Dans une société anesthésiée pour ne pas dire anéantie par les mensonges, l’incompétence, l’arrogance et l’autoritarisme d’une classe politique qui n’a pour seul horizon que de se perpétuer, ce livre, pour ce qu’il révèle et qui est trop longtemps resté caché, est une bouffée d’air frais. Nul doute que ses répercussions médiatiques seront rapidement étouffées par ceux-là même qui ont commis les forfaits et qui se présentent comme nimbés d’une virginité sans tache aux suffrages des Français.
Les auteurs commencent ainsi :
« Pour nous, tout a commencé en janvier 2021 lorsque tombe cette stupéfiante nouvelle : sans l’appui du cabinet américain McKinsey, le ministère de la Santé aurait été incapable de lancer sa campagne de vaccination contre le coronavirus ».
On en est là, effectivement. Et tous ceux qui veulent encore dégraisser le mammouth pour complaire à la population qui voit que les services publics ne remplissent plus leur rôle, ou qui croient vendeur de taper sur les fonctionnaires (ça fait/ça faisait bien) s’engagent donc à persévérer dans l’erreur, si ce n’est dans la forfaiture.
Car ce livre lève le voile sur un système diabolique, résolument défendu lors du mandat Sarkozy (et ses successeurs), et qui consiste à appauvrir l’administration et à lui substituer des cabinets de conseil qui, outre qu’ils sont tous américains ou presque, coûtent 5 fois plus cher que nos fonctionnaires, et ce, en pure perte.
« Tous nos interlocuteurs nous ont décrit comment la fonction publique a été dépouillée d’une partie de ses compétences – y compris dans des domaines régaliens comme la justice, la police ou l’armée – pour le plus grand bénéfice de sociétés privées, le plus souvent américaines.[.. ] Dans un mouvement de balancier mortifère, plus l’État externalise, plus les Français sont insatisfaits, plus les fonctionnaires se sentent évincés, et plus la dette se creuse. »
C’est ainsi par exemple que du 12 mars 2020 au 24 avril 2020, il a fallu donner 6,7 millions d’euros à un cabinet de conseil pour connaitre l’état des stocks de masques, puis des équipements individuels, puis des médicaments, alors qu’on demandait encore plus d’efforts de réduction des coûts à notre système de santé.
« Que s’est-il passé pour qu’un pays qui, une décennie plus tôt, se tenait prêt à affronter une pandémie, avec suffisamment de masques et de vaccins, se retrouve, comme sidéré, incapable d’anticiper, de prendre une décision, de mettre en place un système informatique ou d’évaluer ses stocks ? [..]Le Covid a agi comme un miroir grossissant sur l’affaiblissement des services publics concomitant de l’envolée du consulting, l’un accélérant l’autre et vice versa. »
Depuis 2007, et la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques, qui consistait au non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, accompagnée d’une série d’indicateurs inutiles, car rien n’était utilisé pour piloter efficacement, c'est-à-dire à répartir les moyens, mais uniquement à réduire les moyens en personnel de façon uniforme) il s’agit bien de « casser le service public à la française et lui substituer un modèle anglo-saxon où les valeurs de solidarité sont remplacées par l’obsession de la rentabilité ».(CGT)
Si seulement on pouvait être certain que les consultants privés étaient plus compétents et efficaces que les fonctionnaires, on pourrait tout à fait convenir de cet état de fait. Mais voilà, ces cabinets utilisent des consultants juniors (ou même seniors) qui ne connaissent strictement rien à l’administration et font perdre du temps aux fonctionnaires en leur demandant de leur expliquer par le menu, leur travail, leur diagnostic et jusqu’aux solutions qu’ils s’empresseront de répercuter, pourvu qu’elles contiennent des économies de personnel.
« Rémy, un inspecteur d’une quarantaine d’années, nous a raconté comment les gouvernements successifs l’ont contraint, lui et ses collègues, à collaborer avec des cabinets de conseil : « J’ai mené, dit-il, de nombreuses missions conjointes pour l’Inspection des finances, où nous avons été obligés de travailler en doublon avec des consultants. Des jeunes gens à la tête très bien faite mais qui ne connaissent strictement rien à l’État. » »
Si seulement on pouvait faire des économies réelles de personnels, tout le monde en serait content. Mais en fait, ces cabinets sont chargés de faire maigrir l’Etat, à leur profit ! « Les cabinets, en investissant la bataille des idées, incitent leurs clients (privés ou publics) à acheter ensuite leurs prestations. Ce n’est jamais dit comme ça évidemment. La « com » des consultants est plus subtile. Mais le « diagnostic-vente » revient à être juge et partie ».
« Le secrétaire général de l’Ademe est le premier à se désoler de ce « gâchis d’argent public ». Il a fait ses comptes : « La charge annuelle d’un consultant représente 200 jours à 1 000 euros minima la journée, soit 200 000 euros. Si on recrute un intérimaire, ça nous coûte 100 000 euros, donc deux fois moins. Et si on fait appel à un fonctionnaire, 40 000 euros annuels, soit cinq fois moins. » »
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