Casting éblouissant pour cette nouvelle adaptation du roman le plus acerbe de Balzac :
Benjamin Voisin ( Lucien de Rubempré ) Vincent Lacoste (Étienne Lousteau) , Gérard Depardieu (Dauriat, l’éditeur véreux), Cécile de France (Madame de Bargeton), Jeanne Balibar (la Marquise d’Espard) , Xavier Dolan (Raoul Nathan, le narrateur), Salomé Dewaels (Coralie)…
Et film très réussi !
Ce n’est pas facile, compte tenu de toutes les adaptations précédentes, de refaire un film sur cette œuvre de Balzac dont Jules Janin, critique de l’époque, disait : « Ce livre, dans lequel on n'entre que comme dans un égout, ce livre tout plein de descriptions fétides, ce livre dégoûtant et cynique, est tout simplement une vengeance de M. de Balzac contre la presse ».
Mais il faut croire que Balzac est d’une grande actualité car les adaptations se succèdent, que ce soit au théâtre (on a parlé dans ce blog de la pièce de Pauline Bayle, vue au théâtre 71 en début d’année) ou au cinéma ( Eugénie Grandet est en programmation dans les salles en ce moment).
Et il est vrai que le monde de Balzac, qui décrit la cruauté et l’absence de scrupules du capitalisme triomphant, ressemble terriblement à celui que nous vivons actuellement. Tout est régi par l’intérêt, les idéaux se sont brisés dans l’explosion du libéralisme mondialisé, et seuls quelques privilégiés se préoccupent d’expulser les populations de leurs droits fondamentaux afin de préserver leurs rentes. Il semblerait bien que nous soyons revenus aux pires heures des violences politiques et de l’injustice sociale. Finalement, à l’exception des 30 Glorieuses, où la menace reposait sur la présence d’un autre modèle (soviétique pour résumer), à l’exception de ces périodes où il ne fallait pas décourager Billancourt, eh bien les sociétés ont une fâcheuse tendance à retourner à ce qui a causé des catastrophes planétaires : l’accaparement des richesses par quelques-uns et le mépris de classe.
On m’a appris que lorsqu’on se comporte de la même façon que ce qui a entrainé un échec, on ne doit pas s’étonner d’obtenir les mêmes résultats.
La vision très noire du monde de l’édition et de la presse était alimentée, pour Balzac, par une connaissance directe des obstacles qu’il avait lui-même rencontrés. Son œuvre étant indissociable de sa vie, il faut souligner à quel point cet homme, à l’appétit insatiable « d'argent, de femmes, de gloire, de réputation, de titres, de vins et de fruits » (Taine) a pu connaître de déboires ruineux. Il a multiplié les amours simultanées, les déménagements, les faillites et les dettes.
Ce génie littéraire d’une fécondité exceptionnelle, (il avait l’ambition de produire un roman par mois ) ce monstre qui a réussi en 30 ans à bâtir un monde au travers de près d’une centaine de romans et nouvelles, articulés autour de la description de la « Comédie Humaine » s’est constamment pris des murs dans la figure. Et spécialement dans son univers lié à l’édition, au journalisme, à l’imprimerie.
C’est ce qu’il raconte dans Illusions Perdues : « Quiconque a trempé dans le journalisme, ou y trempe encore, est dans la nécessité cruelle de saluer les hommes qu’il méprise, de sourire à son meilleur ennemi, de pactiser avec les plus fétides bassesses, de se salir les doigts en voulant payer ses agresseurs avec leur monnaie. On s’habitue à voir faire le mal, à le laisser passer ; on commence par l’approuver, on finit par le commettre. »
Lucien de Rubempré est magnifiquement interprété par Benjamin Voisin qui possède la naïveté du personnage (un provincial qui débarque à Paris, la ville de toutes les corruptions) et la force de son ambition teintée de confiance en soi et de désir de s’élever.
Depardieu, n’en fait pas trop, (je le craignais) et joue un éditeur du Palais Royal qui n’hésite pas à se salir les mains.
Jeanne Balibar est absolument géniale de duplicité et d’arrogance aristocrate. Et j’ai beaucoup apprécié la prestation de Xavier Nolhan qu’on connait surtout comme réalisateur surdoué mais qui est également un acteur hors pair .
Un film d’atmosphère où les costumes sont pensés comme des habits et non comme des déguisements, où les lumières et les décors ressuscitent l’atmosphère de la Monarchie de Juillet, c’est un vrai plaisir qu’on ne quitte, à la fin d’un spectacle de 2 h, qu’à grand regret.
Je souhaite que ce film connaisse la carrière internationale qu’il mérite !