Tout est surréaliste dans cette histoire.
Une secrétaire de Goebbels, Brunhilde Pomsel , âgée de 106 ans, a rédigé, peu de temps avant sa mort, ses mémoires à destination des générations futures.
Dans la même période on apprend qu’une secrétaire d’un camp de concentration, Irmgard Furchner, âgée de 96 ans, s’est échappée de son EPAHD afin de fuir son procès. Elle est notamment poursuivie pour complicité de tentatives de meurtres et complicité de meurtre «dans plus de 10.000 cas ».
Car l’Allemagne juge encore, 80 ans après, des acteurs plus ou moins indirects des atrocités commises pendant le nazisme.
C’est ainsi que l’an dernier, un ancien gardien du camp de concentration du Stutthof (région de Gdansk), Bruno Dey a été condamné à deux ans de prison avec sursis par le tribunal de Hambourg. Un autre ex-gardien SS dans le camp de travail forcé de Trawniki, âgé de 95 ans, expulsé par les Etats-Unis pendant l’ère Trump,et accueilli par l'Allemagne a été transporté vers un centre de soins gériatriques près de Münster et échappera sans doute à son procès en raison de son grand âge. Comme bien d’autres, jugés trop tardivement pour que cela ait un sens d’ordre public.
C’est d’autant plus surréaliste que souvent ces protagonistes étaient encore mineurs au moment des faits et qu’il faut donc une justice spéciale des mineurs pour juger ces nonagénaires !
L’Allemagne a jugé et condamné ces dernières années plusieurs anciens SS pour complicité de meurtre : John Demjanjuk, Reinhold Hanning et Hubert Zafke l'ont tous été, ce qui montre que la justice allemande, pour tardive qu’elle soit, ne néglige pas ses responsabilités face aux crimes nazis. Cependant, jusqu'ici, aucun de ces condamnés n'est allé en prison, en raison de leur état de santé.
Dernièrement, Oskar Gröning, dit le "comptable d'Auschwitz", a été définitivement condamné à quatre ans de prison, avant de mourir en mars à 96 ans, peu avant son incarcération.
Il semblerait donc que ces procès soient organisés aujourd’hui beaucoup plus pour répondre à des impératifs symboliques que pour assurer une justice équitable. Trop de ces protagonistes ont mené une vie tranquille pendant toutes ces années , de telle sorte que le seul tort de ceux qui restent c’est précisément d’être encore en vie !
Dans d’autres cas, ces seconds couteaux choisissent de faire œuvre de mémoire pour servir d’avertissement sur les dangers d’un retour possible des idéologies funestes.
C’est ainsi qu’il y a peu, une des secrétaires d’Hitler avait, elle aussi publié ses mémoires.
Et comme dans le cas de Brunhilde Pomsel, elle ne se sentait absolument pas concernée par les crimes nazis dont elle servait les instigateurs. Banalité du mal…
C’est pour montrer à quel point l’être humain peut sombrer dans la monstruosité, à quel point il est aisé de collaborer aux entreprises les plus barbares, à quel point les ténèbres peuvent anesthésier notre humanité, que ce texte (issu des interviews de Brunhilde Pomsel) a été écrit par Christopher Hampton et déjà représenté en 2019 par Maggie Smith, à Londres.
Aujourd’hui c’est une immense actrice qui le reprend au Théâtre de Poche de Montparnasse et c’est une performance car Judith MAGRE compte 95 printemps !!!! encore une histoire surréaliste mais qui colle si bien avec l’âge de la narratrice originelle !
Elle possède le charme délicieux des très vieilles dames, et elle réussit à incarner à merveille Brunhilde, son innocence, son inconscience, sa légèreté face aux plus abominables des crimes de masse. Judith MAGRE arrive ainsi à nous montrer le visage de l’horreur sous les dehors de la plus gentille et inoffensive des collaboratrices de la bête immonde. Car Goebbels, responsable de la propagande nazie, avait ordonné à ses secrétaires de minimiser les chiffres des soldats allemands tombés au combat et d’augmenter les chiffres des viols commis par les Soviétiques.
Brunhilde n’a jamais vu, n’a jamais rien compris, à ce qu’elle affirme, de l’existence des camps de concentration. Dans ses souvenirs, elle se libère (en apparence) de toute culpabilité, comme beaucoup d’Allemands d’ailleurs. Elle, qui était si fière, d’appartenir à la grande mécanique administrative nazie, ne s’est pourtant jamais intéressée à la politique.
« Il y a tellement de choses que j’ai oubliées. Presque tout, en réalité. » dit-elle par la voix magnifique de Judith MAGRE.
Ce spectacle, pour que nous n’oubliions jamais !
Une vie allemande, de Christopher Hampton. Adaptation française, Dominique Hollier. Mise en scène Thierry Harcourt. Avec Judith Magre. Théâtre de Poche-Montparnasse. Paris