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La Fabrique des Pandémies (MM Robin, 2020, Ed La Découverte)

La Fabrique des Pandémies (MM Robin, 2020, Ed La Découverte)

Est-il possible de commenter de bonnes nouvelles, oui pour le moins de trouver dans l’actualité des raisons de garder, ou de retrouver, de l’optimisme ? À mon sens, la solution ne consiste pas à isoler telle ou telle information moins déprimante que les autres, mais à savoir distinguer dans cette profusion d’évènements et de débats des raisons de trouver par nous-même des motifs d’espoir.

C’est dans cet état d’esprit que je voudrais évoquer un ouvrage que je viens de lire : « La fabrique des pandémies. Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire », aux Éditions La Découverte.

Son auteure, Marie-Monique Robin, est une journaliste d’investigation expérimentée. Mais le nom qui m’a frappé en premier lieu est celui de Serge Morand, un scientifique spécialiste d’écologie parasitaire et écologue de terrain, rédacteur de la préface et surtout conseil précieux de l’auteure dans le choix des thèmes et des spécialistes mis à contribution. En effet, ce livre a une gestation originale : il a été entièrement rédigé en « mode confiné » durant l’année 2020, en relatant de façon particulièrement stimulante de nombreux entretiens avec plus de soixante savants et chercheurs du monde entier, écologues, mathématiciens, démographes, infectiologues, parasitologues, ethnobotanistes, etc…qui partagent tous une passion pour les recherches de terrain, les approches interdisciplinaires, et surtout la capacité à appréhender globalement les questions écologiques, économiques et sociales.

Si je devais résumer leurs convictions, je dirais ceci :

Tout d’abord, ils ont tous une vision humaniste et solidaire de la société, pour autant que nous sachions admettre que l’espèce humaine n’est pas une espèce supérieure aux autres et qu’elle cesse de vouloir transformer le monde, le dominer en fait, par la technologie et la croissance matérielle, au prix d’ailleurs d’un accroissement des inégalités sociales.

Ensuite, et c’est ce qui m’a le plus frappé, ils font partie des centaines de scientifiques qui, depuis les années 2000, tirent la sonnette d’alarme : les activités humaines, en précipitant l’effondrement de la biodiversité, ont créé les conditions d’une « épidémie de pandémies ». C’est d’autant plus frappant que beaucoup d’entre eux appartiennent au monde universitaire anglo-saxon, ce qui au moins nous donne une image moins négative des États-Unis.

Enfin, leurs très nombreuses recherches et observations dressent un tableau sombre de la responsabilité de l’homme dans ces phénomènes catastrophiques, et pourtant on trouve dans leurs propos des raisons de rester optimiste, ou du moins d’agir en ce sens. Comme le dit Serge Morand : « Quelle est la différence entre un pessimiste et un optimiste ? Le premier dit : ça ne peut pas être pire ; le second : mais si, ça peut ! Donc parfois je suis un peu optimiste ! »

Mais qui est vraiment ce Serge Morand, à qui Marie-Monique Robin ne cesse de rendre hommage ? J’avais découvert son existence il y a quelques semaines, dans un reportage le montrant à l’œuvre. Où ça ? Dans les villages thaïlandais reculés, en montagne, à la recherche des virus des chiens errants ou des poulets, par des prélèvements de poils et autres matières. Car il ce chercheur du CNRS vit en Thaïlande et il est incollable sur les nouveaux virus observés depuis une décennie dans cette partie d’Asie du Sud-est, chez les chauves-souris du Yunnan ou autres pangolins. Et le grand mérite de ce livre, c’est de montrer comment cette observation de terrain nous aide à mieux comprendre la pandémie.

Si je vous présentais une énumération, même résumée, de tous les sujets abordés par l’auteur dans la restitution de ses entretiens, je vous lasserais rapidement. Vous l’avez compris, le thème central est le lien entre la diminution de la biodiversité, qui se manifeste en particulier par la déforestation de vastes territoires et le retour des pandémies, que nous avions crues disparues lors des « Trente Glorieuses ». Et, dans ce livre, nous voyageons dans le monde entier, avec des guides qui constatent avec amertume et souvent colère que leurs avertissements n’ont pas été entendus.

Avant d’exposer les thèses de cet ouvrage, je préfère aborder quelques-unes des questions auxquelles ce livre apporte, sinon des réponses toutes faites, des éléments de réponses.

Celle qui me vient en premier lieu est toute simple : pourquoi la pandémie a-t-elle des effets si différents d’un continent à l’autre ? En particulier, pourquoi la catastrophe annoncée n’a-t-elle pas eu lieu en Afrique ? Notons d’abord que notre vision est bien partielle et déformée. Qui a remarqué que l’on a déploré 367 000 morts du paludisme, majoritairement en Afrique, entre le 1er janvier et le 1er mai 2020 ? Premier constat : le COVID-19 n’y apparaissait pas comme une tragédie sans pareille. A titre d’exemple, un chercheur du Centre international de recherche médicale situé au Gabon (doté d’un laboratoire de haute sécurité dit « P4 », l’un des deux existants en Afrique !) a recensé 1567 personnes contaminées et 12 décès, fin mai 2020, au Gabon. Alors que se passe-t-il réellement ? Les statistiques ne « remontent » pas aussi précisément ? Peut-être, mais pas au point de falsifier les ordres de grandeur. Les concentrations de population seraient moins nombreuses ? Pas du tout, Dakar, Abidjan, Lagos sont devenues de grosses mégapoles. Les populations africaines sont très jeunes (âge médian   19,7 ans contre 38,6 aux États-Unis) ? Oui, mais, selon des calculs de taux de mortalité du COVID-19 rapportés à l’âge et aux caractéristiques démographiques de l’Afrique, on aurait dû déplorer quatre fois moins de morts qu’en Europe, et en fait c’est quarante fois moins (calcul fait mi-2020) ! Y aurait-il des facteurs génétiques ? Pas évident, alors même qu’aux États-Unis ce sont les Afro-Américains qui subissent le taux de mortalité le plus élevé.

Notons alors que l’Afrique avait connu depuis plusieurs décennies d’autres maladies infectieuses : Ebola, dont le virus est apparu en 1976 et dont la dernière flambée a fait 10 000 morts en 2014, et aussi, moins connue, la fièvre de Lassa, une fièvre hémorragique foudroyante identifiée pour la première fois en 1969 dans la ville de Lassa au Nigeria et susceptible, malgré des thérapeutiques efficaces, de causer plusieurs milliers de morts par an. Ce qui d’ailleurs a conduit certains pays africains à réagir très tôt à l’arrivée du virus par des mesures de confinement (même si ces mesures ne sont pas systématiquement appliquées partout).

C’est pourquoi, selon les spécialistes qui, sur la base d’une véritable expérience de terrain, s’expriment dans ce livre, on peut faire l’hypothèse « d’immunités croisées » en Afrique. C’est-à-dire que la proximité de la nature, de la forêt, l’exposition depuis des générations à des microorganismes, des parasites et des transmetteurs de virus, tels que les chauves-souris, permet « d’éduquer » le système immunitaire pour qu’il se protège d’agents pathogènes invasifs. C’est particulièrement visible en Afrique dans les zones restées les plus « naturelles », au Gabon par exemple.

À ce stade, ces spécialistes ne préconisent pas le retour à la vie en brousse, rassurez-vous. Mais leurs travaux de recherche et d’innombrables observations confirment la thèse centrale du livre sur la corrélation entre la diminution de la biodiversité, en fait « l’oubli » par l’humanité contemporaine de ses liens avec la nature et le retour des pandémies.

Alors, bonne nouvelle ou mauvaise nouvelle ?

D’un côté, il n’est pas rassurant du tout de constater que, depuis une bonne vingtaine d’années, de nombreux « signaux » de mise en garde nous avaient été adressés et que nous n’en avons pas beaucoup tenu compte.

Par contre, et c’est ma conclusion optimiste, l’actuelle pandémie de Covid n’est pas un phénomène si exceptionnel. Nous avons donc la capacité de le comprendre et surtout de nous donner les moyens de le surmonter, tout simplement parce que l’humanité, dans sa diversité ethnographique et géographique, a déjà pu surmonter de telles crises.

Vieuziboo

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