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LE PEUPLE DE BOIS – (2017-Emanuele Trevi – Éd Actes Sud )

LE PEUPLE DE BOIS – (2017-Emanuele Trevi – Éd Actes Sud )

C’est un livre très singulier que ce roman italien, construit comme une fable plutôt amorale, avec des personnages hors normes qui semblent sortis tout droit des vieux contes paysans.

D’abord pourquoi ce titre ? Le peuple de bois renvoie à Pinocchio, dont l’histoire, légendaire et complètement mythique pour les Italiens, vient se superposer à celle des lascars qui sont les anti-héros de ce roman.

Il y a là Le Rat, personnage central, âme du livre, et qui est un prêtre défroqué, prêtre qui n’a jamais eu la foi, compte tenu d’une enfance maltraitée (comme bien d’autres en ces contrées obscures de la Calabre), et compte tenu de son amour très immédiatement sensuel pour une de ses paroissiennes, Rosa, une femme « innocente » (au sens simplette) et obèse, avec qui Le Rat, défroqué, a réussi à se marier.

Et il y a Le Délinquant, un mafieux raté, homosexuel et protecteur du Rat, à qui il donne tout faute de pouvoir satisfaire son désir pour lui.

Tout autour, il y a les Oncles, les Mafieux de la N’Dranghetta, qui, charitablement, ont confié la chaine de télé locale à ce moins que rien de Délinquant, en guise de lot de consolation, après que toute la famille du Délinquant ait été liquidée dans de sombres histoires d’accaparement du magot et du pouvoir. Les rivalités de clan constituent la toile de fond de la vie calabraise et chacun se doit de rester à la place qui lui a été assignée.

Le Rat, lui, a plein d’idées et les prêches lui manquent. Il conçoit alors une série d’émissions de TV intitulée « Les Aventures de Pinocchio, le Calabrais ».

Rapidement, la verve du conteur aidant, ces émissions sont plébiscitées par les téléspectateurs. En effet, le Rat utilise Pinocchio (Pinocchio, le vrai, celui de Collodi, pas l’espèce d’ersatz de Walt Disney) qui, comme chacun sait est une marionnette animée d’une vie propre et qui commet des tonnes de bêtises, pour donner à voir le caractère des Calabrais, eux-aussi fait du bois dont on ne fait pas les bûches et pour valoriser la culture de ces paysans si longtemps tenue pour rien par les plus fortunés de leurs compatriotes.

Tout au long de l’histoire et des aventures cocasses qui surviennent aux deux protagonistes, l’auteur Emmanuele Trevi, un très brillant écrivain romain de 58 ans, glisse des remarques comme des flèches, désabusées et crues, qui confèrent à ce récit toute sa dimension métaphorique.

En voici quelques-unes :

« Toutes les humiliations, si on les accepte avec une certaine dose d’indifférence, deviendront tôt ou tard des armes, des avantages, des opportunités. À y bien regarder, nous ne pouvons compter sur rien de plus fiable. »

« Dans ce mélange unique de surréalisme et de désenchantement qu’est l’esprit méridional, la honte se concentre entièrement sur la vie privée, et être boiteux, dur d’oreille ou impuissant est un problème social beaucoup plus épineux que d’avoir chanté les louanges du Duce et contraint quelque malheureux instituteur à se raser la barbe ».

« Quelle que soit l’idée dont vous voudriez convaincre votre prochain, la partie la plus difficile et la plus nécessaire consiste toujours à vous convaincre vous-même. »

« Nous, nous ne sommes pas nés pour ressembler aux autres. Entre deux choses à faire, nous faisons toujours celle qu’il ne faut pas ….Nous, nous n’avons pas été créés pour être intelligents…. Notre vie est un mystère, un objet cassé qui ne se répare pas, la conséquence d’une tromperie… »

« Il n’existe pas d’homme plus vulnérable et sans défense que celui qui, entièrement absorbé par sa propre idée, ne s’aperçoit pas que les choses autour de lui sont en train de changer ».

Ce roman se termine en catastrophe, on pouvait s’en douter.

Si on file la comparaison avec Pinocchio, le vrai de Collodi, peut on considérer que d’avoir pu accéder au statut d’enfant véritable, à la fin du Conte, en récompense de l’assagissement de la marionnette qui les a bien toutes faites, soit une réalisation, une réussite, un aboutissement ? Le pessimisme de Trevi ou bien sa lucidité, le conduit à en conclure que non….

J’ai beaucoup aimé la facture de ce livre inclassable et son écriture sans concession.

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