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Dernières nouvelles du mensonge (Anne-Cécile Robert ed Lux 2021)

Dernières nouvelles du mensonge (Anne-Cécile Robert ed Lux 2021)

Beau titre assurément pour cet essai qui, en fait, interroge ce qui fait la « réalité », ce qui fait que quelque chose puisse être considéré comme crédible car non mensonger, avec une stabilité suffisante pour que, momentanément, il soit possible de s’y fier.

Or, aujourd’hui comme hier, le monde est rempli de mensonges. Pas seulement d’erreurs (qui sont souvent des vérités à un instant ‘T’ des connaissances), mais bien de mensonges, volontaires, délibérés, de fake-news, de vérités alternatives, ou post-vérités,  qu’on tente de nous faire avaler comme « vérités officielles ».

Car la manipulation des faits ne date pas d’hier. Tous les régimes depuis la plus lointaine antiquité ont utilisé la propagande ne serait-ce que pour des besoins militaires ou dans le but vertueux de « séduire » les plus sceptiques, de les convaincre et donc de réaliser une « unité ».

Si l’on s’attarde sur la situation actuelle, que l’auteure fait remonter aux années 80, il semblerait bien que l’on vive dans une atmosphère de plus en plus brouillée avec la vérité.

Et cela va de TINA (« There is no alternative » de Margaret Thatcher, ou  comme Mitterrand jurant qu’on «  avait tout essayé contre le chômage ») jusqu’à l’affirmation récente que les masques sanitaires n’étaient pas utiles en pleine pandémie de Covid 19.

Or, nous dit Anne Cécile Robert, nous faisons une erreur conceptuelle si nous envisageons la vérité comme un diamant caché qu’il nous faudrait débusquer. C’est d’ailleurs ce que font les media occupés au fact-checking. Au lieu d’enquêter pour donner des informations recoupées et fiables, ils s’acharnent à démonter les mensonges ou fake news donnés par d’autres. Ce faisant, ces media se placent d’avance- et à peu de frais- dans le « camp du bien », donc dans le camp du vrai alors qu’ils ne font que servir l’occultation de la vérité. Car le mensonge n'est pas le contraire de la vérité.

En effet, la vérité n’est pas quelque chose d’intangible et de « prouvé » uniquement par les faits, les chiffres ou les images. Anne Cécile Robert rappelle que dans les années 80, l’URSS avait diffusé une photo, bien réelle et authentique, d’une queue devant une boulangerie parisienne avec ce commentaire « Même à Paris, les gens font la queue pour acheter du pain ». Or, il est probable que cette queue était due à l’heure tardive d’achat du pain, un dimanche, avant la fermeture de ladite boulangerie et non à un manque de denrées.

"Dans un univers dogmatique, la vérité devient le mensonge".

Ce qu’il y a de plus fécond dans la réflexion de l’auteure, c’est bien cette idée que la vérité est une construction sociale, qu’elle doit pouvoir s’élaborer collectivement, dans un débat ouvert entre tous les citoyens laissant place au contradictoire.

La vérité "naît du travail acharné pour établir les faits, suivant une rigueur méthodologique et, in fine, du sens et de la valeur morale qu’on attribue à ces faits".

Si les citoyens ont de plus en plus de mal à distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas, c’est que justement les conditions du débat ne leur sont plus accessibles.  Un débat n’est pas un combat, un débat suppose qu’on y entre avec humilité et non pas fort de ses propres certitudes. Pour qu’un vrai débat soit possible il faut que chacun abandonne ses convictions et admette que l’autre pourrait aussi avoir « raison » ou détenir une parcelle de vérité. Il ne s’agit pas pour autant, de sombrer dans le doute généralisé , les vérités alternatives ou le relativisme. Tout ne peut pas être remis en question. Mais certaines orientations, certaines prises de position, certaines affirmations peuvent faire l’objet d’un doute raisonnable et donc d’une discussion libre et respectueuse des avis non concordants.

De ce fait, les réseaux sociaux ne sont pas responsables de la confiscation du débat. Il ne faut pas confondre l’outil avec ce qu’on en fait. Les réseaux sociaux sont simplement un outil. Certes leur utilisation entraine parfois des attaques qui sont loin d’être constructives (mais moins souvent qu’on ne le pense puisqu’on estime la haine en ligne à 5% des échanges « seulement » ce qui n’est pas majoritaire). Ce qui est constaté au travers des réseaux sociaux, c’est bien plus le conformisme et l’entre soi (on ne discute qu’avec ceux qui sont d’accord) que des vrais débats.

Nos sociétés ne sont plus capables de produire de la vérité et sont donc devenues structurellement mensongères. Les citoyens ne sont plus admis à raisonner dans un débat ouvert et public. Ils sont donc de moins en moins capables d’approcher la vérité. D’où le complotisme et les populismes.

"Le complotisme se nourrit de la marginalisation des classes populaires tenues à l’écart du pouvoir par des classes dirigeantes qui prennent de moins en moins en compte leurs intérêts."

Il est urgent, nous dit l’auteure, de repenser l’espace public pour que les discussions puissent avoir lieu. Et pour cela il faudrait construire une méthode, un processus et que les liens sociaux soient repensés dans cet objectif.

"Un «démocrate», si on prend le mot au sérieux, se doit donc d’admettre une forme d’indétermination de la vérité."

Or ce n’est absolument pas ce qui se passe. La parole publique de notre gouvernement est faite d’éléments de langage qui interdisent toute possibilité de critique ou de contestation. Les « vérités » ainsi assenées ne souffrent pas de divergences. Or, cette invasion du mensonge engendre beaucoup de scepticisme, et de la violence, d’abord verbale puis, de plus en plus, physique.

De plus, si cette technique de bidonnage semble efficace momentanément, l’auteure nous dit que la vérité finit toujours par se manifester un jour ou l’autre. Dans d’autres circonstances, nous avons bien fini par savoir que notre gouvernement n’avait pas fait de provision de masques, comme il s’y était engagé dans les premiers mois de l’épidémie.

"«Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges, mais que plus personne ne croit plus rien, constatait Hannah Arendt. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger".

Les « vérités » officielles qui sont si dangereuses pour la démocratie et donc pour les liens sociaux , finiront par s’effondrer, un jour ou l’autre, plus tard, autrement : c’est une note d’espoir….à conserver comme un diamant…

PS: les citations entre "" sont issues du livre d'Anne-Cécile Robert

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