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La Boite Noire (Shiori Ito 2017, Ed Picquier)

La Boite Noire (Shiori Ito 2017, Ed Picquier)

Cela faisait un moment que je me demandais pourquoi le phénomène ME TOO n’avait pas eu les mêmes répercussions dans toutes les démocraties (j’entends par là tous les pays disposant d’un authentique État de droit et non pas bien entendu ceux qui sont les totalitarismes le plus souvent machistes et/ou confessionnels.

Et parmi ces pays, il y avait le Japon. Il est vrai que les statistiques de viols y font état d’un très faible taux. Selon les données de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime de 2013, le pourcentage de viols pour cent mille habitants recensés par pays est de :

Suède : 58,5 (1er)

Grande-Bretagne (Angleterre, Pays de Galles) : 36,4 (3e)

États-Unis : 35,9 (5e)

France : 17,5 (23e)

Allemagne : 9,2 (38e)

Inde : 2,6 (68e)

Japon : 1,1 (87e)

On comprend très vite que si la Suède arrive en 1er,  alors que c’est un des pays au Monde où les droits des femmes y sont les plus reconnus, c’est que le système de prise en compte des agressions sexuelles offert aux femmes doit être bien différent en Suède de ce qu’il est au Japon.

Ce livre le montre parfaitement.

Alors qu’aux USA, des données indiquent qu’en fait, une femme sur cinq est victime d’un viol dans sa vie, au Japon, seulement une femme sur quinze reconnaît avoir subi « un acte sexuel forcé de la part d’une personne de l’autre sexe ».

Jusqu'à récemment, le viol au Japon était défini comme « un rapport sexuel illicite avec une femme » !!!

Dans ce pays, il faut que la victime prouve 1- l’acte sexuel et 2- le non-consentement. Cette question du non-consentement pose un problème partout et pas seulement au Japon. Dans la pratique, le Japon admet qu’il n’y a pas eu de consentement quand la victime n’avait jamais vu son agresseur, autrement dit lorsqu’il s’agit des viols de rue, qui sont loin d’être la majorité des cas d’agressions graves. Selon des statistiques officielles, les agressions sexuelles perpétrées par une personne totalement inconnue de la victime ne représentent que 11,1 % des cas. Dans la majorité des cas, l’agression provient d’une personne de l’entourage.

En outre, les victimes sont totalement découragées de porter plainte. La culture japonaise vise à surtout ne jamais déranger l’harmonie collective en se distinguant d’une manière ou d‘une autre. Et de fait, le Japon est un des pays les plus sûrs au monde. De ce fait, la libération de la parole des femmes est encore très lente et difficile. « Vu depuis le Japon, le mouvement #MeToo a été souvent considéré comme quelque chose d’ancré dans le contexte américain : les journaux ont pu mettre en avant ce qui peut être considéré comme des ‘spécificités’ des mouvements féministes américains », analyse Aline Henninger, post-doctorante à l’Université Paris Diderot.

Le viol est encore tabou, et d’ailleurs les femmes qui dénoncent ce type d’agressions sont accusées de mentir, de ne pas se couvrir assez le corps, ou bien d’avoir cherché à séduire. Et même quand les faits sont établis, les peines encourues restent faibles. Un tribunal japonais a reconnu en 2019 qu'un homme avait violé sa fille entre les âges de 13 et 19 ans, en faisant usage de violence lorsqu’elle résistait, mais aucune peine de prison n’a été prononcée.

C’est pourquoi le témoignage d’une journaliste de 26 ans Shiori Ito, dans son livre « La Boite Noire » est si courageux.

Le 3 avril 2015, Shiori Ito, a rendez-vous à Tokyo avec Noriyuki Yamaguchi, un haut responsable de la chaîne TBS. Il dirige le bureau de Washington de la télévision japonaise et a invité la jeune journaliste à dîner pour discuter des détails du visa qui lui permettrait de travailler pour la chaîne aux Etats-Unis. Sa vie bascule ce soir-là. Après avoir perdu connaissance dans les toilettes du restaurant, elle se réveille dans une chambre d’hôtel avec l’homme, qu’elle accuse de l’avoir droguée et violée, ce qu’il dément.

Elle va briser le silence et tenter, par tous les moyens légaux, d’être reconnue comme victime, ce qui lui demandera une volonté exceptionnelle et une endurance à toute épreuve.

Comme elle accepte de sortir de l’anonymat et de se montrer, on lui reproche d’avoir provoqué ce qui lui est arrivé, on l’accuse d’être « de gauche » ou « d’origine coréenne », car une femme japonaise n’aurait jamais parlé ainsi, brisant le tabou qui frappe les agressions sexuelles. Elle reçoit alors insultes et menaces de mort, tandis que son agresseur bénéficie de telles protections que même les policiers sont empêchés de l’arrêter, et qu’il ne sera jamais vraiment poursuivi. Et ce malgré des preuves de video-surveillance, les témoignages du chauffeur de taxi et les tests ADN …

Au passage, elle démonte quelques idées reçues : il n’y a pas de vêtement de victime (les femmes violées ou agressées ne portent pas des tenues légères dans leur grande majorité) et aucune des situations suivantes, généralement invoquées par les agresseurs pour prouver le consentement des victimes, n’a de lien avec un acte sexuel désiré :

– Un repas en tête-à-tête

– Une sortie dans un bar en tête-à-tête

– Monter en voiture en tête-à-tête

– Des vêtements très décolletés ou courts

– Être ivre

Après de nombreux déboires judiciaires, Shiori Ito finira par obtenir des réparations au civil, sans avoir jamais obtenu la condamnation pénale de son agresseur. J'ajoute que dans les trains bondés, la pratique des frotteurs est si répandue qu'un appareil de marquage (un tampon encreur) a été vendu en 1/2h après sa sortie sur le marché. Des wagons exclusivement réservés aux femmes ont même dû être mis en place aux heures de pointe.

Beaucoup de progrès à faire !

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