021.
Et, de fait, on a bien l’impression que ce texte a été écrit pendant les périodes de confinement à Paris.
Le narrateur est occupé à rédiger des traductions publicitaires et ne sort guère de son appartement. Appartement d’où il voit, dans l’immeuble contigu, par les fenêtres, la vie d’une famille de ce qu’il croit être des Paraguayens. Dans ce logement se trouvent un père, ses deux fils et sa fille, et c’est justement la jeune fille qui intéresse l’observateur. Car elle est très jolie et qu’elle subit la violence des hommes avec qui elle est contrainte de cohabiter.
Le narrateur vit lui-même dans l’obsession du souvenir de sa sœur, morte quelque temps auparavant. Il ne peut pas dormir, ou souffre d’une grave dépression, et se fournit en médicaments psychotropes auprès d’une pharmacie tenue par un Pakistanais.
Le narrateur est absolument raciste, plein de haine pour tous les migrants qui semblent envahir son quartier et lui paraissent de plus en plus menaçants. A chaque page, chaque fois qu’il mentionne ses sorties, il n’hésite pas à formuler son mépris et son rejet vis-à-vis des populations immigrées qu’il croise inévitablement. Il est par ailleurs conscient d’être lui-même, très malingre et fort peu fait pour affronter ceux qui sont l’objet de ses haines.
Il tient son journal, et y consigne, scrupuleusement, ce qu’il voit dans la famille d’en face. Il suit toutes les allées et venues des occupants et ira jusqu’à poser des caméras dans l’appartement pour pouvoir surveiller ce qui s’y passe à chaque instant. Il rêvasse sur son désir sexuel pour la jeune fille de la maison, désir qu’il finira par exhausser, à la faveur des évènements affectant les liens de la famille et « libérant » la jeune femme.
Le mélange entre les obsessions et les références au contexte de la ville contribue au brouillage des repères de cohérence du personnage qui dit « je ».
En fait, je crois qu’il s’agit d’un récit somnambulique, où, au fur et à mesure, on ne sait plus ce qui est réel et ce qui relève du rêve ou plutôt du cauchemar. C’est une dystopie, issue d’une relégation spatiale, qui ne peut pas finir bien.
C’est certainement un auteur à suivre, mais je reste un peu perplexe vis-à-vis de ce roman, fort bien écrit (pas très bien traduit, à mon sens) et qui nous entraine dans une atmosphère hypnotique.