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Pelléas et Mélisande (Théâtre Odeon)

Pelléas et Mélisande (Théâtre Odeon)

Ce texte de Maeterlinck, jugé comme son chef d’œuvre, est paru en 1892 et appartient clairement au mouvement symboliste.

De ce mouvement artistique (qui a tout de même compté Rimbaud, Mallarmé, Corbière et Rilke parmi ses adeptes), nous en gardons parfois l’idée d’un art « maniéré » et/ou hermétique, en tous les cas, souvent mystique et frôlant, pour les moins doués de la génération, le « pompiérisme ».

Mais avant de revenir à la présente représentation du Pelléas de Mélisande, je voudrais juste rapidement situer l’œuvre dans son contexte, car la période de la fin du XIXème siècle est souvent passée à la trappe dans nos livres d’histoire.

Les années 1890 sont marquées par :

  • La publication de romans naturalistes, en droite ligne du réalisme qui entendait décrire la réalité le plus précisément possible, y compris dans ses aspects les plus vulgaires et/ou immoraux, romans naturalistes qui visent à poursuivre la description par la prise en compte du contexte des personnages. Les caractères et comportements s’expliquent par les milieux défavorisés où vivent les protagonistes. On trouve là, les romans de Zola, Maupassant, et même Daudet.
  • Le développement des techniques : machines à vapeur, aviation, cinéma et même débuts de la psychanalyse.
  • Les attentats anarchistes, l’affaire Dreyfus, les traités de commerce entre grandes puissances et, parallèlement, l’avancée de la pauvreté (famines en Russie), ce qui annonce les troubles du siècle qui va venir.  

C’est dans ce contexte qu’en 1886, Jean Moréas publie un « manifeste du symbolisme », qui annonce une nouvelle tendance artistique dont les précurseurs en France sont Baudelaire, Verlaine, et Nerval.

De quoi s’agit-il ?

Il s’agit de protester contre la rationalité, et le scientifique à tout crin de l’époque. Au-delà des apparences, les symbolistes affirment qu’il y  a des liens, des « correspondances » entre les choses, la nature et les êtres. « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent » (Baudelaire) . Il existe une réalité secrète, un sens caché, un mystère du monde qu’on ne peut pas approcher avec les mots. L’artiste est un voyant capable de percevoir les "signes" et de nous les rendre plus accessibles Il cherchera à transmettre la sensation et l'impression, plutôt que de s’atteler à la description des choses. Au-delà des apparences, il privilégiera l'expression des états d'âme. Le monde réel ne sera, pour lui, que le reflet d'une réalité transcendante. A travers les symboles, le poète cherchera à atteindre la réalité supérieure de la vraie sensibilité. Les thèmes de la mort, du crépuscule, de la fin du siècle, de l’ennui, de la solitude et du silence seront privilégiés.

L'auteur:

Maurice Maerterlinck est né  à Gand, en Belgique, le 29 août 1862, et mort à Nice, le 6 mai 1949. Il a  grandi dans une famille flamande, catholique, bourgeoise et francophone. Il se verra décerner le prix Nobel de littérature en 1911.

Le « pitch » :

Nous sommes dans une période qui ressemble au Moyen Age. Il y a un roi dans un château, il y a une forêt, une fontaine, une jeune fille qui pleure. Un chasseur s’est égaré en poursuivant un sanglier.

Le chasseur, Golaud, tombe amoureux de Mélisande et l’épouse en secret avant de la ramener dans le château de son père, baigné dans la brume.

Mais au château vit également le demi-frère de Golaud, Pelléas, beaucoup plus jeune et beau.

Voilà, ça y est, on a tout compris. La jeune Mélisande s’engagera dans des amours défendues avec Pelleas, ce qui occasionnera leur fin tragique, à tous deux.

Mais l’essentiel n’est pas dans l’histoire, quoique les amants maudits aient donné lieu à des histoires mythiques comme Romeo et Juliette, Tristan et Yseut, Eloise et Abélard…

Ce qui est intéressant dans le texte, c’est le traitement des échanges entre les personnages. Maeterlinck ne plonge jamais dans les pensées des uns et des autres, n’éclaire jamais les situations et les peurs qu’ils éprouvent, mais préfère suggerer, à coup de phrases tronquées, répétitives et très simples, l’égarement des âmes, la passion qui les anime, l’incertitude qui les transperce.

Le cas d’espèce, très souvent cité, ce sont ces paroles de Melisande :  « Je ne sais pas ce que je dis, je ne sais pas ce que je fais, je ne dis plus ce que je veux ». Les personnages ne décident de rien, tout leur échappe, et rien ne peut leur être évité. Ils doivent se diriger comme des somnambules (d’où les répétitions, les redites, les bégaiements du texte), à l’aveugle, dans des topographies et des lieux aux géographies imprécises, la nuit, à la lumière de lampes vacillantes.

La mise en scène:

Elle est à la fois dépouillée et suggestive. Les paysages représentés sur le plateau, plongent la scène dans le noir, et les lumières qui allongent les ombres contribuent au mystère de la représentation. Le château est un château symbolique, avec un étage transparent, et il est entouré de brouillards épais, c’est le troisième mur qui disparait dans la brume. Les scènes se déroulant dans la forêt sont projetées en video, les grottes et les souterrains où se cherchent et se perdent les personnnages, ne sont que faiblement éclairés, le théâtre tout entier est baigné dans la nuit.

On a, de plus, le sentiment diffus d’une  menace imminente, car il est fait allusion à plusieurs reprises au peuple qui se meurt de famine à l’extérieur du château et de ses dépendances. On est donc isolé, emprisonné, étouffé dans le décor, où se joue un huis clos haletant et d’autant plus inquiétant qu’il se déroule sous stress, sous le regard halluciné et jaloux de Golaud, dans la solitude et le silence des murs invisibles de ce fantomatique château.

Mon avis :

La mise en scène n’est en rien forcée, ni trop éthérée non plus.

Julie Duclos a parfaitement réussi cette mise en scène (présentée à AVIGNON 2019) et qui nous parle encore, malgré le temps qui a rangé, à tort,  le symbolisme au rang des vieilleries !

Avec: Vincent Dissez, Philippe Duclos, Stéphanie Marc, Alix Riemer (une superbe Melisande), Matthieu Sampeur (convaincant dans le rôle de Pélléas), Émilien Tessier.

C’est vraiment une représentation fine et sensible d’un texte qui, du coup, reste intemporel et rejoint les grands mythes littéraires.

 

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