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Une mort dans la famille ( Odéon théâtre de l'Europe, 2022)

Une mort dans la famille ( Odéon théâtre de l'Europe, 2022)

C’est vraiment un metteur en scène et créateur de grand talent qu'Alexander Zeldin. Je l’ai pourtant découvert tardivement pas une pièce "Faith Hope and Charity" jouée en anglais dans ce même théâtre en 2021.

Le sujet de la pièce ne prête pas à rire, mais après les 2 années que l’on vient de passer, il me paraitrait bien hasardeux de claquer la porte et de faire comme si rien n’était arrivé.

Alexander Zeldin explique qu’il a voulu interroger notre relation à la mort, notre destin commun, et plus particulièrement notre attitude face à la mort d’une personne âgée qui nous est chère.

Le propre du théâtre de Zeldin c’est qu’il n’y a pas de séparation entre la scène et la vie et c’est pourquoi :

  • Il fait intervenir à la fois de grands acteurs et des amateurs,
  • Les décors reproduisent de façon hyper réaliste les lieux de vie des personnes âgées, avec lits médicalisés, réfectoire morose, fauteuils roulants et déambulateurs et jusqu’aux tableaux accrochés aux murs et qui reproduisent des scènes fanées de paysages tropicaux.
  • Les sujets de ses pièces plongent dans nos expériences de vie, dans nos intimités, dans nos cercles sociaux,
  • Le plateau n’est jamais distinctement séparé du public, des spectateurs sont carrément assis au milieu des acteurs, sur la scène,
  • L’arrivée des acteurs se fait depuis les gradins du public,
  • Nous entrons dans l’intimité des corps des acteurs : il y a souvent des manifestations physiques comme la nudité des acteurs ou, en l’espèce, des détails montrant l’indignité et la faillite des corps des personnes âgées. Marie-Christine Barrault qui joue la vieille dame qui décline, a besoin d’aide pour aller aux toilettes et elle se tache, faute d’avoir pu rejoindre à temps les WC.

Cette pièce est très vraisemblablement inspirée par la vie elle-même d'Alexander Zeldin qui raconte comment sa grand-mère est venue d’Australie pour mourir au Royaume-Uni, un an après que son gendre, le mari de sa fille, soit décédé brutalement, laissant la famille, composée de deux enfants (dont Alexander Zeldin adolescent, son frère et sa mère) dans un grand désarroi.

L’un des enfants s’appelle Alex dans la pièce et c’est justement le plus rebelle, le moins enclin à secourir la grand-mère qui part à la dérive.

Au tout début, la grand-mère revient d’une première maison de retraite où elle était malheureuse et affirme vouloir vivre avec sa fille. Mais rapidement, devant la progression de l maladie, et le déclin accéléré de ses facultés, il devient nécessaire de la placer à nouveau dans un autre EPAHD, hors de prix, mais où elle sera mieux traitée.

Elle mourra bien entendu sur la scène, après une courte agonie et un délire anxiogène.

Zeldin a conçu beaucoup de trouvailles de mise en scène, mais l’une des plus réussies, c’est d’avoir « imagé » la mort : les personnages qui décèdent sont entourés de leur famille qui leur parlent et ne s’aperçoivent pas tout de suite qu’ils sont morts. Le mourant se lève comme par automatisme, sort de son lit et part, pendant que la famille continue d’entourer un lit vide. Très beau, très émouvant.

On pourrait se demander pourquoi aller au théâtre pour voir ce qu’on ne veut déjà pas affronter dans la réalité. Et c’est vrai qu’il y avait des spectateurs qui quittaient la représentation avant la fin.

Mais ceux qui sont restés jusqu’au bout ont applaudi à tout rompre.

Car c’est justement le propre du théâtre que nous nous montrer ce qu’on ne voit pas : il s’agit, dit Zeldin, de « faire vivre les morts ».  Au fond, le metteur en scène retrouve les racines, l’essence même d’un spectacle. Raconter l’indicible, parler des tabous, des choses cachées, des dénis, des refus. En faire une œuvre d’art, détachée de la vie et pourtant son miroir, en faire quelque chose de beau, d’étrangement esthétique, en faire une émotion partagée.

J’ai beaucoup aimé, c’est vraiment à la fois une catharsis et une source d’inspiration. Ce théâtre est du grand art, tout y semble tellement « naturel ». Finalement, loin d'être déprimant, ce théâtre donne de l'énergie!

Il faut souligner la performance d’actrice de Marie-Christine Barrault qui n’hésite pas à se laisser laver dans son lit, à montrer ses vêtements souillés et à mimer la mort… Impressionnant.

« Le théâtre ressemble aux bouddhas qui ont les yeux à moitié ouverts, pour être à la fois à l’intérieur et à l’extérieur »  explique avec justesse Alexander Zeldin.

Théâtre de L'ODEON, Ateliers Berthier

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