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Les géraniums refleuriront

Les géraniums refleuriront

Cette année, j'ai planté mes géraniums trop tôt. J’avais tellement l’espoir du printemps. Je pensais que le printemps, avec ses grappes de lilas, allait tout effacer. Que nous sortirions du cauchemar.

Et j’ai planté mes géraniums. Je les ai choisis rouges. Pour que les couleurs éclatent, pour que la joie revive. Qu’on puisse s’attarder au jardin. Qu’on puisse se sentir libre.

Mais ils en ont décidé autrement et c’est le retour du froid. Hier il y avait même de la neige. Il est tombé du grésil, des petites billes dures et froides qui sont venues froisser les jeunes feuilles des géraniums.

Le retour de la liberté se fait attendre. Le retour au réel est violent. Il faut se rapprocher de l’essentiel. Mais ne me parlez pas de liberté intérieure. La belle trouvaille ! Ne me parlez pas d’apprentissage, de positif. Il y a un effondrement.  Un naufrage. Une débâcle. Que faire dans les ruines ? Où se diriger dans la tempête ?

Ce n’est pas comme si on n’avait pas deviné.  Ce n’est pas comme si on nous avait dit la vérité. Ils ont subtilisé le réel. Pour le remplacer par la surveillance, le contrôle, la police, l’injustice.  La grande violence de l’injustice.

Je pleure sur les feuilles mâchées de mes géraniums.  Je pleure tous les jours dans le froid de l’hiver qui me crucifie. Me cloue au lit, à la fenêtre, au hublot de la vie. Les vagues avalent les chiffres, les statistiques, l’odeur de la mort.

C’est la peur, la peur, la peur. C’est la certitude de ce qui advient. Et de ce qui est déjà venu. C’est la peur d’étouffer sous le masque. C’est la peur diffusée sur les ondes, dans les vagues, au travers des rues. C’est la terreur qu’ils déversent, et c’est elle qui nous revient, depuis nos nuits d’enfance. Ces nuits d’hiver précoce, ces nuits où l’hiver tarde aux fenêtres. Accroche le givre sur lequel on dessine la liberté. Illusoire désir du dehors.

C’est l’ignoble tempête des naufragés. De celles qui se déclenchent au plus profond de nos nuits. De nos nuits aveugles. On cherche une main. Rien. Ne me parlez pas de liberté intérieure, une mascarade, une tromperie de plus. J’ai fait un rêve, j’étouffe.

Au réveil, il y avait de la neige, ça me serre le cœur. Les cerisiers, les lourdes grappes des lilas et les pousses des géraniums, tout disparait dans le blanc. Le blanc cruel d’un printemps qui refuse. Ne me parlez pas de la science. Nous sommes seuls dans ce pays devenu blême. Et la science ne fera pas renaître les géraniums ; Leurs feuilles s’écroulent, se coupent, dentellent et tentent de continuer à grandir. La science n’est pas la réponse ; Ceux qui nous enferment le savent bien.  Ceux qui décident de nous. Ils nous violentent, ils nous brutalisent et ils rient. Ils s’amusent. Ils mangent et boivent. Nous, nous retenons notre souffle. La colère n’est pas loin, elle effacera les pleurs. La couleur rouge.

« Quelque chose vient de tomber ». Un truc a lâché qui nous maintenait ensemble.

Tu te souviens de la cathédrale ? La flèche qui emportait notre mémoire ? Les flammes jusqu’au ciel ? Ce qu’il avait fallu de temps et d’amour pour la bâtir ? Et comment la catastrophe est arrivée sous nos yeux ? Une flamme, nous n’y avions pas cru, puis des langues de feu qui léchaient les nuages. Nous avions pleuré, nous avions prié, mais nous avions conscience que ce désastre serait accompagné d’autres fléaux.  Je suis restée toute la nuit, jusqu’à ce que le feu se taise. J’ai veillé sur les pierres, j’ai relu notre grand poète, j’ai attendu l’aube, devant une ruine fumante qui présageait le pire. Qui présageait d’autres malheurs, d’autres calamités. Il y a deux ans tout juste, deux roses, deux tours, deux mondes. Quelque chose est tombé, en sang, en cendres. C’était le printemps d’avril, c’était ce que nous avions ensemble, notre histoire, notre présent. C’était un printemps de colères. Écrasées dans le sang. Rouge et noir, flammes qui dévoraient la nuit. Il y avait d’autres sinistres qui y prenaient leur source. Les mêmes. Les mêmes malédictions. Celles de Jacques. Peut-être.

On cherche à sortir de la tempête, on cherche des mains, des cordages, on cherche à sortir du froid, de la terreur. J’ai planté mes géraniums parce que j’étais pressée. Les morts nous avaient accompagnés toute l’année. Et bien plus que les morts, les croque morts, les croque mitaine. Les mauvais génies qui profitaient de notre peine, se sont mis à nous insulter. À nous jeter des confettis. Nous les avions crus, au début. Nous avons été doublement dans la peine. La peine à cause de nos morts et la peine à cause de leurs rires. Une répétition générale. Un bal costumé. Une fête grimaçante. Ce n’est pas le printemps que j’attendais. J’ai planté les géraniums pour le grand soleil de l’été. Pour boire la menthe à l’eau sous le parasol.

Le retour de la liberté se fait attendre. Ils ont décidé de profiter de l’hiver, encore un peu. Je suis si fatiguée.  Nous sommes du sexe de la peur. L’enfermement nous enferme dans la violence. Ne me parlez pas de liberté intérieure. De liberté internée.

Je ne veux plus céder, je veux le bonheur. Je lutte. Je sais qu’il ne disparait pas. Je sais que l’envie ne m’en quittera pas. Je sais qu’il est caché dans le jardin, sous les pétales rouges qui percent la neige.  Je sais qu’il s’est endormi, engourdi, mais qu’il n’est pas parti. Que rien ne l’arrêtera et que la colère le fera germer à nouveau.

Donc non.  Je ne céderai pas. La peur ne m’envahira plus. Je ne me laisserai plus enchaîner à la panique. Je ne serai plus l’otage, leur otage. Je n’écouterai que ce qui parle en moi, que ce qui rit, que ce qui bourgeonne, ce qui s’éveille, pétille et va déborder. Je ne veux plus de leurs laisses, de leurs muselières, de leur liberté intérieure. Et je ne regarderai plus par la lucarne. J’ouvrirai les vitraux. Grands.

Le printemps nous éblouira, il fera fondre les billes glacées, il inondera le jardin de lumières, il sèchera mes yeux. Il est là, tout près, et je sens qu’il perce le dernier verglas. La peur me quitte, comme on se déshabille.

Mes géraniums me regardent. Ils ne tremblent plus. Ils respirent enfin. 

 

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