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Tout mon amour (théâtre du Rond Point)

Tout mon amour (théâtre du Rond Point)

C’est peut-être un des textes les plus brillants du théâtre contemporain. « Tout mon amour » est une pièce allusive, poétique, violente, surréaliste et en même temps profondément intime et vraie dans l’exploration de la psychologie d’une famille, d’un couple.

Laurent Mauvignier, auteur de « Des hommes », a écrit, en 2012, « Tout mon amour », cette magnifique œuvre théâtrale de haute intensité dramatique. Comme le texte est tout entier concentré sur les non-dits, les fantasmes et les mystères des relations entre les différents membres de la famille, il nécessite d’être incarné par de très grands acteurs. Et c’est bien le cas avec Philippe Torreton qui crève l’écran et par Anne Brochet qui joue le rôle de la mère, funambule désemparée, devant les contradictions de la maternité.

Philippe Torreton assume le rôle du père, impuissant et dépassé face au poids du silence. Comme le voulait l’auteur qui a pris le soin d’indiquer comment il fallait jouer son texte, Philippe Torreton incarne le personnage de la manière la plus réaliste qui soit, et, ce faisant, accentue l’irrationnel de la pièce.

De quoi s’agit-il ?

Dès le début, on comprend que la famille, enfin non, seulement le père et la mère, se retrouve dans la maison familiale, provinciale, car ils viennent juste d’enterrer le grand-père.

Et là, dans ce clair-obscur, surgissent les fantômes. C’est d’abord une jeune fille que la mère repousse avec horreur. Et c’est le grand-père qui revient, dans sa maison encore pleine de sa présence. Le grand-père sait, lui, ou bien il fait semblant de savoir…. La jeune fille, nous apprendrons par la suite que c’est la fille disparue du couple, qui a, par ailleurs, un fils et cette fille est portée disparue depuis 10 ans, quand elle n’avait encore que 6 ans. C’est la seule qui a un prénom dans la pièce, elle s’appelle Elisa. Le problème, c’est que personne n’a vraiment la clé explicative de sa disparition : a-t-elle été enlevée et tuée, a-t-elle été victime de mauvais traitements, et de la part de qui ? Est-elle encore en vie quelque part ?

La mère, en tous les cas, a vécu pendant 10 ans dans cette absence dont on comprend qu’elle puisse être une torture infinie ; quoi de pire que de perdre une enfant sans savoir ce qu’elle est devenue ? On a conseillé à la mère de reporter « tout son amour » sur son fils, mais voilà, en général, on en veut à ceux qui sont restés là, vivants. C’est assez courant, c’est peut-être pathologique mais c’est compréhensible. La mère ira jusqu’à dire à son fils qu’elle ne l’aimait pas.

Elisa est morte dans l’esprit de tous, mais elle est encore vivante dans les cœurs, dans les passions familiales. Aurait-elle pu être tuée par ses propres parents ? Rien n’est certain, la culpabilité reste là, enfouie sous les non-dits. On peut aussi se sentir coupable de ce que l’on n’a pas directement accompli. Rien n’est résolu en tous les cas, les hypothèses sont toutes valables. Et la folie rôde autour de ces silences..

Le texte est vraiment d’une justesse totale : c’est bien vrai que les morts que l’on a aimés, que l’on aime encore, surtout quand leur histoire n’est pas terminée, quand le deuil est impossible, les morts ne sont pas tout à fait morts. Ils acquièrent même une puissance inégalée, un pouvoir à la fois rassurant et inquiétant, sur nos vies, du fait de leur non-disparition, de notre incapacité (qui est aussi une non-volonté) à les tenir à distance. Les fantômes ressurgissent, notamment à l’occasion d’évènements de la mémoire, comme les retrouvailles dans la maison de famille, et comme les inévitables évocations du passé qui s’ensuivent.

J’ai bien aimé la mise en scène, où des panneaux translucides permettent de voir au travers des cloisons, dans un demi-jour laiteux, les ombres du grand-père et de la fille disparue. La mais familiale est un peu caricaturée avec une table en formica et un lino à petits carreaux, mais ça passe.

Il faut surtout souligner la puissance de feu de Philippe Torreton qui habite le rôle et la fragilité incandescente de la mère, jouée par Anne Brochet. J’ai adoré l’acteur qui joue le grand-père, Jean-François Lapalus, car on a l’impression de le reconnaitre. C’est un grand-père très « campagnard » avec une bonne trogne, un peu railleur, un peu désinvolte, en tous les cas, très plausible, comme un de ces « vieux » blasés, qui ont tout décodé, du fin fond de leur vieillesse, malgré les mensonges des uns et des autres.

Le spectacle nécessite une attention soutenue, et c’est presque dommage de l’avoir programmé à 21 h, avec les risques de distraction que le jeu exceptionnel des acteurs n’appelait pas.

Tout mon amour, de Laurent Mauvignier (Editions de Minuit, 2012). Mise en scène d’Arnaud Meunier. Théâtre du Rond-Point, Avec : Anne Brochet, Romain Fauroux, Ambre Febvre, Jean-François Lapalus, Philippe Torreton

 

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F
La sofferenza è il padre della saggezza, l'amore è sua madre.
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