Oui, c'est un film japonais, mais c’est surtout un livre que j’ai tant aimé de l’écrivain anglais, prix Nobel de Littérature 2017, et anobli en son temps par la Reine, Kasuo Ishiguro.
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Ce roman a été écrit en 1982, et c’est le premier ouvrage de ce magnifique romancier, auteur notamment des « Vestiges du jour », et de « L’artiste du monde flottant », que je considère comme les meilleurs exemples de connexion entre les cultures japonaises et britanniques.
Dans ce premier texte publié, l’histoire nous promène d’une propriété anglaise dans le Kent à Nagasaki au Japon, d’une fille qui revient voir sa mère à une fille disparue tragiquement, d’un mari décédé à un mari absent, d’une vie révolue au Japon à une vie qui bascule au Royaume-Uni. 1982, cette date de l’actualité des deux femmes, la mère et la fille qui la visite, est aussi une date très peu éloignée finalement de 1945, date fatidique de la bombe. Les souvenirs mis en scène ne renvoient, en apparence, que 30 ans avant 1982, soit en 1952, et c’est aussi une date charnière qui marque le départ de la mère pour Londres.
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Je ne vais, maintenant, parler que du film, magiquement tourné et restituant les décors et ambiances du Japon des années 50, peu avant le départ des américains.
Dans la première scène, nous arrivons avec la fille londonienne Niki, dans la maison que s’apprête à vendre sa mère Etsuko. La maison croule sous la végétation, c’est typiquement un jardin anglais dans lequel les plantes font vraiment penser aux jardins japonais. Eux aussi, quand il ne s’agit pas de jardins zen, sont disposés de manière luxuriante, qui semble naturelle, mais qui est éminemment travaillée. Il pleut beaucoup au Japon, peut-être plus qu’en Grande-Bretagne, mais c’est assez équivalent pour la poussée rapide des arbres et plantes.
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Niki interviewe sa mère sur son passé. Nous comprenons à demi-mots qu’un drame vient de frapper la famille. Une autre fille, la fille ainée de Etsuko, s’est suicidée.
De là, retour arrière vers la vie antérieure d’Etsuko, qui a été mariée une première fois à un japonais, Jiro, dont elle a eu cette fille mystérieuse qui n’a pas survécu au changement de pays. Nous apprendrons ensuite que les protagonistes portent tous les traces de la tragédie.
L’amie japonaise de Etsuko était, elle aussi, mère seule avec la charge d’une fille, Matsuko. Cette gamine a été irradiée et son corps est plein de brûlures. Le Japon a déjà, en apparence, cicatrisé l’impact de la bombe. La ville de Nagasaki est reconstruite, mais les plaies psychologiques demeurent.
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La mémoire traumatique tente de réinventer le passé, d’oublier les impacts, les blessures, en un mot, la vie d’avant. Mais la réalité surgit à chaque instant. Matsuko est ostracisée comme le sont toutes les personnes irradiées. Les japonais s’écartent par crainte de la dissémination.
Le beau-père d’Etsuko est également une victime de la guerre, lui qui a, comme beaucoup d’autres, encouragé son fils à partir comme soldat. Il en allait, à l’époque, de la loyauté vis-à-vis de son pays, mais ses étudiants, car il est professeur, ne peuvent tolérer son militarisme d'antan, d'avant la défaite. Et c’est vrai que les jeunes générations jugent ceux qui les précèdent à la lumière de leurs propres actualités.
Ce qui est vraiment frappant dans ce film et que je n’avais pas autant repéré dans le livre, ce sont tous les aspects de la mémoire. Une mémoire transmise de mère à fille, c’est-à-dire dans le secret des ventres, du sang, des corps, dans la complexité et la puissance de ce qui fait la maternité.
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La mémoire essaie désespérément de se débarrasser du poids du passé, tout en retenant de celui-ci, l’essentiel de son identité.
Le film est très beau, mais si j’écris qu’il est totalement esthétique, je vais faire fuir les spectateurs. Il est aussi tourné essentiellement dans la nuit, en contrejour, entre chien et loup, à la lumière finissante. Les images sont stupéfiantes de beauté, les personnages apparaissent très lisses, les femmes ont des visages de porcelaine, et rien ne vient déranger l’ordre apparent des tenues vestimentaires et la politesse des comportements. Mais le feu couve sous la surface.
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« Lumière pâle sur les collines », c’est l’aube, c’est la promesse d’un meilleur avenir, d’un jour nouveau.
Le film prend vraiment en compte ce qui est tellement prééminent dans le texte d’Ishiguro : les émotions sont contenues, de même pour leur expression, mais leur intensité éclate à chaque ligne. Tout est sous-entendu, caché, dissimulé. La culture britannique est tout aussi pleine de politesse et de dissimulation convenue que la culture japonaise.
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Ce film est absolument génial et on ne s’y ennuie pas une minute. Mais évidemment, ce n’est pas un film pour les amateurs de rodéos et d’actions spectaculaires. En revanche, la finesse psychologique créée les conditions d’un suspens qui ne vous lâche pas.
J’ai été plus que ravie de retrouver cet univers des livres d’Ishiguro.
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