Je suis bien obligée de reconnaitre que moi aussi j’ai cru bêtement que « Le Grand Reset » était l’émanation non pas d’un complot, mais d’une vision maléfique des zélites mondialisées qui tirent les ficelles de l’économie au FORUM de Davos. C’était terriblement ingénu, car si un tel projet existait, il ne s’étalerait pas en pleine lumière dans un livre qui a beaucoup (trop) fait parler.
Le titre est à la fois bien et mal choisi. Bien parce qu’il s’agit bien d’une métaphore utilisant le langage de l’informatique pour indiquer qu’il faut repenser radicalement notre modèle de développement. Mal, parce qu’il semble indiquer qu’il faudrait « du passé, faire table rase » et recommencer « from scratch », de zéro. Et ça, eh bien, ça fait bien peur.
Bon, je l’ai lu et franchement il n’y a pas de quoi frissonner.
D’abord parce que la logique du Forum de Davos est déjà bien connue : cet organisme ne prêche pas la révolution en général et avance (peut être masqué) avec de bons sentiments de justice et de démocratie. Ces déclarations vertueuses sont ensuite très souvent, hélas, battues en brèche par la réalité. Deuzio, parce que l’analyse vise plutôt à conserver et conforter la situation des puissants, en leur disant ce qu’ils veulent entendre. Et tertio parce que tout le livre se borne à analyser ce qui a déjà eu lieu : la crise du COVID-19 a conduit à la disparition de millions d’entreprises et d’emplois et elle sera durable, ses conséquences aviveront les tensions sociales. Il y a peu n, dans ce livre, de vision globale du « monde d’après », tout simplement peut-être parce que personne n’en sait rien, pas plus le Forum de Davos (qui aimerait souterrainement que tout se passe pour le mieux des intérêts de ses membres) que n’importe quel citoyen. Les comportements des gens, des États, des communautés ne sont pas rationnels. Je n’en donnerai qu’un exemple : alors que la pandémie qui, par définition est mondiale, aurait dû conduire à une réponse mondiale coordonnée, on a justement assisté aux comportements contraires, chaque pays ne voyant que son propre intérêt, sans se soucier du fait que le virus ne connait pas les frontières. L’égoïsme, totalement stupide, a prévalu sur l’intérêt bien compris de tous.
Je reviens aux théories développées dans ce livre.
Il y a 3 chapitres qui énoncent les conséquences de la pandémie aux différents niveaux : le niveau macro-économique, le niveau micro et le niveau individuel. C’est le niveau macro qui est le plus développé et sur lequel je m’attarderai.
Schwab et Malleret analysent les nécessités de repenser nos modèles sur les plans suivants : économique, sociétal, géopolitique, environnemental, et technologique. Il est bien mentionné en préambule que si nous espérons que le monde d’après soit identique au monde d’avant, nous faisons une grave erreur de jugement parce qu’aucune crise n’a abouti dans le passé à la restauration d’un ordre ancien. Les guerres, les crises économiques ou les épidémies ont toutes conduit à changer de paradigme. En conséquence, il faut envisager la pandémie de Covid-19 comme « une fenêtre d’opportunité rare, mais étroite pour réfléchir, ré imaginer et réinitialiser notre monde ».
Transformer une catastrophe en opportunité cela peut aussi s’appeler de la résilience, alors pourquoi pas ? Je vais d’abord faire une courte synthèse des idées énoncées puis je me lancerai dans une discussion critique.
Sur le plan économique, rien d’étonnant à prévoir un développement des technologies, notamment dans le domaine de la santé. Rien d’extravagant non plus à dire que la robotisation entrainera encore plus de chômage. Et à constater qu’il faudrait construire des économies plus inclusives, de façon à réduire les inégalités qui se sont largement révélées et creusées pendant la crise sanitaire. Il est prévu un retour de l’État Providence, et donc des investissements publics à réaliser dans plein de domaines, normalement dévolus aux services publics, comme la santé ou l’éducation ou le soin aux enfants et aux personnes âgées.
Sur le plan sociétal, après avoir constaté que la crise a démontré de fortes inégalités préexistantes entre les métiers à l’abri (les gens pouvaient télétravailler) et ceux qui devaient monter au front (et qui étaient à la fois exposés et mal payés) , les auteurs voient bien que nos sociétés n’ont plus tellement besoin de bras et n'ont pas non plus l’utilité de consommateurs supplémentaires. Ils plaident donc pour des ralentisseurs économiques (ralentir la croissance) et des amortisseurs sociaux, afin de contenir les colères qui ne manqueront pas de se faire jour.
Sur le plan géopolitique, les auteurs analysent l’échec de la gouvernance mondiale, et semblent privilégier une voie moyenne qui serait, à l’image de l’Union Européenne, des gouvernances régionalisées, par zones de proximités économiques et sociétales. Ils imaginent que les solidarités seront plus tangibles à cette échelle qu’à l’échelon mondialisé. Et cela devrait sinon suffire, du moins contribuer à lutter contre le développement des nationalismes, « Avec, effet collatéral, le risque croissant de tensions nationales, de concurrence pour l’accès aux ressources, et de guerres ».
Sur le plan environnemental, les auteurs pensent que la pandémie résulte directement de notre incapacité globale à préserver les ressources naturelles de la planète. Le réchauffement climatique et l’abus des consommations de biens non renouvelables nous conduisent droit dans le mur. Comme ce sujet est terriblement ouvert à la controverse, je vais citer directement :
« Si nous reconnaissons collectivement qu'au-delà d'un certain niveau de richesse défini par le PIB par habitant, le bonheur dépend davantage de facteurs immatériels, tels que l'accessibilité aux soins de santé et un tissu social solide, que de la consommation matérielle, alors des valeurs aussi diverses que le respect de l'environnement, l'alimentation responsable, l'empathie ou la générosité peuvent gagner du terrain et caractériser progressivement les nouvelles normes sociales. »
Autrement dit, les esprits seraient aujourd’hui prêts à la transition écologique.
Enfin dernier grand point : le reset technologique.
La pandémie accélère les innovations technologiques et avec elles, le risque d’une société de surveillance où la démocratie et les libertés sont peu à peu effacées. Les auteurs affirment qu'ils ne souhaitent pas une disparition des démocraties. La Chine est « un cauchemar humain » auquel il vaudrait mieux ne pas ressembler.
Donc si je résume tout cela, les auteurs défendent un modèle économique qui préserve le capitalisme en évitant les explosions sociales dangereuses, et en ménageant les ressources naturelles le plus possible. C’est un peu filandreux comme vision de l’avenir.
Mon avis :
À mon avis, et sans faire aux auteurs un procès d’intention, il faut lire entre les lignes, en n’imaginant pas que le Forum de Davos se soit converti en un socialisme de redistribution.
Le plaidoyer pour les investissements publics ne signifie nullement qu’on va nationaliser ces services, mais peut être bien au contraire qu’il s’agit d’investir dans l’économie immatérielle (qui a besoin d’une masse d’investissements « gratuits » dans les infrastructures, afin de générer des services (y compris de santé) plus accessibles à la plus grande partie des populations. On risque donc d'alimenter encore plus une nouvelle économie grâce aux finances publiques...
Par ailleurs, le plaidoyer pour un ralentissement des consommations et donc de la production pourrait bien cacher une vision de l’économie circulaire non pas axée sur la réutilisation et l’allongement des durées de vie des produits, mais sur une économie de l’usage, qui est selon moi, une vaste escroquerie. L’économie de l’usage consiste à ce que nous soyons tous « locataires » de biens et jamais propriétaires, au nom d’une juste frugalité. Jamais propriétaires est inacceptable à mes yeux, car c’est le statut des esclaves : la dépendance à ceux qui possèdent serait alors totale et surtout irrémédiable.
Je sais bien que c’est une critique adressée aux écolos radicaux, mais je la fais mienne dans une certaine mesure. Ce n’est pas un idéal que d’être sous la coupe des khmers verts.
Quant aux solidarités régionales pour des gouvernants de région, je pense connaitre suffisamment ce qui se passe dans l’Union Européenne pour ne plus jamais y croire. En outre, je n’ai pas la religion du management à quelque échelle que ce soit. J'ai bien l'impression que les auteurs ne voient le monde qu'au travers des dirigeants qui seraient comme des DRH ou (bien pire) les seuls actionnaires de la société.
Enfin, ce qui n’est jamais dit, c’est que nous sommes trop nombreux sur la terre et qu’il faudrait réserver les ressources aux plus riches et aux plus intelligents. Je ne sais pas si c’est ce qui est contenu dans les silences des auteurs, mais je ne l’espère pas, car cela s’appellerait le nazisme.