L’Avare ! une pièce qu’on connait tous très bien parce qu'on l’a lue à l’école et qu’on l’a déjà vue représentée des dizaines de fois.
L’Avare, une pièce qu’on croit assez simple, et qui met en scène un personnage complètement rongé par sa passion pour l’argent, pour la thésaurisation, pour la radinerie, et totalement dépourvu de tout autre sentiment. Un personnage à priori univoque, facilement caricaturable , « ma cassette, ma cassette », et tellement excessif dans son vice qu’il en devient très vite ridicule.
Joué par un immense acteur, Michel Boujenah, qui reprend le rôle de…. Molière lui-même, outre la pléiade d’acteurs emblématiques qui ont incarné le rôle-titre au cours des siècles ( dont Charles Dullin, Jean Vilar, Louis de Funès, Michel Serrault, Michel Bouquet, Denis Podalydès) ! Et c’est toujours un risque que de prendre un acteur de cette envergure, le risque principal étant bien sûr que ce géant en fasse trop, se lance dans le cabotinage et finisse par dénaturer le texte, et la critique morale qu’il contient.
L’Avare a été joué pour la 1ʳᵉ fois en 1668, Molière avait 46 ans, c’était à 5 ans de sa mort. Molière avait déjà écrit la plupart des pièces les plus polémiques et les plus profondes, Tartuffe, Le Misanthrope, Dom-Juan. Le public ne s’est pas passionné pour cette pièce qui n’a été donnée que 47 fois.
Car Harpagon, l’Avare, n’est pas seulement un personnage comique. C’est aussi un grand paranoïaque qui ne peut pas vivre dans la sérénité et jouir de ses biens. Son angoisse est telle qu’il est sans cesse sur le qui-vive, incapable d’accorder la moindre goutte de confiance à ses proches, incapable d’aimer ses enfants, et finalement contraint à une solitude désespérante autant qu’absurde.
La mise en scène par Daniel Benoin, un grand connaisseur de cette pièce qu’il a déjà mise en scène à plusieurs reprises, est vraiment excellente.
D’abord, c’est un décor XVIIe siècle et les personnages jouent en costumes. Au passage, je maintiens que je préfère quand les pièces emblématiques de Molière sont jouées en costumes du grand siècle. Celui de l’Avare est quasiment celui dans lequel est représenté Molière sur les gravures d’époque et c’est comme ça qu’il est imprimé dans nos imaginaires. C’est donc très bien parce que c’est ce qu’on veut voir.
Ensuite le décor : nous sommes dans une antichambre d’un logement, pourvu d’une sorte de courette close, côté jardin et côté cour, de très grands volets qui laissent filtrer la lumière oblique de l’extérieur. Au fond, une immense porte à battants qui s’ouvre sur une terrasse, où il neige sans arrêt. Nous sommes en plein hiver, l’hiver du cœur, certainement, l’hiver qui referme les relations familiales autour du personnage central, l’avare, Harpagon.
Michel Boujenah a quand même rendu, sans grands cris, sans excès de jeu, la subtilité du personnage, qui demeure un homme malheureux, victime de sa folie, victime de lui-même. De ce fait, il a effacé un peu la méchanceté foncière de cet avare qui aurait bien préféré voir tout le monde noyé plutôt que de perdre sa cassette !
La mise en scène accentue la folie de ce paranoïaque, dont les visions sont matérialisées par des projections vidéos de personnages venus lui réclamer des comptes, un peu comme au jugement dernier. Mais ce ressort n’est pas utilisé de manière trop envahissante et on comprend qu’on est juste appelés à partager les hallucinations d’un homme malade, au moment où il sent que les évènements lui échappent.
Peut-être qu’Harpagon se voit vieillir, et que son avarice qui consistait à tout maitriser, va trouver là l’impasse où elle va s’échouer ? Certainement qu’en vieillissant, sa passion apparait encore plus pour ce qu’elle est : un état mental puéril, un refus obstiné d’être pleinement un adulte, un père et même un amant ?
Car Harpagon est saisi par l’amour, oui, oui, mais s’il accepte une femme sans dot, en revanche il ne veut pas la céder à son fils qui en est épris depuis longtemps. Pour quelle raison ? Est-il sincèrement amoureux ou considère-t-Il que cette femme est un butin à conserver comme sa cassette, à l’abri des regards dans sa maison ? Je penche pour la première interprétation, car Harpagon veut croire la marieuse qui lui affirme que la dame aime les vieillards qui portent barbe et lunettes. Il arrive à débiter des compliments maladroits et le dédain de la belle semble un peu le toucher . Serait-il sensible lui aussi ?
Je recommande vraiment d’aller voir cette pièce, l’interprétation de Michel Boujenah fera, à n’en pas douter, date dans l’histoire des représentations de cette pièce.
Michel Boujenah dans le rôle d’Harpagon
Sophie Gourdin dans le rôle de Frosine
Bruno Andrieux dans le rôle de La Flèche/Anselme
Mélissa Prat dans le rôle d’Elise
Mathieu Métral dans le rôle de Valère
Fanny Valette dans le rôle de Mariane
Antonin Chalon dans le rôle de Cléante
Mise en scène: Daniel Benoin