De cette pièce, on pourrait croire, au prime abord, qu’elle est datée. Son auteur, Tony Kushner, l’a écrite dans les années 80 (de 1985 à 1990) et l’avait sous-titrée « « fantaisie gay sur des thèmes nationaux ».
Il s’agit de la terrible période du SIDA aux USA, époque où Ronald Reagan, avec sa philosophie néo-libérale, affichait délibérément son indifférence totale à une maladie qui était censée ne concerner que les homosexuels, et où ceux-ci ont vite compris qu'il fallait agir par eux mêmes.
La 1ere partie « le Millénaire est proche » a été créée en 1992, tres vite suivie d’une seconde partie « Perestroïka », le tout formant "Angels In America". .
La pièce dans son intégralité a été représentée en 1994 à Avignon, et a reçu de nombreux prix.
Le metteur en scène Arnaud Desplechin (metteur en scène de cinéma plus que de théâtre) a choisi de fusionner les deux parties pour « tenir » la représentation en moins de 3 heures, alors que la totalité du spectacle aurait duré plus de 7 heures.
Le pitch :
Un jeune homme est malade du SIDA. Son ami le quitte lâchement. Arnaud Desplechin indiquera "Les victimes du Sida peuvent avoir un discours aussi intéressant que les experts, comme une collection de singularité. En cela, Tony Kuschner a été visionnaire". Mais on n’en restera pas à la parole, si prophétique soit-elle, des victimes du SIDA.
Parallèlement à la première « intrigue », un couple marié , Harper et Joe– mormons, donc strictement corsetés d’observance religieuse-est confronté à la sexualité indécise du mari, qui, sans vouloir se l’avouer, penche plutôt vers l’homosexualité.
Et au-delà encore, le personnage le plus impactant de toute l’histoire est un personnage qui a réellement existé, Roy Cohn, extrêmement connu aux USA. Dans la pièce, il est le boss de Joe, avocat lui aussi.
Roy Cohn est très connu aux USA pour plusieurs raisons :
De lui, la presse américaine affirmait que c’était un « démon ». Roy Cohn a été décrit par des gens qui le connaissaient comme « un serpent », « un scélérat » et « une nouvelle souche de fils de pute », un homme amoral, vicieux, véreux, violent, l’incarnation du mal absolu, une sorte de Richard III. Tout juste si sa mort n’a pas été considérée comme un châtiment divin. Trump s’est d’ailleurs éloigné de lui alors qu’il était très malade, agissant ainsi conformément à ce que son maître lui avait lui-même enseigné.
La technique de Roy : Détourner et distraire, ne jamais céder, ne jamais admettre la faute, mentir et attaquer, faire de la publicité quoi qu'il arrive et même avec des bad buzz, gagner quoi qu'il arrive, le tout sous-tendu par une profonde croyance dans pouvoir du chaos et de la peur.
Ça ne vous rappelle rien ? L’élève n’aurait-il pas rattrapé le maître ? Nul doute qu’on retrouve bien là le comportement d’un certain Président des US.
Outre ce personnage, typique, me semble-t-il, de ce que l’Amérique produit de pire, la pièce est aussi à replacer dans les années Reagan, années de la catastrophe de Tchernobyl, et de l’effondrement du mur de Berlin qui bouleversera la relation entre les blocs. 1985, c’est aussi l’année où meurt l’acteur américain Rock Hudson, le premier à déclarer publiquement être atteint du sida et à ainsi attirer l’attention médiatique sur la maladie.
Ce que j'en pense:
On trouve dans le texte, de l’émotion, de l'amour et de la folie, de l'humour noir , de la férocité, un point de vue parfois brutal sur la maladie et la mort, mais malgré tout une poésie indéniable. Les changements de décors et de costumes sont incessants – huit comédiens pour 23 personnages – , il y a des apparitions, des visions cauchemardesques ou oniriques, des plans photos, des scènes de la vie urbaine new yorkaise.
Ce qui m’a frappée et a été particulièrement remarqué, ce sont les différents personnages incarnés à merveille par une Dominique Blanc magique qui se métamorphose littéralement en rabbin barbichu Isidor Chemelwitz, en une Ethel Rosenberg candide, en un dirigeant soviétique plus vrai que vrai, (Alexis Antédiluvianovitch Prelapsarianov) et en un Ange Asiatica.
C’est à la fois émouvant et déconcertant mais certainement un grand moment théâtral, non dépourvu de liens avec l’époque actuelle.
PS: J'adore la représentation de l'Ange de l'Amérique! D'ailleurs j'adore les anges!