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Antoine et Cléopâtre (Théâtre Odeon Ateliers Berthier)

Antoine et Cléopâtre (Théâtre Odeon Ateliers Berthier)

Tout le monde connait l’histoire d’Antoine et Cléopâtre, les Romeo et Juliette de la Rome antique. Mais en y réfléchissant, je me demande si ce n’est pas uniquement l’histoire racontée par Shakespeare qu’on connait (et qu’on n’a pu voir que rarement au théâtre) et sur laquelle d’ailleurs s’appuient les films américains en grand écran…Ah Mankiewicz, Liz Taylor ! Ah Charlton Heston !

On a donc d’un côté la reine de beauté hollywoodienne, qui a mis à genoux les plus grands noms de l’Empire Romain. Et de l’autre, Octave, le futur Auguste, l’un des héritiers de Jules César, un jeune ambitieux qui ne supporte pas les errements de Marc-Antoine et sa tendance à la luxure.

Bien évidemment, c’est trop schématique. Plutarque, dont s’est inspiré Shakespeare, nous décrit un Marc Antoine comme un chef d’armée brillant mais handicapé par son besoin de flamber, sa dépendance à l’alcool et aux femmes, son envie d’être aimé par tout le monde. C’est aussi un homme cruel et intransigeant, qui ne pardonne pas à ceux qui se refusent à le courtiser, qui se repait du spectacle des tortures infligées à ses contradicteurs. Cicéron, parce qu’il écrit que Marc Antoine alimente la guerre civile, en fera les frais.

Shakespeare, sentant poindre la Guerre (civile) des Deux Roses en Angleterre, s’intéresse à ce moment de crise où la destinée du monde va basculer. Marc Antoine, lui le débauché, le séducteur, l’homme à femmes, est tombé sous la domination de Cléopâtre. Il faut dire que celle-ci dispose d’atouts considérables pour le séduire et il ne s’agit pas seulement de sa plastique. Quand elle se présente à lui sur un vaisseau couvert d’or, assise au milieu de servantes alanguies, elle sait qu’elle stimule l’imaginaire du soldat aguerri et qu’elle l’éblouira. C’est d’ailleurs devenu une image d’Epinal que de représenter Cléopâtre, toute habillée d’or et d’argent, sur son char/vaisseau qui brille au soleil.

Cléopâtre joue sur la sidération, sur l’admiration qu’elle suscite, d’autant que, non contente d’être envoutante, magnétique, sensuellement irrésistible, elle est aussi remarquablement intelligente. Cléopâtre parle plein de langues, elle possède tous les charmes mystérieux de l’Orient,   et elle est très habile. Quelque temps avant son assassinat en plein Sénat, elle avait réussi à séduire Jules César, afin d’obtenir la protection romaine pour son pays, seul vestige de l’Empire grec d’Alexandre en Orient. Il lui faut non seulement récupérer les faveurs du plus gradé des généraux romains, mais surtout le retenir à elle et ce n’est pas chose facile.

Marc Antoine, « vieilli », (entre guillemets, car on était très vieux à 40 ans à cette époque, comme durant les temps victoriens) , n’a rien perdu de ce qui a toujours fait la complexité de son personnage. Il est à la fois valeureux, fier et redoutable comme guerrier, mais aussi incapable de renoncer aux plaisirs de la vie, ce qui le conduit progressivement à la mollesse qui le perdra à la fin.

Octave, le futur Empereur Auguste est de 20 ans son cadet. C’est lui qui va triompher. On le perçoit comme un être déterminé et inflexible, presque psychorigide, en tous les cas à mille lieues des tendances lascives de Marc-Antoine.

La metteure en scène a trouvé dans cette histoire, comme dans l’écriture de Shakespeare, des matériaux actuels de référence, dans une sorte de « décolonialisme » littéraire, qui commence, à cause de son systématisme, à m’énerver singulièrement. Mettons qu’il s’agisse d’une relecture à la mode des œuvres de l’esprit, ça n’en fait en général pas de meilleures traductions.

Mais ici, je dois bien le reconnaitre, l’analyse tombe plutôt bien, prouvant par là qu’on peut aussi être intelligent dans ces idées à la mode et ne pas tomber dans la caricature.

Alors oui, il y a l’inévitable allusion aux trans genres, aux queers, aux LGBTQIA. Par exemple, on voit un soldat s’éloigner, avec son armure et des chaussures rouges à talons aiguille  C’est un peu gratuit, mais Shakespeare ne négligeait justement pas les allusions grivoises ou sexuelles dans ses pièces, même les plus dramatiques. Il n’ y a donc rien de vraiment dérangeant ou étrange à ce type de clin d’œil, fréquent dans le théâtre shakespearien.

Ce qui est le plus intéressant dans le parti pris de la metteure en scène, c’est une vision de l’Orient qui n’était certainement pas si éloignée que cela de la représentation que s’en faisaient les contemporains de Shakespeare.

Le décor est somptueux : bleu profond, avec des coussins mordorés, des nuits étoilées , des bas-reliefs en forme d’ibis. Les costumes de Cléopâtre sont dignes d’une reine de beauté, faits de rubans dorés, de guêpières, de voiles brumeux, de bijoux étincelants. Il en est de même pour les suivantes sans que jamais on cède à la tentation de l’orientalisme. Aucun pastiche, aucune robe ou reproduction de « vraie » Egypte, rien que du recomposé, de l’imaginaire, du fantasme, et c’est très bien.

Le sable rouge, qui envahit toute la scène pendant les batailles, c'était bien trouvé, c'est vrai. Et les chansons en arabe, pourquoi pas, ça fait "oriental"!

De l’autre côté de la Méditerranée en revanche, et c’est là ce qui parait le plus caricatural, les Romains sont vêtus de costumes- cravates à l’occidentale. Cette fois-ci, on est forcé de comprendre que l’Occident s’affirme dans sa sècheresse technocratique et qu’il va opposer sa vision stricte de l’ordre rationnel à ce bel empire alangui de l’Égypte de Cléopâtre. Bof !

Heureusement Shakespeare n’a pas écrit qu’il s’agissait de cela et le texte va venir contredire les intentions (louables ? ) de la metteure en scène. Auguste se cache sous Octave et pourvu que Cléopâtre fasse allégeance au (vrai) maitre du monde, elle aura la vie sauve et bénéficiera de la mansuétude du maitre.

J’ai bien compris les intentions : montrer que la face du monde aurait été changée si…..l’alliance avait pu se faire entre ces deux conceptions du monde. Mais Shakespeare pensait aux divisions in ternes à l’Angleterre, pas aux questions de décolonialisme, on s’en doute.

Ce spectacle dure près de 4 heures et je m’étais jurée de sortir à l’entracte si ça durait trop. J’ai été tenue en haleine tout le temps , je ne me suis jamais ennuyée, et mon attention a été renouvelée sans arrêt par l’ingéniosité des enchainements, la beauté des costumes et des décors et par la destinée de ces deux amoureux !

Je recommande donc cette scène sans aucune retenue.

Antoine et Cléopâtre de William Shakespeare

mise en scène de Célie Pauthe , traduction d’Irène Bonnaud en collaboration avec Célie Pauthe
Avec Guillaume Costanza, Maud Gripon, Dea Liane, Régis Lux, Glenn Marausse, Eugène Marcuse, Mounir Margoum, Mahshad Mokhberi, Mélodie Richard, Adrien Serre, Lounès Tazaïrt, Assane Timbo & Bénédicte Villain

PS: J'ai relu ce poème de José Maria de Hérédia:

Antoine et Cléopâtre

Tous deux ils regardaient, de la haute terrasse,
L'Égypte s'endormir sous un ciel étouffant
Et le Fleuve, à travers le Delta noir qu'il fend,
Vers Bubaste ou Saïs rouler son onde grasse.

Et le Romain sentait sous la lourde cuirasse,
Soldat captif berçant le sommeil d'un enfant,
Ployer et défaillir sur son coeur triomphant
Le corps voluptueux que son étreinte embrasse.

Tournant sa tête pâle entre ses cheveux bruns
Vers celui qu'enivraient d'invincibles parfums,
Elle tendit sa bouche et ses prunelles claires ;

Et sur elle courbé, l'ardent Imperator
Vit dans ses larges yeux étoilés de points d'or
Toute une mer immense où fuyaient des galères.

 

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