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Illusions Perdues (théâtre 71 Malakoff)

Illusions Perdues (théâtre 71 Malakoff)

Un spectacle vu au Théâtre 71 de MALAKOFF, mais qui tourne France entière, après un an de clôture pour cause de crise sanitaire. La compagnie "A tire d’aile"est basée à Albi mais elle doit avoir ses marques au Théâtre de la Bastille.

Pauline Bayle est une jeune metteur en scène, comédienne aussi, pleine de talent et de finesse. Elle a déjà monté des adaptations de l’Iliade et de l’Odyssée, ainsi que le roman de Leila Slimani « Chanson douce ».

Je n’ai pas vu ses créations antérieures mais je pense qu’elle a déjà utilisé la disposition théâtrale d’un plateau sans mur, avec des spectateurs sur la scène, laquelle se transforme en une sorte de ring où évolue l’action.

C’est très intelligent, car elle peut ainsi se dispenser de décors et centrer l’attention sur le jeu des acteurs qui font évoluer l’action d’un geste, comme par enchantement. Par contre la proximité n’autorise aucun défaut et il faut des acteurs non seulement agiles, capables de se transformer en un clin d’œil, mais aussi totalement engagés dans leurs personnages, leurs expressions, leurs textes. 

Pour illustrer ce roman-fleuve de Balzac dont nous avons tous déjà tellement rêvé les personnages et les décors (le flot de descriptions balzaciennes bien connues des écoliers !) , il n’était pas nécessaire de fournir des illustrations. Pas de décor, pas de murs, pas vraiment de costumes sauf pour souligner le côté « campagne » contre ville des personnages. Un sarrau contre une lavallière, une veste, un manteau, des talons plus ou moins hauts, cela suffit pour incarner l’un et l’autre des personnages. A 5 acteurs, ils en incarnent une bonne vingtaine, ce qui donnent l’impression, déjà présente dans les romans de Balzac, d’un foisonnement, d’un univers en soi, d’un monde qui se déplie !

Et voilà Paris en toile de fond, le Paris de 1820, un Paris qui venait de traverser la Révolution et l’Empire, le Paris de la Restauration, une ville parmi les plus importantes du monde occidental, bourdonnante, bouillonnante, affairée et affairiste, un peu le centre du monde, comme peut l’être aujourd’hui New York. . Le roman a été écrit dans les années 1840, par un Balzac en robe de chambre, cloitré à Passy, un forçat de l’écriture, qui pissait de la copie à une allure vertigineuse. Paris est décrite par des personnages qui découvrent la ville en même temps que Lucien de Rubempré, et leur récit est plus évocateur que toutes les images possibles. J’ai même cru reconnaitre des accents de Verhaeren quand Coralie évoque la monstruosité tentaculaire des villes industrielles. En tous les cas, la ville est vue par les yeux d’un provincial qui comprend vite qu’« à Paris, il y a dans l’air et dans les moindres détails un esprit qui se respire et s’empreint dans les créations littéraires. On apprend plus de choses en conversant au café, au théâtre pendant une demi-heure   qu’en   province   en   dix   ans.   Ici, vraiment, tout   est   spectacle, comparaison   et instruction…La vie y est d’une effrayante rapidité. ».

Pauline Bayle a choisi de se concentrer sur la partie 2 du roman. Celle où Lucien va justement apprendre la corruption, le mensonge, la trahison, et le moyen de rester « dans la course » malgré le déshonneur et la faillite.

Car « Illusions Perdues » est un roman d’apprentissage, un récit d’initiation aux turpitudes et vices de la vie citadine, de la vie en société. Lucien est ambitieux, il veut percer comme auteur et il est prêt à quelques sacrifices pour cela. Le premier est d’intégrer une équipe de journalistes. Les média de l’époque, c’est la télévision de nos jours. Il s’y passe exactement les mêmes ignominies, les mêmes bassesses, les mêmes perversions.

Les journaux se concurrencent entre eux, et cela aiguise les jalousies et les haines. Ils sont sous la pression du pouvoir politique et des groupes d’opinion. Bonapartistes, libéraux, républicains et monarchistes se battent pour prendre et/ou conserver le pouvoir. Et les journalistes sont à leur solde.

En outre, la scène théâtrale est l’objet de toutes les batailles. C’est le cinéma d’aujourd’hui, il y a de l’argent à la clef. De l’argent et du sexe, un cocktail explosif. Les journalistes font et défont les succès. Rien d’étonnant à ce que le milieu de l’édition soit pourri jusqu’à la moelle.

Ce roman est peut-être le plus personnel de Balzac qui a dû, lui aussi, se frotter à l’avidité et à la soif de pouvoir de la sphère médiatico- politique. Et qui a dû sans cesse se cacher des créanciers qui l’ont harcelé jusqu’à la fin de sa vie.

La représentation intègre ce qui est à la mode aujourd’hui : Lucien de Rubempré est joué par une femme, de même que de nombreux rôles d’hommes. Voilà qui satisfera les partisans du dé-genrement de la scène artistique. C’est très bien réussi mais bof…

En tous les cas, voilà un spectacle bien enlevé où on ne s’ennuie jamais. Peut-être aussi à cause des étranges similitudes avec ce que nous connaissons actuellement dans les médias et la vie politique ?

Adaptation / Pauline Bayle, d’après Balzac
Mise en scène / Pauline Bayle
Avec Charlotte Van Bervesselès en alternance avec Tatiana Spivakova, Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Alex Fondja, Jenna Thiam et la participation de Viktoria Kozlova ou Pauline Bayle

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